Photo : Manifestation à al-Khalil (Hébron) en 2012 - Crédit : Oren Ziv (Active Stills Collective)
L’Intifada unitaire de mai 2021 a mis en évidence la centralité de la mobilisation populaire palestinienne dans la lutte contre le régime colonial d’apartheid d’Israël. Il est impératif que les débats sur un mouvement anti-apartheid en Palestine restent fidèles à la praxis décoloniale de l’Intifada unitaire : affronter le « colonialisme raciste des colons dans toute la Palestine » du sionisme et remettre en cause la fragmentation par Israël du peuple palestinien, en tant qu’outil de domination.
Cette note politique examine la décolonisation dans le contexte du droit international et de la reconnaissance croissante de l’apartheid israélien. Il propose des recommandations sur la manière dont les Palestiniens et leurs alliés devraient élaborer une stratégie pour un mouvement anti-apartheid efficace par des voies légales, et postule qu’un mouvement anti-apartheid à travers la Palestine colonisée et en exil peut aider les Palestiniens à retrouver leur capacité d’action politique et à réaffirmer leur unité.
Une stratégie anti-apartheid par le droit international
Tout mouvement anti-apartheid efficace en Palestine doit être fondé sur le rejet historique du sionisme en tant que projet raciste et colonialiste. Depuis des décennies, les Palestiniens ont placé la décolonisation dans leur le cadre de leur lutte pour la libération. Mais en fait, les spécialistes ont averti que, sans vision de la décolonisation, une lutte anti-apartheid peut, au mieux, aboutir à une « restructuration » du régime plutôt qu’à son démantèlement.
Cependant, des rapports récents sur les droits de l’homme établis par des groupes internationaux et israéliens ignorent largement l’héritage de la lutte décoloniale des Palestiniens. En conséquence, ils proposent les conceptions libérales de l’égalité au détriment de l’élaboration de stratégies de décolonisation par des voies juridiques. Et bien que le droit international interdisse l’apartheid en tant que discrimination raciale, crime contre l’humanité et violation grave engageant la responsabilité d’un État tiers, il ne criminalise pas le colonialisme en tant que tel.
Bien que le droit international soit limité dans son opposition au colonialisme, il reste un outil précieux qu’il ne faut pas négliger. À savoir, le droit international interdit des éléments clés du projet de colonisation sioniste, dont le transfert de population, l’apartheid, l’annexion et l’acquisition de territoire par la force ; il consacre en outre le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et le droit au retour des réfugiés. Un mouvement anti-apartheid palestinien doit déployer stratégiquement ces normes juridiques pour défier la nature criminelle de l’État d’Israël et à ses violations du droit international.
Les campagnes de la société civile palestinienne ont amené une reconnaissance croissante de l’apartheid israélien au sein du système des droits de l’homme des Nations Unies, y compris par les États membres du Conseil des droits de l’homme. De plus, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a constaté que les politiques israéliennes ciblant les Palestiniens sur toute la Palestine colonisée violent l’interdiction de la ségrégation raciale et de l’apartheid, comme cela lui avait été présenté par une coalition de la société civile dirigée par les Palestiniens.
Le 27 mai 2021, avec l’Intifada unitaire en toile de fond, le Conseil des droits de l’homme a créé sa toute première commission d’enquête sur « toutes les causes profondes sous-jacentes » de l’oppression palestinienne, y compris « la discrimination et la répression systématiques fondées sur des considérations nationales, ethniques, raciales ou religieuses ». Cet organisme d’enquête est sans précédent dans son mandat et sa portée ; il couvre toute la Palestine colonisée et constitue l’une des plus importantes voies de campagne et de plaidoyer contre le régime colonial d’apartheid d’Israël. La Commission d’enquête devrait soumettre son premier rapport au Conseil des droits de l’homme en juin 2022 et, à l’heure actuelle, elle accueille des contributions sur les causes profondes de la discrimination systématique dans l’ensemble de la Palestine historique.
En outre, la Cour pénale internationale (CPI) est compétente pour le crime d’apartheid dans le cadre de son enquête en cours sur la situation en Palestine. Le crime d’apartheid n’a jamais fait l’objet de poursuites internationales ou nationales. Et bien que la juridiction de la CPI en Palestine soit limitée géographiquement et temporellement, il y a une valeur stratégique à poursuivre devant la CPI la responsabilité d’Israël dans le crime d’apartheid.
Alors que la mobilisation populaire des Palestiniens à travers la Palestine colonisée et en exil sera en fin de compte la clé de la libération palestinienne, le droit international peut aider à faire avancer cet effort en renforçant la pression extérieure et en générant des conséquences tangibles pour les crimes continus d’Israël.
Le cadre de l’apartheid offre un moyen de faire rendre des comptes [à Israël] et permet aux Palestiniens de contester la fragmentation imposée par Israël et de construire une lutte unitaire.
Recommandations
Pour élaborer une stratégie pour un mouvement anti-apartheid palestinien et tenir les auteurs israéliens responsables du crime d’apartheid contre le peuple palestinien, les Palestiniens et leurs alliés devraient :
– Soutenir et étendre les campagnes de la société civile appelant à des mesures efficaces pour contrer le régime colonial d’apartheid d’Israël, notamment par le désinvestissement et les sanctions.
– Exhorter l’Assemblée générale des Nations Unies à rétablir les mécanismes anti-apartheid, en particulier le Comité spécial contre l’apartheid, pour traiter le crime d’apartheid d’Israël.
– Étendre le mandat du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Palestine pour inclure le peuple palestinien dans son ensemble, y compris les violations des droits de l’homme des deux côtés de la Ligne verte et contre les Palestiniens en exil.
– Poursuivre les auteurs israéliens de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité devant la CPI, y compris pour les crimes d’apartheid et de transfert de population.
– Appeler les États tiers à activer les mécanismes de compétence universelle pour poursuivre les auteurs du crime d’apartheid devant leurs tribunaux.
– Exiger que la dernière commission d’enquête de l’ONU reconnaisse l’apartheid israélien et le colonialisme sioniste comme les causes profondes de l’oppression des Palestiniens.
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À propos de l’auteure
Rania Muhareb est membre du Conseil irlandais de la recherche et boursière du doctorat Hardiman au Centre irlandais pour les droits humains de l’Université nationale d’Irlande à Galway. Sa recherche doctorale est centrée sur la pertinence du cadre de l’apartheid dans la lutte palestinienne pour la décolonisation.
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Traduit par : AFPS