Après tant de livres falsificateurs, voici un livre que nous avons failli vous conseiller sans réticence.
Gérard Dhôtel, auteur jeunesse prolixe, s’est attaqué à la question et les références qu’il donne (Alain Gresh, Dominique Vidal, Elias Sanbar, Farouk Mardam Bey, Avi Mograbi, et même Tom Segev, Juliano Mer Khamis, Eric Hazan ou Eyal Sivan) nous ont mis l’eau à la bouche.
Dans cette collection Actes Sud Junior, un livre écrit « pour tous les collégiens et tous les lycéens qui se sentent concernés » non seulement ne prétend pas à la neutralité ou à l’objectivité, mais il est dédié à Ouzi Dekel, le refuznik auteur des Tagueurs de Jabalya.
Ce livre essaie en 140 pages de faire le tour de la question de façon compréhensible.
A l’inverse de bien des ouvrages qui se veulent « équilibrés », il n’oublie pas que le Mur n’a pas un tracé suivant la ligne verte, il n’oublie pas qu’il est condamné par la Cour pénale Internationale, il ne donne pas foi à « l’offre généreuse » de Barak à Camp David,. Il sait rappeler que résistance et terrorisme sont des mots à utiliser avec précaution... On pourrait donner d’autres exemples de cette volonté de s’approcher de la vérité dans la présentation du problème.
Toutefois, une lecture attentive montre qu’en de nombreux cas, peut-être par « facilité de langage », peut-être par volonté de faire simple, c’est le discours dominant, le discours des dominants, qui subrepticement reprend le dessus.
Ca commence d’entrée. Dans la chronologie proposée au début de l’ouvrage (page 11), on peut lire :
– « 1948 : Naissance d’Israël. Première guerre israélo-arabe (jusqu’en octobre 1949. Cette catastrophe (al-Nakba) provoque l’exode de 750 000 Palestiniens. »
C’est page 44 qu’on pourra lire que les expulsions ont commencé avant le 15 mai 1948, que ce n’est pas la guerre qui est la catastrophe.
Plus loin
- « Septembre 1970 : Les* Palestiniens réfugiés en Jordanie tentent d’y prendre le pouvoir. Ils sont écrasés par le roi Hussein et chassés. »
C’est page 83 que le « Septembre noir » déclenché par le roi Hussein est présenté comme une décision du roi d’en finir avec les Palestiniens où « les plus radicaux* ont tenté de prendre le pouvoir ». Même cette formule est discutable.
Et ça continue avec un premier chapitre sur l’histoire du judaïsme qui reprend sans distance le récit biblique - Shlomo Sand ne fait pas partie des références ! Le texte n’est pas très clair sur l’histoire de la diaspora. D’emblée, page 14, « l’Etat d’Israël a permis à de nombreux juifs de regagner la « Terre promise » ». La Terre promise est bien entre guillemets, pas le verbe « regagner ». Page 16, le récit biblique est bien pris comme une vérité historique. Ensuite, le caractère prosélyte de la religion dans les premiers siècles « de notre ère » n’est pas signalé, aboutissant immanquablement à la conclusion « pendant tous les siècles qu’a duré leur exil, nombre de juifs ont conservé l’espoir d’un retour* sur la terre promise. Ce rêve donnera naissance au sionisme ».
On part de l’histoire du judaïsme, les Hébreux et la Terre Promise, le sionisme qui s’appuie sur les fondements de cette histoire… pour arriver LOGIQUEMENT à l’Etat hébreu, expression reprise plusieurs fois dans le texte…
Le jeune lecteur qui lit ça pensera inconsciemment que les Juifs reviennent sur une terre qui est à eux, puisqu’ ils en parlent depuis 2000 ans dans leurs prières. Là est la grande force de la propagande israélienne et l’auteur -inconsciemment peut-être, là encore- y souscrit.
D’autres exemples ?
Page 24, le « sentiment national » palestinien « ne naitra véritablement qu’avec la création d’Israël ». C’est pour le moins un point de vue discuté. Gérard Dhôtel a-t-il vraiment lu Elias Sanbar ?
Page 27, l’antisémitisme en France est présenté avec les yeux de Hertzl ; « en France, l’antisémitisme prend une tournure particulièrement violente après la guerre de 1870 ». Loin de nous l’idée de le sous-estimer, mais aussi détestable qu’il soit, aussi institutionnel qu’il soit avec l’Affaire Dreyfus, reconnaissons qu’il a fait moins de morts que les pogroms dans l’est européen.
Et ça se reproduit dans la présentation de la Shoah. « Dès le début 1942, des populations entières de juifs sont déportées dans des camps d’extermination, tous situés en Pologne. Dans de nombreux pays occupés, cette politique ne rencontre aucune opposition*. Pire : en Pologne, en Roumanie, en France, elle bénéficie d’une collaboration active de la part des autorités. »
Collaboration des autorités de Vichy, assurément. Mais « aucune opposition » ? Si 75% des Juifs en France ont échappé à la déportation, c’est bien qu’il y a eu des phénomènes d’entraide qui n’ont pas été simplement le fait de quelques Justes isolés. C’est le sionisme qui défend cette idée car elle justifie le « retour » en Israël.
Un autre raccourci ?
Page 61, à propos de l’expédition de Suez , Dhôtel dit que la France y voit « l’occasion d’en finir avec le colonel Nasser, principal soutien aux nationalistes algériens (qui réclament l’indépendance depuis 1954) ». Si novembre 1954 marque le début de l’insurrection armée en Algérie, dire que les nationalistes n’ont jamais réclamé l’indépendance auparavant correspond au discours officiel des gouvernements français de l’époque, qui n’ont rien entendu des manifestants de Sétif le 8 mai 1945, pour ne pas remonter plus loin !
Un exemple de confusion ?
Page 91, Gérard Dhôtel dit bien que « les colonies sont illégales au regard du droit international » (c’est lui qui souligne). Mais page 95 il écrit « Il y a 124 colonies dites officielles, construites avec l’agrément des autorités, plus une centaine d’avant-postes, qui sont en fait des implantations illégales. » Alors qu’il aurait dû écrire « illégales aux yeux mêmes des autorités israéliennes ».
On soulignera également des manques importants :
– concernant les communautés juives qui vivaient dans les pays arabes, en général sans problèmes majeurs (en comparaison en tous cas à ce qui se passait en Europe) et qui ont subi une intense propagande de la part des sionistes pour les amener à s’installer en Israël – où souvent ils seront d’ailleurs l’objet de fortes discriminations
– concernant la société israélienne, très fragmentée, théocratique … qui justifie par l’impératif de la sécurité des pratiques de plus en plus anti démocratiques
– sur le rôle des colonies, constante de la politique israélienne
– sur les raisons du soutien des Etats-Unis et de l’Europe, à peine traitées...
Bref, vous l’avez compris, ce livre qui risque d’être acquis par de fort nombreux CDI de collège et de lycée est fort agaçant [1], les intentions louables étant gâchées par tant d’approximations.
Annie Najim, André Rosevègue (Palestine 33)
DHOTEL, Gérard.- Israël Palestine, une terre pour deux .- illustrations d’Arno.- Actes Sud Junior, 2013. 139 p., 14 euros.
* les mots marqués d’une astérisque sont soulignés par nous.