[1] la suite de l’entretien traite des relations avec la Chine, le Pakistan, la Russie, l’Amérique latine et l’Europe :
Avec la Chine, une transition en douceur
Les relations entre Obama et Pékin devraient être relativement sereines alors que Washington va avoir un besoin accru de coopération économique.
Barack Obama a pu critiquer lors de sa campagne les pratiques commerciales chinoises, jamais il ne l’a fait en termes durs. Ses discours n’ont pas non plus comporté d’attaques particulièrement virulentes contre la Chine, contrairement à trois de ses quatre prédécesseurs depuis les années 80 : George W. Bush, Bill Clinton et Ronald Reagan, George Bush père ayant fait exception.
Avec l’émergence de la Chine, note l’Indien Bahukutumbi Raman, du Chennai Center for China Studies, « on ne peut plus se permettre d’être contre elle ». Et avec une montagne de problèmes graves à affronter, il est certain que l’ampleur du déficit commercial des États-Unis avec la Chine ou la modernisation de l’Armée populaire de libération ne seront pas prioritaires pour M. Obama.
« Cela devrait être une transition en douceur. Obama n’est pas un président qui a fait campagne contre la Chine », confirme David Zweig, expert en relations extérieures chinoises à la Hong Kong University of Science and Technology. « Ce pourrait même être la transition la plus douce depuis 1980 », estime-t-il. « Avec la crise économique arrivée aux États-Unis, l’aide de la Chine sera demandée », prédit en outre M. Raman, basé à Madras.
Si les violations des droits de l’homme resteront évidemment une source de frictions, Obama ne devrait pas en faire un casus belli, selon Jérôme Cohen, expert au US Council on Foreign Relations, à Washington. « Je m’attends à voir Obama se rapprocher de la Chine plus tôt que la plupart des autres présidents », déclare M. Cohen, ajoutant que le président pourrait même se rendre en visite à Pékin dès le début de son mandat.
Enfin, certains prévoient une meilleure coopération sino-américaine dans le domaine de l’environnement. Obama, qui a appelé à des réductions des émissions de gaz à effet de serre américaines, pourrait obtenir un soutien de la Chine, qui demande des efforts aux pays industrialisés, estime Zhu Feng, vice-directeur du Center for International and Strategic Studies à l’Université de Pékin. « Il s’agit des deux pays plus gros émetteurs de gaz à effet de serre », relève M. Zhu, « cela pourrait ouvrir la voie à un nouveau champ de coopération », avec éventuellement des transferts de technologie.
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Un encouragement au Pakistan pour combattre l’extrémisme ?
En dépit du discours de fermeté affiché par Barack Obama, qui a adhéré à l’idée de frappes contre les cibles terroristes au Pakistan, l’arrivée d’un démocrate à la Maison-Blanche suscite à Islamabad l’espoir d’une nouvelle approche dans la lutte contre l’extrémisme. Pour certains analystes, l’élection d’Obama pourrait même encourager Islamabad à prendre en main la lutte contre les insurgés, consolidant de ce fait la fragile démocratie pakistanaise. « L’élection d’Obama sera d’une aide précieuse pour la préservation de la démocratie au Pakistan », estime Talat Masood, général à la retraite et expert militaire. « Il est de la plus haute importance pour les démocrates de voir le Pakistan progresser vers plus de démocratie et lutter contre l’extrémisme », explique-t-il, en soulignant « qu’Obama va attendre du Pakistan qu’il agisse par lui-même afin de combattre l’extrémisme ».
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Après la victoire d’Obama, Moscou joue l’intimidation
Dmitri Medvedev veut pousser Washington à renoncer à son bouclier antimissile.
Au lendemain de la victoire de Barack Obama, le président russe Dmitri Medvedev s’est lancé, lors de son discours à la nation, dans une virulente diatribe antiaméricaine, accusant Washington d’être à l’origine de la crise financière internationale et de la guerre en Géorgie. Le chef du Kremlin a également annoncé le déploiement de missiles Iskander à Kaliningrad, une enclave russe entre la Pologne et la Lituanie, afin de « neutraliser » les éléments du bouclier antimissile américain qui doivent être installés en Pologne et en République tchèque.
Moscou s’est opposé, en vain jusqu’à présent, à ce projet de bouclier américain, qu’il juge contraire à ses intérêts vitaux. Exaspérée, la Russie pourrait pousser au-delà des 500 km la portée de la version modernisée de l’Iskander, à l’origine de 280 km, rendant ainsi caduc le traité russo-américain de 1987 sur l’interdiction des Forces nucléaires intermédiaires (FNI). Après la suspension par Moscou du traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE), cela constituerait un nouveau détricotage des accords de désarmement de l’après-guerre froide.
S’il alimenterait ainsi le raidissement des rapports entre Occidentaux et Russes, le déploiement de ces missiles ne changerait pas en soi la donne militaire. « Ce projet de déployer des Iskander, en place des vieux Totchka, dans la région de Kaliningrad remonte en fait à 2000. Il n’a été retardé que par un manque d’argent », explique Joseph Henrotin, du Réseau d’études stratégiques (RMES) belge. Même le Premier ministre polonais Donald Tusk, dont le pays est directement visé, a vu dans les déclarations de M. Medvedev plus « un acte politique que militaire ».
Toutefois, les analystes divergent sur la réaction de la future administration américaine au ton intransigeant de M. Medvedev. Pour François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche sur la sécurité (FRS) de Paris, « la manœuvre d’intimidation des Russes risque de se retourner contre eux ». « S’ils s’attendent à ce que les États-Unis renoncent à déployer leur bouclier, ils font fausse route », dit-il. Certes, les démocrates n’ont jamais été aussi enthousiastes que les républicains de l’administration Bush pour le coûteux projet de bouclier antimissile américain en Europe continentale. Mais « Obama est ultrasensible à tout ce qui paraît donner de lui l’image d’un type facile à intimider », son manque d’expérience internationale ayant été dénoncé comme un handicap par ses adversaires durant la campagne présidentielle, a noté M. Heisbourg. « Il ne va pas au début de son mandat vouloir donner l’impression qu’il peut se laisser bousculer », a-t-il prédit.
Selon Andrew Cuchins, directeur pour la Russie et l’Eurasie au Center for Strategic and International Studies à Washington, même si le Kremlin a commis une nouvelle erreur de « relation publique », cela ne doit toutefois pas empêcher la nouvelle administration américaine de changer d’approche avec Moscou. « Une diplomatie qui ne marche pas avec la Russie n’est pas viable », estime-t-il. « Nous n’avons pas su prendre en compte les préoccupations de sécurité russes. Si nous ne le faisons pas, pas moyen d’avancer sur les questions de contrôle des armements et de prolifération », dit-il, évoquant notamment la nécessité de « convaincre les Iraniens du sérieux de la coopération russo-américaine ». « Je pense que l’on peut et que l’on doit faire plus d’efforts pour inclure les Russes dans une stratégie de défense antimissile en pleine évolution en Europe », conclut l’expert américain.
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L’Amérique latine en quête d’un véritable interlocuteur
La victoire d’Obama a fait naître l’espoir en Amérique latine de relations apaisées avec le puissant voisin du Nord.
Lors de sa campagne électorale, Barack Obama avait affiché sa volonté de réviser les relations avec l’Amérique latine, où les gouvernements sont majoritairement de gauche. Il s’agira pour lui de gérer une crise en cours avec le Venezuela et la Bolivie, une hostilité grandissante du côté de l’Équateur et du Nicaragua, et la question de l’embargo que les États-Unis imposent à Cuba depuis 1962.
Au premier rang du clan des « anti-impérialistes », Obama va trouver le bouillant Vénézuélien Hugo Chavez, bête noire de l’administration précédente. M. Chavez s’est dit disposé à rencontrer M. Obama, mais « avec respect » et « d’égal à égal », assurant qu’il ne lui demandait pas d’être « révolutionnaire » ou « socialiste », mais « à la hauteur de l’histoire ».
Selon Pablo Kornblum, professeur d’économie internationale à l’université argentine John F. Kennedy, « animé d’une vision plus progressiste et conciliatrice, Obama tentera de conclure des accords économiques consensuels et de parvenir à une amélioration générale en termes diplomatiques ». L’Amérique latine connaît un processus de changements dans le cadre d’initiatives d’intégration telles que l’Union des nations sud-américaines (Unasur) que les États-Unis ne sauraient ignorer, relèvent les experts. Avec le président élu Obama, « l’ère de l’intervention et de l’agression des États-Unis est révolue », estime Omar Galindez, professeur à l’École des hautes études diplomatiques Pedro Gual du Venezuela. L’avènement de M. Obama pourrait être l’occasion de réexaminer les accords commerciaux et les relations diplomatiques sur de nouvelles bases.
À Cuba, cette victoire apporte l’espoir d’un assouplissement de l’embargo, voire de « relations normales et respectueuses », a affirmé le ministre cubain des Relations extérieures, Felipe Perez Roque. Pour la Bolivie d’Evo Morales – qui a établi des relations diplomatiques avec l’Iran, expulsé l’ambassadeur américain et rompu sa coopération dans la lutte antidrogue avec Washington – « avec Obama s’ouvre une opportunité d’assouplissement et de changement », juge l’analyste Carlos Cordero. Adoptant le même ton, le chef d’État équatorien Rafael Correa, qui a rejeté le Traité de libre-échange (TLC) avec les États-Unis, a admis que Barack Obama constituait « une surprise », son discours se révélant « plus proche » de ses propres positions. En Argentine, la présidente Cristina Kirchner a relevé la « personnalité, le discours et la façon d’appréhender les choses absolument différentes » du président élu américain.
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Les Européens pleins d’espoir
Les Européens espèrent que la victoire de Barack Obama permettra d’instaurer un « new deal » entre les États-Unis et l’Europe.
Cinq ans après la brouille entre Paris et Washington provoquée par l’intervention américaine en Irak, le président français Nicolas Sarkozy a été le premier à adresser des félicitations élogieuses à Barack Obama. « Au moment où nous devons faire face tous ensemble à d’immenses défis, votre élection soulève en France, en Europe et au-delà dans le monde un immense espoir. Celui d’une Amérique ouverte, solidaire et forte qui montrera à nouveau la voie, avec ses partenaires, par la force de l’exemple et l’adhésion à ses principes », s’est ainsi réjoui Nicolas Sarkozy, qui préside l’Union européenne. Qualifiant sa victoire d’historique, la chancelière allemande Angela Merkel a, elle, souligné « l’importance et la valeur de notre partenariat transatlantique », en invitant M. Obama en Allemagne. Le Premier ministre britannique Gordon Brown, dont le pays est traditionnellement en Europe le plus proche des États-Unis, a aussi fait valoir combien « la relation entre les États-Unis et le Royaume-Uni est vitale pour notre prospérité et notre sécurité ».
À quelques jours d’un sommet du G20 à Washington dont les Européens espèrent qu’il jettera les bases d’une refonte du système financier international, la crise financière est le premier dossier sur lequel les Européens attendent Barack Obama, même s’il ne prendra ses fonctions qu’en janvier. « Nous devons transformer la crise actuelle en occasion. Nous avons besoin d’un “new deal” pour un nouveau monde. J’espère sincèrement que sous la direction du président Obama, les États-Unis joindront leurs forces à l’Europe pour mener à ce “new deal” », a déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.
Lundi, le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner avait mis la touche finale, avec ses 26 homologues de l’Union européenne, à un cahier de doléances à l’intention du futur président américain. Engagement des États-Unis – l’un des premiers pollueurs de la planète – face au réchauffement climatique, processus de paix au Proche-Orient, ouverture envers Téhéran pour régler le problème nucléaire iranien, moins de dureté avec Moscou : sur tous ces dossiers, les Européens espèrent qu’Obama tranchera avec son prédécesseur. Et plus généralement, qu’il jouera plus « collectif » que George Bush, souvent accusé d’« unilatéralisme ». Mais ces espoirs risquent d’être déçus, selon les analystes. Ils ont prévenu que Barack Obama devrait d’abord se consacrer aux problèmes intérieurs américains et qu’il ne pourrait pas révolutionner la politique étrangère américaine.