Dans la période qui a suivi, les attaques n’ont pas manqué, mais nos adversaires ont perdu l’essentiel des batailles qu’ils ont livrées pour tenter de nous faire taire : aucune loi n’est venue assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme comme ils le souhaitaient, la résolution parlementaire proposant d’adopter la « définition IHRA » de l’antisémitisme a été dépouillée des « exemples » et donc de sa partie la plus problématique, et les tentatives de rendre pénalement condamnables les appels au boycott ont reçu le coup de grâce avec l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme de juin 2020.
Alors, nous aurions gagné ? Malheureusement non. Car il reste à nos adversaires une dernière arme qu’ils utilisent sans modération, c’est celle de l’intimidation. C’est l’« effet glaçant », la peur de se faire accuser d’antisémitisme dès que l’on critique l’État d’Israël et la politique qu’il mène contre le peuple palestinien.
C’est cette bataille contre l’intimidation que nous devons maintenant accentuer. Avec toute la clarté qui est la nôtre, mais et en sachant dénoncer l’action de nos adversaires.
Restons clairs et soyons fiers de ce que nous sommes
L’antisémitisme, comme les autres formes de racisme, est à l’opposé de toutes les valeurs que nous avons inscrites dans notre charte et que nous défendons quotidiennement. Deux formes de racisme concernent plus directement notre champ d’action : l’antisémitisme, qui est fortement ancré dans l’histoire de notre pays, de l’Affaire Dreyfus au régime de Vichy, et le racisme anti-arabe, qui renvoie à notre histoire coloniale.
L’antisémitisme nous est tellement étranger, que la tentation est forte de simplement l’ignorer. Les rapports annuels de la CNCDH (la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme), montrent que les préjugés antisémites sont très largement constants dans le temps, et que la situation en Palestine et Israël les font relativement peu évoluer. Mais il a aussi été reconnu une recrudescence des passages à des actes violents dans les périodes d’agression particulièrement visibles des Palestiniens par Israël, et cela doit nous interpeller.
Osons nommer l’antisémitisme, et rappelons que nous le combattons partout où il pourrait interférer avec nos champs d’intervention. Nous mettons une muraille infranchissable face à la mouvance de l’extrême-droite antisémite française, notamment les adeptes de Soral, leurs sites et leurs réseaux sociaux. Nous sommes, dans notre pratique quotidienne, attentifs à nos propres discours et aux réactions que nous pouvons susciter, et nos militants ne laisseront jamais passer une réaction porteuse de préjugés antisémites.
Osons aussi nommer le racisme anti-arabe, rappeler qu’il est systémique en Israël et en Palestine occupée, et que les Palestiniens en sont tous les jours les victimes. Sachons, dans nos pratiques militantes, montrer notre rejet de ce racisme, et notre solidarité avec celles et ceux qui n’osent pas parler de Palestine de peur d’être discriminés. Refusons toute concurrence victimaire, car aucune forme de racisme n’est acceptable, mais n’hésitons pas à nommer chaque racisme par son nom.
Face aux différentes formes de racisme, face aux tentations de repli communautaire, notre combat politique, sur des principes clairs et indépendants de toute appartenance communautaire, n’est certainement pas un problème mais une partie de la solution. Nous sommes clairs dans nos engagements et dans nos pratiques, et nous pouvons en être fiers. Nous avons une base solide pour passer à l’offensive.
Dénoncer les pompiers pyromanes
Nous rejetons toute désignation globalisante et stigmatisante d’une communauté quelle qu’elle soit : l’acteur de l’oppression du peuple palestinien, c’est l’État d’Israël. Il est hors de question pour nous d’en incriminer « les Juifs », ni même les Israéliens juifs en dehors de leur position politique (par exemple les colons) ou de leurs actes, et encore moins les personnes qui se reconnaissent comme juives ailleurs dans le monde.
Cependant, il faut bien constater que dans cette distinction fondamentale, le pouvoir israélien et les organisations communautaires juives en France ne nous facilitent pas la tâche…
Du côté israélien, la loi État-nation du peuple juif de juillet 2018 donne une valeur constitutionnelle à la suprématie d’un mythique « peuple juif » qui serait détenteur de tous les droits en Israël et Palestine, et promeut la colonisation juive comme une valeur nationale. Les colons qui chassent les Palestiniens de leurs terres se définissent eux-mêmes comme juifs avant d’être israéliens. Cette conception ethno-centrée et suprémaciste de l’État d’Israël prend en otage l’ensemble des personnes qui, dans le monde, estiment avoir une part d’identité juive.
En France, des organisations communautaires juives, et notamment le CRIF, ont entrepris de relayer continuellement la politique israélienne, notamment dans son déni des droits du peuple palestinien. Dans une démarche organisée, notamment depuis la mission donnée au ministère israélien des Affaires stratégiques en février 2016, elles sont parties prenantes d’une entreprise de délégitimation et d’intimidation contre les organisations, les élu·es, ou personnalités, qui osent critiquer l’État d’Israël et sa politique criminelle.
Chaque personne de conscience doit prendre la mesure du danger que représente une telle politique pour la cohésion de notre société et pour notre vivre-ensemble. Ils se prétendent pompiers, et ils se comportent comme des pyromanes. Les Français qui se sentent une part d’identité juive, même s’ils refusent cette assignation identitaire, devraient réfuter publiquement ces dérives, il faudrait que se lève à nouveau la voix du « pas en notre nom ».
Quant à l’État français, il ajoute à la confusion en acceptant de mêler le pouvoir israélien à la lutte contre l’antisémitisme en France. L’invitation du Premier ministre israélien par Emmanuel Macron en juillet 2017 pour la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv, sa déclaration en cette occasion sur l’antisionisme, sont à l’exact opposé de la clarté nécessaire pour une lutte déterminée, en France, contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme.
Face aux tentatives d’intimidation, des succès réels et un combat à continuer
Nous ne sous-estimons pas la puissance que constitue le réseau d’influence pro-israélien en France, et un article y est consacré dans ce dossier. Mais sachons aussi mesurer les succès que nous avons remportés, collectivement et avec nos partenaires.
Qui parle encore de combattre frontalement, voire d’interdire, l’antisionisme ? Qui ose encore contester vraiment le droit d’appeler au boycott et affirmer qu’il est interdit en France ?
Quant à la définition « IHRA » de l’antisémitisme, elle se heurte à de fortes résistances à l’ONU, et si elle est citée dans le plan national français de lutte contre le racisme, aucun de ses « exemples » controversés n’est utilisé ni cité dans ce plan.
Nos adversaires ont voulu empêcher Salah Hamouri de s’exprimer, nous avons réagi dans l’unité après l’annulation de sa première conférence à Lyon. Partout où ses interventions ont été programmées, elles se sont déroulées avec succès, malgré les ingérences souvent grossières de l’ambassade d’Israël et d’organisations communautaires. Nos adversaires n’ont pas d’autre argument que la reproduction servile du narratif israélien.
La constance et la clarté de nos actions, les alliances au sein desquelles nous les menons, sont la réponse essentielle aux tentatives d’intimidation.
Nous devrons aussi savoir interpeller plus directement pour leurs actes les soutiens inconditionnels de l’État d’Israël. Ils osent fouler aux pieds le droit international, être complices de l’oppression de tout un peuple, soutenir un gouvernement ouvertement fasciste. Ils sont dangereux pour celles et ceux qu’ils prétendent défendre ou représenter. Ils sont dangereux pour notre idéal démocratique et l’avenir du « vivre ensemble ». Ce sont eux qui ont un sérieux problème à régler, pas nous !
Nous devrons les interpeller de manière ciblée, sans nous en prendre aux personnes, ni aux organisations pour ce qu’elles sont, mais pour leurs prises de position et pour leurs actes. Nous devons le faire avec la volonté de changer la donne, ici en France, c’est ce que nous devons à nos amis palestiniens !
BH