Dans ce conflit, les Etats-Unis disaient assurer, depuis vingt-six ans, le rôle d’« honnête intermédiaire ». C’en est fini de cette ambition. La présidence de Barack Obama aura entériné un mouvement amorcé depuis les années 1990 : Washington abandonne, de facto.
Pour tenir le rôle avec une chance de succès, il faut tordre le bras des uns et des autres. La Maison Blanche ne veut plus. La position de départ de l’Amérique a changé. Elle se refuse a priori à la moindre contrainte sur Israël. L’air attristé, « Barack le fataliste » endosse une posture d’impuissance et dit à ses alliés israéliens : vous allez dans le mur, mais je laisse faire.
Depuis trop longtemps, Washington tolère la politique de la droite israélienne – l’accroissement continu des colonies en Cisjordanie. Ce n’est pas une approbation, plutôt un acquiescement résigné à l’annexion rampante de ce territoire palestinien.
Acquiescement résigné
Fin mars, devant la conférence annuelle du lobby israélien américain – l’American Israeli Political Affairs Committee (Aipac) –, la plupart des candidats au scrutin présidentiel de novembre ont renchéri sur cette nouvelle ligne. Il ne faut plus rien « imposer » à Israël. L’Aipac se veut un groupe de pression bipartisan, mais il a glissé vers la droite. Il s’est aligné sur la rhétorique de la majorité ultranationaliste de Benyamin Nétanyahou. Dans ses composantes les plus radicales, elle récuse la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Sa priorité est au contraire de mener une politique active de colonies en Cisjordanie.
Outre-Atlantique, le Parti républicain y adhère d’autant plus volontiers qu’il est, depuis vint-cinq ans, sous l’influence de chrétiens fondamentalistes. Ceux-là puisent dans la lecture de La Genèse l’une de leurs convictions : le Messie reviendra sur Terre lorsque les juifs auront repeuplé la Judée et la Samarie (appellation biblique de la Cisjordanie, territoire palestinien qu’Israël occupe depuis 1967). Conclusion : vive les colonies ! La droite chrétienne républicaine américaine est devenue l’une des composantes du mouvement des colons israéliens.
Devant la conférence annuelle de l’Aipac, fin mars à Washington, les candidats républicains ont collé à la ligne de la majorité au pouvoir à Jérusalem. Ils ont été au-delà de la réaffirmation de l’alliance stratégique et affective entre Israël et les Etats-Unis. Ni Ted Cruz ni Donald Trump n’ont dénoncé la poursuite de la colonisation. Ils ont stigmatisé la « rhétorique de haine » entendue chez les Palestiniens.
Plus pro-Nétanyahou que « Bibi », ils ont juré qu’ils auraient pour priorité, une fois à la Maison Blanche, de démanteler l’accord sur le nucléaire iranien conclu par l’administration démocrate. La salle a ovationné Donald Trump quand il a lancé que Barack Obama « a été la pire chose qui soit jamais arrivée à Israël ». Le lendemain, la présidente de l’Aipac, Lillian Pinkus, a présenté ses excuses à la Maison Blanche. Mais sur la question palestinienne, la démocrate Hillary Clinton ne s’est guère distinguée de ses concurrents républicains. La paix n’est pas une priorité. A peine signale-t-elle que ladite paix suppose que « chacun fasse un bout de chemin en évitant des actions dommageables, y compris en ce qui concerne les implantations ».
L’unique note de discorde est venue de Bernie Sanders, le seul des candidats à être juif. Il dénonce la corruption de la politique américaine par les groupes de pression qui financent les campagnes électorales. Il n’est pas allé à la conférence de l’Aipac. Il a dit que sa profonde amitié pour Israël lui imposait de condamner radicalement la politique de Nétanyahou en Cisjordanie. Son geste confirme une prise de distance d’une partie de la communauté juive à l’égard de l’Aipac. Représentant 1,5 % des électeurs environ, les juifs américains votent démocrate – et, deux fois de suite, ils ont majoritairement donné leurs voix à Barack Obama.
Première secrétaire d’Etat du président, Hillary Clinton n’a rien fait sur le Proche-Orient. Son successeur, John Kerry, lui, s’est battu. En vain. Barack Obama quittera la Maison Blanche sans avoir fait progresser la paix. Il a musclé la coopération sécuritaire entre Israël et les Etats-Unis, mais baissé les bras devant la poursuite des implantations. Dans le New York Times du 10 avril, l’historienne Lara Friedman pointe cette réalité comptable : les Etats-Unis condamnent de moins en moins la colonisation de la Cisjordanie. A regret, l’Amérique prend son parti d’une politique qu’elle juge tragique mais qu’elle estime ne pas pouvoir contrer – comme osèrent le faire, en leur temps, Ronald Reagan et George Bush senior.
Devant l’Aipac, le vice-président, Joe Biden, a été très franc. En Cisjordanie, « l’extension continue et systématique des colonies, la saisie des terres », a-t-il dit, tout cela « mine la perspective de la solution dite des deux Etats » que prône Washington. « Tel est mon point de vue, a-t-il ajouté. Je sais que ce n’est pas celui de “Bibi”. » Complicité de facto ou impuissance assumée ?