Les Palestiniens doivent annoncer ce samedi 18 février la formation d’un gouvernement de réconciliation nationale Fatah/ Hamas, selon les termes de l’accord signé à Doha le 6 février sous l’égide de l’émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani. Cet accord a-t-il plus de chances de se concrétiser que le précédent ? Quel rôle a joué le contexte du "Printemps arabe" et de la crise en Syrie ? Que signifient les évolutions en cours au sein du Hamas. Jean-François Legrain, chercheur au CNRS, fin connaisseur du mouvement national palestinien, a répondu aux questions de L’Express.
Quelles sont les chances d’une concrétisation de la réconciliation palestinienne ?
Dans l’état actuel des forces, la probabilité de parvenir à une véritable réconciliation est faible, faute d’une volonté et d’une capacité à agir suffisantes des deux côtés. Les divergences de fond demeurent et les tensions sur le terrain sont toujours fortes. La société civile n’a pas un degré d’organisation suffisant pour contraindre le Fatah et le Hamas à un changement de ligne politique. Dans les deux accords, celui du Caire, en mai 2011, et celui de Doha, la semaine dernière, les Palestiniens -ou plutôt leurs appareils politiques- de fait se sont vu imposer cette réconciliation qui n’a pas été la conséquence de la mobilisation de la population.
Les deux partis ont bien sûr dû procéder à des ajustements en raison des évolutions qui ont eu lieu au cours de l’année écoulée dans la région, mais ils sont encore loin de pouvoir concrétiser une véritable entente. L’échéance prévue du mois de mai pour des élections ne sera probablement pas tenue.
Le Fatah de Mahmoud Abbas est mal en point...
Mahmoud Abbas se trouve dans une impasse sur trois registres : les négociations de paix avec Israël sont totalement bloquées ; la démarche d’admission de l’Etat de Palestine à l’ONU est au point mort, et il n’est pas parvenu à matérialiser l’accord de réconciliation signé en mai dernier. A l’approche de ses 77 ans, Mahmoud Abbas, qui a annoncé qu’il ne se représenterait pas en cas d’élection pour la présidence de l’Autorité palestinienne, aura ainsi bien du mal à réussir sa sortie de la vie politique. Et le Fatah s’est montré incapable de renouveler ses cadres et ses idées : aucune véritable réflexion n’a été menée sur sa défaite de 2006 face au Hamas ; aucune personnalité ne s’est imposée pour succéder à Mahmoud Abbas. Et bien qu’il soit impossible de s’appuyer sur des sondages -non fiables-, il est probable que le Fatah ne serait pas en ordre de bataille en cas d’élections.
Ces difficultés vont au-delà du Fatah ?
Les Palestiniens tous ensemble ne sont en effet plus capables de se donner une ligne politique consensuelle comme dans les années 70-80, quand l’OLP avait réussi tant bien que mal à mettre en place un programme politique propre.
La cause palestinienne ces dernières années est redevenue le jouet des puissances environnantes
La cause palestinienne ces dernières années est redevenue, comme dans les années 60, le jouet des puissances environnantes. C’est ce que j’ai qualifié de "dépalestinisation", dont les premiers symptômes apparus juste avant le décès d’Arafat, en 2004, se sont ensuite aggravés du fait de l’incapacité des mouvements palestiniens à surmonter leurs différends, faute de pouvoir sortir du cadre des accords d’Oslo : les Palestiniens ont ainsi été obligés de faire intervenir des "parrains", tour à tour égyptiens, yéménites, syriens, saoudiens. C’est désormais le tour du Qatar qui essaie de récupérer les fruits du "Printemps arabe" -comme il le fait en Tunisie, en Libye et en Egypte-, avec le soutien semble-t-il des Etats-Unis et même d’Israël.
Le Hamas semble en proie à une série de bouleversements...
Il est en effet en proie à une crise organisationnelle profonde mais dans une entente sur ses "valeurs". Il s’agit avant tout d’une inévitable auto-réévaluation après cinq années de gestion du politique. Mais le Hamas, j’en suis convaincu, reste capable de consensus malgré les tensions internes qui ont pu apparaître ça et là ces derniers mois. Ce qui change, c’est qu’il parvenait auparavant à gérer ses tensions en interne, sans qu’elles ne débouchent sur la place publique.
Ces évolutions sont aussi liées à l’évolution du contexte régional ?
Les victoires des Frères musulmans en Egypte et d’Ennahda en Tunisie, ainsi que l’implication grandissante de la Turquie sous la houlette de l’AKP dans les affaires arabes ont en effet été l’occasion pour le Hamas de revoir sa diplomatie dans le contexte de tensions avec ses parrains traditionnels, la Syrie et l’Iran. Le choix de ces protecteurs avait été motivé par le pragmatisme : la Syrie avait violemment réprimé ses Frères musulmans, en particulier à Hama en 1982, et l’Iran chiite n’étaient pas l’allié le plus évident pour ce mouvement sunnite. Mais, face au Fatah, que le Hamas considère comme un jouet aux mains des Etats-Unis et d’Israël, ces deux pays constituaient des alliés de circonstances en tant que pôle de résistance aux politiques américaines.
En refusant de soutenir la répression du régime de Bachar el-Assad, le Hamas s’est de fait mis en porte-à-faux avec son ancien parrain
La crise syrienne a mis le Hamas dans une position délicate. En refusant de soutenir la répression du régime de Bachar el-Assad et en manifestant sa compréhension pour les aspirations de son peuple à la démocratie, il s’est de fait mis en porte-à-faux avec son ancien parrain. C’est pourquoi la plupart de ses cadres ont été contraints de quitter la Syrie. Cette position aurait aussi entraîné un rafraîchissement de ses relations avec l’Iran dont Damas est l’un des principaux alliés.
Et c’est aussi par pragmatisme que certains au sein du Hamas souhaitent maintenant activer de nouveaux liens avec le Qatar quand les relations avec la Turquie ou les Frères musulmans d’Egypte et de Tunisie sont plus consensuelles.
Quelles sont les axes d’évolution possibles du mouvement ?
L’un des principaux débats internes au Hamas actuellement touche à son mode d’organisation. Il serait question de remettre en avant son appartenance à l’Association des Frères musulmans (de laquelle il est issu et d’où il puise ses fondements idéologiques) et de créer un parti politique sur le modèle Jordanien (Front d’action islamique, fondé en 1991) ou égyptien (Parti liberté et Justice, plus récent). Cela permettrait ainsi de créer un instrument distinct de la "maison mère", un fusible qui pourrait servir à tenter d’échapper au boycott international qui frappe le Hamas.
Si un tel parti voyait le jour, il lui reviendrait logiquement d’intégrer l’Organisation de libération de la Palestine peut-être même à la place du Hamas. L’OLP est la seule représentation reconnue comme légitime de l’ensemble du peuple palestinien, dans les territoires occupés et dans la diaspora. L’Autorité palestinienne n’est en effet qu’une instance intérimaire en charge de l’autonomie des seules populations de Cisjordanie (moins Jérusalem)-Gaza. Il est donc important que le Hamas et le Djihad islamique intègrent cette organisation. La réconciliation palestinienne est censée déboucher sur une refondation du mouvement palestinien, qui comprend cette recomposition de l’OLP, mais rien pour le moment ne permet de l’envisager sur le court terme.