L’Assemblée générale de Nations unies est l’occasion de faire le point sur le dossier palestinien. Le président américain Barack Obama a rencontré le Palestinien Mahmoud Abbas. Barack Obama a reconnu ne pas se faire d’illusions sur la difficulté d’arriver à la paix entre Palestiniens et Israéliens. Les États-Unis ont poussé à la reprise des négociations directes israélo-palestiniennes pour une durée de neuf mois. Nabil Shaath, un des négociateurs palestiniens et responsable des relations internationales du Fatah, est pour le moment à Bruxelles. Nous l’avons interrogé sur l’avancement du processus et sur la stratégie de l’Autorité palestinienne.
Vingt ans après les accords d’Oslo, quelle était l’utilité de relancer le processus de paix israélo-palestinien, alors que beaucoup estiment que ces accords sont morts ?
Les accords d’Oslo sont dans le coma, pas morts. Les principes sur lesquels ils sont basés sont irremplaçables : des négociations menant, dans un délai déterminé, à un Etat palestinien indépendant, côte-à-côte avec Israël. Il n’y a pas d’alternative. L’idée d’un Etat d’apartheid unique, c’est quelque chose d’impossible. Les Israéliens exigent un Etat exclusivement pour les juifs. Donc, il faut la solution à deux Etats. Mais M. Netanyahou a abandonné la mise en œuvre des accords d’Oslo. Lorsque nous avons démarré en 1993, il y avait beaucoup de détermination et d’espoir. Il y avait deux dirigeants qui s’étaient combattus et avaient décidé de faire la paix ensemble : Arafat et Rabin. J’ai assuré le suivi et j’ai été le premier ministre palestinien des Affaires étrangères. De 1994 à 1996, les choses ont avancé. Le monde nous aidait, nous construisions notre économie. Mais les choses ont changé. M. Rabin a fait face à une grande opposition de la droite israélienne. Il gouvernait avec une majorité très étroite. La dernière année de sa vie, il a commencé à retarder la mise en œuvre du processus. Et ce retard a été fatal. Ensuite, ils l’ont tué. Et ceux qui l’ont tué étaient encouragés par M. Netanyahou, qui traitait M. Rabin de traître. Le meurtre de M. Rabin, suivi par celui de M. Arafat, a vraiment compromis le processus de paix. Particulièrement, les élections suivantes qui ont apporté son antithèse, M. Netanyahou, qui a passé 4 ans à tout retarder et rendre impossible une avancée. La dynamique s’est inversée. Tout devenait prétexte à l’échec. Bien sûr, les Etats-Unis ont condamné les activités de colonisation. Ce qui est vrai ! Elles démontrent que les Israéliens n’acceptent pas d’échanger les territoires contre la paix. Quand ils confisquent des territoires pour construire des colonies en Cisjordanie ils disent : " Je ne pars pas, c’est à moi... "
Pour les Palestiniens, cette colonisation était un obstacle aux négociations. Pourquoi avoir accepté de reprendre les discussions alors que la colonisation continue ?
Nous sommes un petit peuple, avec des moyens matériels limités. Nous avons décidé d’abandonner la violence. Les pressions sont venues des Américains, des Israéliens, et aussi des Européens, des Arabes, des Russes. Tout le monde nous a dit : "vous devriez essayer, ne ratez pas l’occasion, il y a quelque chose à faire..." Mais il n’y a jamais eu de succès dans le processus de paix sans de sérieuses pressions des Américains.
Donc, il n’y a pas vraiment d’espoir que ça aboutisse à un résultat ?
Voyez les problèmes en Egypte, en Syrie... Au mieux, toute la région est en métamorphose, au pire dans l’apocalypse. Entre les deux, vous ne pouvez pas dépendre de vos voisins. Si les Israéliens arrêtaient de nous transférer le produit de nos taxes, si les Américains nous coupaient les fonds, je ne crois pas que les Arabes sont prêts à prendre le relais. Ce serait difficile de mener un long bras de fer, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises auparavant. Donc, attendre 6 ou 9 mois ne semble pas la pire option. S’il n’y a pas de progrès après 9 mois, nous devons retourner à l’ONU et au modèle sud-africain de résistance non-violente et d’activisme international. Nous devons aussi réunifier Gaza et la Cisjordanie. Ce sont trois choses importantes à réaliser si les négociations échouent. Je voudrais qu’elles réussissent ! Mais comment ? Où est la volonté ou la capacité de mettre la pression sur M. Netanyahou pour qu’il reconnaisse une chose : la Cisjordanie et Gaza ne sont pas israéliennes, ce sont des territoires palestiniens. Les négociations portent sur ce qu’il faut faire après leur retrait. Pas quelle part de la Palestine ils vont avaler…
Le président Abbas est à New York, où il rencontre le président américain et d’autres partenaires. Mais la position de faiblesse dont vous parlez n’est-elle pas un danger pour la Palestine ?
Il y a un coût à la négociation. Le pire, c’est la colonisation. Ils volent la terre morceau par morceau. Quelle confiance peut-on avoir quand l’occupant poursuit sa politique ? C’est affreux, ce qu’ils font chaque jour. Les colons attaquent des villages palestiniens. Les Israéliens entrent dans nos villes. Les colonies grandissent comme des champignons. Mais nous n’abandonnons pas notre pays. Il n’y a pas d’exode de Palestine. Les Palestiniens sont attachés à leur pays. Nos plans sont prêts. Et nous sommes heureux de la position européenne. Au moins, ils appliquent ce qu’ils disent. Les colonies sont illégales ? Dans le passé, c’était seulement une déclaration. A présent, les Européens refusent d’appliquer aux colonies les privilèges accordés à Israël. L’Europe dit à Israël : "définissez vos frontières et faites-le en conformité avec le droit international". Pour nous, c’est le cœur du débat. Notre pays est-il occupé ou est-il simplement disputé ? S’il est disputé, le plus fort prend le maximum. S’il est légalement à nous, la question n’est pas quelle part nous donnons de notre pays, la question porte sur les arrangements de sécurité après le retrait, le partage de l’eau, le retour des réfugiés... Ce sont les sujets à discuter.
L’Assemblée générale de l’ONU a accordé à la Palestine le statut d’État non membre. Pourquoi la Palestine n’utilise-t-elle pas cette carte ?
Malheureusement, c’est le prix que nous avons dû payer pour ces négociations : ne pas poursuivre notre adhésion aux agences des Nations unies comme le FMI, la Banque mondiale, le Programme alimentaire mondial, la Cour pénale internationale… Nous devons attendre 6 à 9 mois avant de relancer notre activité. Mais cela ne nous empêche pas, par exemple, de demander à la Belgique de reconnaître l’Etat de Palestine.
La crédibilité de l’Autorité palestinienne n’est pas complète tant qu’il y a la division entre Cisjordanie et Gaza, Fatah et Hamas. Dans le contexte régional, l’éviction des Frères musulmans en Égypte affaibli le Hamas. Vous attendez qu’il tombe comme un fruit mûr pour récupérer Gaza ?
Non… Nous n’avons pas changé notre disponibilité pour retourner à l’unité. Le problème avec le Hamas, c’est l’Egypte. Quand les Frères musulmans ont gagné en Egypte, le Hamas a spéculé sur une ouverture des frontières et une amélioration de la vie à Gaza, parce que leurs alliés au Caire étaient forts. Quand ils ont été défaits, le Hamas n’a pas reconnu être affaibli : "On s’en fiche. Morsi reviendra. Nous pouvons attendre avant des élections." Le problème pour le Hamas, ce sont les élections. Ils pensent que s’ils vont demain aux urnes, ils perdront parce qu’ils ont perdu leur allié, les conditions à la frontière égyptienne sont difficiles et ils ne sont pas parvenus à créer un système économique satisfaisant. Ils pensent que d’ici deux ans, nous perdront, parce que les négociations ne donneront rien. Ils spéculent sur le temps. C’est une erreur. Si j’étais le Hamas, je reviendrais aux négociations, en demandant des garanties, en cas d’échec aux élections, de rester dans le système politique. Et nous les leur donnerons.
Vu l’instabilité dans la région, le statut quo n’arrange-t-il pas tout le monde, y compris le Fatah ?
Non, les choses changent rapidement. Regardez la marche arrière britannique et américaine sur une intervention en Syrie, la destruction des armes chimiques. Les choses sont très mouvantes. Et ces mouvements ne sont pas toujours positifs. On ne peut pas dire que le statut quo convient à qui que ce soit. Au mieux, c’est la métamorphose, mais elle peut se transformer en chaos à tout moment. Mais je ne suis pas pessimiste. Mais le présent n’est satisfaisant nulle part : en Irak, au Liban, en Syrie, en Libye, en Tunisie…
Si dans le délai de neuf mois il n’y a pas de résultat, peut-on s’attendre à une initiative forte de l’OLP ?
Absolument. Nous ne pouvons pas attendre plus que cela. Nous sommes attachés à la solution à deux Etats. Il n’y a pas d’alternative. Mais nous irons devons le monde pour que les Israéliens reviennent dans la direction prise par Rabin et Arafat. Et nous trouverons une opinion publique européenne qui aura bougé en notre faveur. Je reviens de Londres. Nous avons conclu une alliance entre le Fatah et le Parti travailliste, comme nous l’avons fait avec le SPD allemand. Ces accords étaient impossibles il y a quelques années. Ils auraient été attaqués comme antisémites, anti-israéliens… Aujourd’hui, le public est avec la Palestine. Il n’accepte pas l’occupation israélienne. Le public veut la reconnaissance de l’Etat palestinien, même en Allemagne. Les choses changent partout en Europe, en Amérique latine. Donc, nous attendons. Nous sommes au frigo pour quelques mois. Mais au frigo, la viande ne va pas à la poubelle !