Photo : Des combattants israéliens infiltrés ont jeté des pierres sur des soldats de l’armée israélienne en Cisjordanie, 13 mai 2011 © Forces de défense israéliennes
Vêtus de blouses médicales, de thobes islamiques et de hijabs, portant des masques et poussant des fauteuils roulants, un groupe d’agents secrets israéliens a fait une descente mardi à l’hôpital Ibn Sina de Jénine.
Ces agents sont connus en arabe sous le nom de mustaribeen, qui signifie "s’habiller et agir comme un Arabe", et en hébreu sous le nom de mistaarivim, un dérivé du mot arabe.
Les agents - déguisés en médecins, patients et civils palestiniens - ont fait une descente dans l’établissement situé en Cisjordanie occupée, tuant trois personnes. L’un des officiers israéliens aurait parlé en arabe pendant l’opération.
Le raid a eu lieu à 5h30 du matin et a duré environ 10 minutes, selon les médias israéliens.
Les forces spéciales impliquées dans l’opération sont les dernières d’une longue série d’agents israéliens infiltrés qui se font passer pour des Palestiniens.
Leur existence remonte au mandat britannique de la Palestine dans la première moitié du XXe siècle, au cours duquel les autorités britanniques ont collaboré avec les milices sionistes pour infiltrer les populations arabes de la région.
"Les Mistaarivim ont commencé comme une unité d’infiltration dans la division Palmach, qui faisait partie de la milice terroriste de la Haganah, le noyau de l’armée israélienne", a déclaré Emad Moussa, chercheur spécialisé dans la psychologie politique en Israël et en Palestine, à Middle East Eye (MEE).
"Ils étaient composés principalement de Juifs Mizrahi, originaires de pays arabophones, et avaient pour mission d’infiltrer les Palestiniens (et d’autres Arabes des pays voisins) afin de collecter des informations pour le mouvement sioniste et les Britanniques".
Cette unité a finalement été dissoute, notamment suite à la montée de tensions entre les autorités britanniques et les milices sionistes qu’elles avaient soutenues.
À la fin du Mandat et après la création d’Israël, l’unité d’infiltration a été réactivée comme moyen d’espionnage et pour semer le chaos et la confusion dans les communautés palestiniennes.
" Agents provocateurs "
L’une des unités les plus connues, le Duvdevan, a été créée dans les années 1980 par l’ancien premier ministre israélien Ehud Barak. L’unité est toujours opérationnelle aujourd’hui et constitue l’une des nombreuses unités d’infiltration israéliennes.
"Leur utilisation au cours de la première Intifada a été particulièrement importante. Il s’agissait souvent de Druzes ou d’agents juifs arabophones du Shin Bet ", a déclaré Laleh Khalili, universitaire et chercheur à l’université d’Exeter, à MEE.
"Ils recueillaient des renseignements, jouaient le rôle d’agents provocateurs ou parvenaient à s’introduire dans des manifestations ou des rassemblements afin d’arrêter, de blesser ou d’assassiner des Palestiniens de l’intérieur".
Aujourd’hui, les agents infiltrés sont présents en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée, mais pas à Gaza.
"À Gaza, les unités de mistaarivim ont perdu une grande partie de leurs capacités opérationnelles après que le Hamas a pris le contrôle de la bande en 2007", a déclaré Moussa.
"Pour les mistaarivim, opérer à Gaza, c’est prendre le risque d’être capturé puis caché hors de portée de l’armée israélienne".
En Cisjordanie, on voit le plus souvent ces unités infiltrer les manifestations contre l’occupation israélienne, tentant de susciter la peur et la paranoïa chez les Palestiniens.
Elles s’impliquent aussi directement en procédant à des arrestations, notamment lors les manifestations de masse de décembre 2017, lorsque l’administration du président américain de l’époque, Donald Trump, a décidé unilatéralement de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.
Violence et brutalité
Les agents se retrouvent également en Israël. Des militants palestiniens ont rapporté avoir été confrontés aux mustaribeen dans des villes comme Haïfa, où ils ont acquis une réputation de violence et de brutalité.
Ces dernières années, les Palestiniens ont utilisé plusieurs tactiques pour identifier les mustaribeen et s’en défendre.
Ils portent notamment des couleurs claires et rentrent leur haut dans leur pantalon : les agents infiltrés ont tendance à porter des couleurs plus sombres et des vêtements plus amples pour cacher leurs armes.
Moussa a déclaré que les manifestants s’organisent également en plus petits groupes pour éviter d’être capturés par les agents, et qu’ils partagent également des informations sur les réseaux sociaux à propos d’individus suspects.
"On m’a dit que ces unités d’infiltration sont parfois reconnues parce qu’elles essaient d’avoir l’air et d’agir ’trop palestiniennes’", a-t-il déclaré.
M. Khalili a ajouté : "Le plus souvent, les Palestiniens peuvent, avec un peu d’attention, les repérer. Mais souvent, ils interviennent dans des moments de protestation très animés où l’attention des Palestiniens est ailleurs".
Raids en Cisjordanie
Les mustaribeen ne se contentent pas de procéder à des arrestations ; ils sont également connus pour tirer sur des Palestiniens et les tuer.
En mai 2021, ils ont abattu Ahmed Fahd, 24 ans, un civil qui vivait dans le camp de réfugiés d’al-Amari à Ramallah.
Les services de renseignement israéliens ont ensuite appelé sa famille pour s’excuser, déclarant qu’ils avaient voulu tuer son frère et son oncle, accusés d’être impliqués dans des "activités terroristes".
De plus en plus souvent, les raids militaires israéliens sur les villes de Cisjordanie - qui se produisent désormais presque quotidiennement - impliquent des éléments mustaribeen, qui sont particulièrement connus pour leur brutalité.
Au début du mois, l’armée israélienne a mené un raid de deux jours sur la ville de Tulkarem, tuant huit Palestiniens, et impliquant, selon ses dires, "des forces de l’armée, des gardes-frontières, des mustaribeen et le service de sécurité générale".
Ces unités d’infiltration, soutenues par les forces armées régulières, opèrent différemment des agents présents lors des manifestations.
"Ce qui s’est passé à Jénine aujourd’hui est une opération d’un autre calibre. Elle combine la supériorité militaire et l’infiltration. Le fait est que, même si ces unités sont reconnues, elles sont lourdement armées et soutenues par des unités militaires israéliennes", a déclaré Moussa.
"La plupart des gens n’ont donc aucune chance de les affronter. "
Traduction : AFPS