Mercredi, parmi les gros titres de la presse israélienne, une information détonne. Le gouvernement vient d’approuver la construction de milliers de nouveaux logements en Cisjordanie : à destination des colons, comme les milliers d’autres lotissements qui y sont construits chaque année. Mais aussi, plus inédit, à destination des Palestiniens. De loin, la nouvelle peut sembler incongrue : entre 2016 et 2018, les autorités israéliennes n’ont accordé que 21 permis de construire palestiniens en zone C, tout en ordonnant la démolition de plus de 2 100 de ces propriétés, selon des données rapportées par le quotidien Haaretz. Pourquoi le gouvernement israélien, dirigé par un Premier ministre qui se trouve être un ancien représentant des colons, s’aventure donc dans cette entreprise qui risque de lui attirer les foudres d’une partie de son électorat d’extrême droite ? La réponse tient d’abord à la fragilité de sa coalition au pouvoir depuis le 13 juin dernier, qui menace à tout moment de plier sous le poids des désaccords politiques et des grands écarts idéologiques. L’exécutif a certes surpris au cours des dernières semaines par sa capacité à gouverner à coups de compromis, alors que beaucoup d’observateurs le pensaient condamné à la paralysie. Il est notamment parvenu à adopter un budget au début du mois pour la première fois depuis trois ans, et alors même que le blocage sur ce dossier avait mené à la chute du gouvernement Netanyahu en décembre 2020.
Mais malgré cette victoire symbolique – qui doit néanmoins être entérinée par le Parlement en novembre – le « gouvernement du changement » reste un vaste melting-pot idéologique qui tient avant tout par sa volonté de maintenir un front commun contre l’opposition désormais menée par un Benjamin Netanyahu déterminé à tout pour faire barrage. Comme en juillet, lorsque le Likoud s’était opposé au renouvellement d’un amendement datant de 2003 qu’il avait jusque-là systématiquement soutenu, tandis que les différents partis de la coalition échouaient à unifier leur rang. À y regarder de plus près donc, l’annonce de mercredi est loin d’être anodine. Elle est au contraire représentative d’une stratégie adoptée par le nouvel exécutif israélien qui cherche, avant tout, à survivre. D’abord, en tentant de rassurer l’allié américain en amont de la première visite officielle du Premier ministre Naftali Bennett à Washington d’ici à la fin du mois. Ensuite, en ménageant les différentes composantes de sa majorité, qui rassemble des ministres issus de la droite ultranationaliste, mais aussi de la gauche sioniste, dont Meretz et le Parti travailliste, deux partis attachés à la solution à deux États et opposés à la poursuite de la colonisation. L’annonce viserait dans cette optique à « rendre légitime » l’expansion des colonies, notamment en anticipant l’émergence d’une opposition de gauche, estime un officiel israélien dans des propos confiés à Haaretz.
Car s’il s’agit du premier projet de construction validé à l’est de la ligne verte depuis l’entrée en fonctions du gouvernement mené par le chef de fil du parti de droite radicale Yamina, c’est surtout le premier plan mis en œuvre pour les Palestiniens en zone C, suite à l’abandon de deux projets avortés en 2017 et en 2019. Outre les 2 200 nouvelles unités dans les colonies juives, le projet comprendra 863 unités de logement répartis dans 5 villages palestiniens de la zone C, un secteur qui représente 60 % de la Cisjordanie et qui est contrôlé sur le plan civil et sécuritaire par les autorités israéliennes depuis les accords d’Oslo. Ces derniers avaient divisé le territoire en zone A (les grands centres urbains palestiniens, contrôlés par les autorités palestiniennes), B (zone mixte, contrôle sécuritaire israélien, civil palestinien) et C, où progressent depuis 1967 les colonies de peuplement juives.
Une étape dangereuse
Le nouveau projet rendu public il y a quelques jours n’en est certes qu’à une étape préliminaire. Il devra, avant d’être mis en exécution, être examiné par la commission de planification de l’administration civile israélienne en Cisjordanie, la semaine prochaine, avant d’être ouvert au public pour commentaire. Mais avant même d’être finalisée, l’annonce a provoqué des réactions de part et d’autre du spectre politique. Côté colons, le nombre de nouveaux logements prévu est jugé trop faible, tandis que la construction d’unités dans les villages palestiniens est une nouvelle difficile à digérer. Les communautés juives de Cisjordanie avaient été habituées à des politiques plus généreuses au cours des derniers années : les méthodes musclées de l’ancien Premier ministre s’étaient traduites par la construction de 12 159 unités de logement, rien qu’en 2020. Les derniers plans de construction à avoir été validés par l’administration civile, en octobre 2020, prévoyaient à eux seuls la mise en chantier de près de 5 000 nouveaux logements. Les précautions du gouvernement n’auront pas non plus empêché les critiques d’émerger à gauche, notamment du côté de Meretz qui, dans une lettre adressée au ministre de la Défense Benny Gantz, s’élève contre le projet qui représente « une étape dangereuse » susceptible de bloquer un possible futur accord « durable et permanent » avec les Palestiniens.
À l’image du gouvernement qui l’a portée, cette décision est donc le fruit d’un brassage d’idées parfois contradictoires. Depuis 1967, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont systématiquement soutenu les politiques de colonisation en Cisjordanie, certes de manière plus ou moins assumée. Mais c’est la première fois aujourd’hui qu’un exécutif assume le projet colonial, tout en maintenant une politique de la main tendue à l’intention de l’Autorité palestinienne et des communautés arabes israéliennes. Car l’annonce est à lire dans le contexte plus large d’une volonté politique de clarifier sa position vis-à-vis de l’Autorité palestinienne en lui offrant des gages de bonne volonté, comme lors d’une récente décision visant à faciliter l’obtention de permis pour les travailleurs palestiniens en Israël. Et ce, alors qu’une entreprise de séduction à l’intention des citoyens palestiniens d’Israël a été lancée par le gouvernement qui, dès juin, avait annoncé que de nouveaux budgets seraient alloués à la gestion de ces communautés, notamment afin de lutter contre les taux élevés de criminalité. Reste à savoir jusqu’à quand les manœuvres du nouvel exécutif lui permettront de résister à ses propres contradictions internes.