Au cours de l’hiver 2003, entre
deux attentats suicides à Jérusalem,
et alors que les gens
renouvelaient leurs masques à gaz et
s’équipaient de rouleaux de plastique
autocollant noir en prévision de la guerre
en Irak, Assi Sharabi rendait visite à des
écoles du pays. Le jeune étudiant demandait
à des élèves de 6ème : « imaginez
quelques instants que vous êtes des
enfants palestiniens, écrivez ce que vous
pensez des Israéliens et du conflit, et
dites quelle devrait être selon vous la solution
».
Les enfants devaient dessiner des images
pour illustrer leurs sujets et l’ensemble
devait représenter l’image des enfants
palestiniens et de ce qu’ils pensaient.
Assi Sharabi vient de terminer son analyse,
dans le cadre d’une thèse de doctorat
en psychologie sociale pour la London
School of Economics.
123 élèves issus de trois écoles - une
école d’une grande ville, une autre d’une
colonie dans les territoires occupés et
la dernière d’un kibboutz - lui ont offert,
fait assez rare, l’image de l’Arabe vu
par un élève israélien juif.
« Les enfants, comme de nombreux
adultes, ont des difficultés à considérer
la réalité à partir du point de vue de
l’autre », dit Assa Sharabi. Les rédactions
et les dessins ont servi aux enfants
à exprimer leurs émotions et leurs opinions
de l’autre. Il y a quelques semaines,
Sharabi lisait dans ces colonnes un article
sur les manuels scolaires israéliens qui
traitait, entre autres, des stéréotypes dans
la perception des Arabes, ainsi que du
peu d’attention prêtée au récit de l’histoire
des Palestiniens et aux problèmes
palestiniens. Cette semaine, lors d’un
court séjour ici, il a dit que son étude montrait
que les manuels scolaires, avec bien
entendu les parents, les enseignants, les
médias et d’autres facteurs encore, contribuaient
efficacement à renforcer ces stéréotypes.
On retrouve les traces de ces stéréotypes
dans les rédactions, et elles sont criantes
dans les dessins. Les mots et les images
révèlent un océan d’hostilité, de haine,
d’aliénation et de désespoir. Si l’on effectuait
la même étude chez les enfants
palestiniens, les mêmes résultats seraient
interprétés comme une preuve que les
écoles dans les territoires occupés sont
engagées dans une action d’incitation à
la haine contre Israël. Mais on peut se
réconforter en supposant que, si l’étude
avait été effectuée avant le 1er octobre
2000, et avant les vagues d’attentats suicides,
les rédactions et les dessins auraient
été plus optimistes.
« A bientôt dans la tombe »
L’étude révèle que, pour un enfant israélien,
l’enfant palestinien s’appelle le plus
souvent Mohammed ou Mahmoud, qu’il
a grandi dans un foyer défavorisé, parfois
dans des conditions primitives, et
qu’il tient entre ses mains un fusil ou
qu’il porte une ceinture d’explosifs. Le
phénomène le plus frappant qui se dégage
des sujets des enfants des trois groupes
est la déligitimation des Palestiniens.
Les textes des enfants de la ville et des
enfants des colonies sont remplis de descriptions
de gens cruels qui ne pensent
qu’à une chose : massacrer des Israéliens.
Le Palestinien est décrit comme
un terroriste assoiffé de sang. Pour ces
enfants, la violence palestinienne apparaît
comme une caractéristique fondamentale
et immuable ; ce sont des gens
cruels, irrationnels et violents, poussés
par une haine aveugle d’Israël.
« Mon nom est Mohammed Kabir. Quand
je serai grand, je veux faire exploser des
Juifs », écrit un garçon urbain de 12 ans.
« Mon héros est Hitler. Les Juifs sont
une sale race. Chez moi, j’ai appris comment
neutraliser une bombe. En classe
de dessin, j’ai dessiné un Juif pendu. En
sport, nous avons appris à courir entre
les mines. Le conflit est bon pour nous,
parce que, si un Arabe meurt, ça n’a
pas d’importance, parce que, quand il
mourra, il y aura cinq Juifs qui l’accompagneront
dans la tombe - j’ai un autographe
de Ben Laden avec une dédicace
“pour mon fils, félicitations ”- j’espère
atteindre l’âge de 10 ans. J’ai été élevé
chez moi pour assassiner des Juifs.
L’année prochaine dans Gaza reconstruite
: s’il n’y a pas de Juifs, personne
ne sera tué. A bientôt dans la tombe ! »
Un garçon de la colonie juive choisit de
décrire le rêve d’un garçon palestinien :
« dans mon rêve, je pénètre en Israël et
je tue des Juifs ... C’est bien, parce que
personne chez nous ne sera tué à part les
kamikazes, que j’admire, ils ont des tas
de morts et de blessés. »
Pour Sharabi, le résultat le plus important
de son étude est que les enfants
israéliens sont pris au piège dans une
série de noeuds émotionnels et de conflits
cognitifs. Il y a un sentiment de culpabilité
par rapport aux actions d’Israël dans
les territoires, d’où leur justification
par l’argument selon lequel il n’y a pas
d’alternative ; il y a un immense désir
de paix et de sérénité, mélangé à une
absence de croyance en la possibilité
que cet espoir se réalise ; il y a, à la
fois, une déligitimation de la violence
Mille mots de haine par l’image
par Akiva Eldar, journaliste israélien
palestinienne et une légitimation de
cette même violence en décrivant ces
Palestiniens comme victimes des Israéliens
ou de la situation.
« Et ainsi, nous pourrions vivre ensemble »
Sharabi a identifié trois facteurs qui servent
aux enfants à comprendre et à justifier
les actes de terrorisme : le conflit
territorial, la pauvreté, le désespoir, et
l’atteinte portée à leurs droits. « J’ai tellement
peur tout le temps que l’armée
israélienne vienne dans notre maison
ou la démolisse »,écrit un garçon de la
ville, au nom d’un enfant palestinien.
« Il y a toujours le couvre-feu ici, et ma
mère pleure parce que mes frères la rendent
folle, et mon père est déprimé. »
Un autre motif récurrent concernant la
facette humaine des Palestiniens, qui
trouve probablement sa source dans les
médias, est l’histoire d’un enfant palestinien
dont la famille l’a poussé dans le
rôle du kamikaze. « Mes parents m’ont
envoyé commettre un attentat suicide en
Israël », écrit un autre élève de la ville.
« Ils m’ont donné une ceinture d’explosifs.
Je ne comprends pas comment ils
s’attendent à ce que je rentre à la maison
si la ceinture explose sur moi. Je ne
sais pas comment cela va aider mes
parents si leur fils meurt. Je pensais que
pour mes parents, ma vie était plus importante
que tout ».
Bien que les enfants du kibboutz montrent
une moindre tendance à nier la
légitimité de leurs voisins, et le font indirectement
et avec davantage de délicatesse,
eux aussi, comme les autres, supposent
que les Palestiniens ne sont pas
intéressés par le changement. « Ma famille
et moi sommes pour la paix », écrit une
fillette du kibboutz au nom d’une fillette
palestinienne, « mais nous n’arrivons
pas à convaincre tous les Palestiniens.
Parfois, des amis viennent à la maison
pour discuter, et je m’énerve, et je veux
crier et dire aux amis de mes parents :
“non !!! ce n’est pas une solution de
dire du mal des Israéliens”, et ils ne
disent pas un mot sur la solution du
conflit. »
Pour de nombreux enfants des trois
groupes, la Bible sert de puissante source
de mythes et de symboles. Un garçon
du kibboutz écrit au nom d’un enfant
palestinien : « nous pensons qu’Israël
nous a pris notre terre, et ils pensent
qu’elle est à eux parce qu’à l’époque de
la Bible, la terre a été donnée par Dieu
à Abraham ». Un enfant de la même
classe écrit : « je pense que Jérusalem nous
appartient, à nous les Arabes, parce que
nos ancêtres sont nés ici, et nous ferons
tout pour récupérer Jérusalem. » Un
enfant d’une colonie enrôle la Bible dans
un combat avec le Coran : « je pense que
les Juifs ont tort. Ils sont venus dans
l’Etat d’Israël alors que nous y étions,
et ils ont voulu nous expulser. Dans le
saint Coran, il est dit que la terre est à
nous, et eux, ils sont venus avec leur
Bible et ils ont dit que, d’après ce livre,
la terre était à eux ».
De façon générale, les rédactions indiquent
une perception fataliste de la réalité,
qu’il est impossible de changer. « Je
pense que ce conflit durera toujours », écrit
un garçon de la ville, et un autre du kibboutz
: « je voudrais la paix, mais je
regrette de devoir dire qu’à mon avis, cela
n’arrivera pas ».
Ces enfants blâment moins l’un des côtés
qu’ils n’expriment du désespoir et de
l’impuissance. D’autres enfants blâment
les Palestiniens pour avoir mis en pièces
leur rêve de paix. « Ils ne comprennent
pas que nous ne céderons jamais. Nous
avons un seul but : un Etat palestinien
à la place de l’Etat d’Israël », écrit un
enfant de la ville. Une fillette du kibboutz
oublie la règle du jeu et se dévoile :
« je pense qu’autour d’Israël, il y a beaucoup
de pays arabes, et que les Arabes
pourraient aller dans l’un de ces pays
alentour, et qu’ainsi ils pourraient nous
épargner la guerre, les batailles, les
conflits et tout », écrit-elle, entièrement
en son nom, et elle ajoute : « il faut absolument
arriver à un accord, et je ne comprends
pas pourquoi eux et nous ne nous
accordons pas pour sacrifier deux ou
trois choses, et ainsi nous pourrions
vivre ensemble. Il faut voir le verre
comme à moitié plein, et sinon, verser le
verre à moitié vide dans un verre plus
petit, comme cela il serait tout à fait
plein ».
Akiva Eldar, journaliste israélien
© Haaretz