Nidal Safadi était un homme tranquille, ont dit ses voisins. Il habitait à Urif, village palestinien de plusieurs milliers de personnes en Cisjordanie. N’ayant que 25 ans, Safadi avait eu trois enfants de sa femme et un quatrième, une fille, est à venir.
Urif n’est pas toujours tranquille. Avec la ville palestinienne de Naplouse à moins de 10 milles (15 km), l’armée israélienne d’occupation a créé en 1983 une base au sommet d’une colline voisine. Une année après, elle a été affectée à des usages civils : faire partie du programme israélien de colonisation illégale des territoires palestiniens. Depuis 2000, la colonie, appelée Yitzhar, a abrité une yeshiva connue pour ses opinions nationalistes juives dures ; la colonie s’est fait connaître par son extrémisme. Les colonies dites "d’avant-postes" qu’il a encouragées - illégales même au regard du droit israélien, mais néanmoins défendues par les forces de défense israéliennes - ont progressivement empiété sur des villages comme Urif. Au cours des 10 dernières années, Les agressions des colons ont donné lieu à de violentes récriminations entre les Israéliens et les Palestiniens habitant à proximité.
Le 14 mai, cependant, Urif était calme — à la différence d’une grande partie de la Cisjordanie. Dans des dizaines d’endroits sur le territoire, les Palestiniens manifestaient contre les récentes provocations israéliennes : la prise d’assaut par la police de l’enceinte de la Mosquée Al-Aqsa à Jérusalem et le bombardement massif, en réponse au tir de roquettes du Hamas, de la Bande de Gaza.
« Il y avait beaucoup de manifestations dans la région, mais Urif était calme », a déclaré Mazen Shehadeh, président du conseil municipal. « C’est un petit village et les habitants étaient restés à l’intérieur. Si les colons n’étaient pas venus attaquer les maisons, il ne se serait rien passé ».
Shehadeh a déclaré qu’un groupe de colons était arrivé vers 14h, ainsi que six soldats, et qu’il a commencé à faire du grabuge. « Les colons ont déraciné près de 60 figuiers et oliviers », a-t-il dit. « Puis ils ont attaqué l’école à coups de pierres et ont cassé ses panneaux solaires ». Les dégâts étaient encore visibles quand je suis allé sur place un mois après l’attaque. « Pendant que les colons faisaient tout cela, les soldats les couvraient par des tirs », a continué Shehadeh. « Les soldats dirigeaient, donnaient des ordres, tout paraissait coordonné. Les soldats donnaient des indications aux colons, où aller, où déraciner, et alors ils tiraient sur toute personne qui essayait de s’approcher. Après quelques minutes, des habitants sont venus pour protéger le village ».
L’un des villageois qui sont arrivés était Nidal Safadi. « Nidal est arrivé terrifié à l’école », a déclaré son frère, qui a demandé que son nom ne soit pas mentionné par crainte de vengeance. « Nous avons des parents qui habitent à proximité, et le haut-parleur de la mosquée a annoncé que les colons attaquaient, donc il est accouru ».
Des photos et des vidéos de la scène montrent des colons et des soldats des FDI pointant leurs armes vers les villageois palestiniens. Une vidéo, procurée par l’association israélienne des droits de l’homme B’Tselem, montre un colon, torse nu, le visage couvert, se baladant et discutant avec des soldats à proximité. A un certain moment, le colon, armé d’un fusil automatique, se tient directement devant un soldat, vise les villageois, et ouvre le feu. D’autres photos montrent pareillement des colons et des soldats les armes levées.
Au milieu de ce chaos, Safadi a été atteint par quatre balles à la poitrine et à l’abdomen, selon Shehadeh. Il est mort de ses blessures.
« Nous ne savons pas si c’est un colon ou un soldat qui lui a tiré dessus », a déclaré Shehadeh. « Nous en avons eu plusieurs qui ont été blessés ce jour-là par des tirs. Neuf personnes ont été blessées : l’une à l’abdomen, une autre atteinte par des tirs à trois centimètres du cœur. Et il y a eu Nidal, qui a été tué ».
Shehadeh a poursuivi, « c’était une attaque prévue. Une vengeance, non un affrontement. Nous avons eu l’habitude d’avoir chaque jour des confrontations et ça n’a jamais ressemblé à cela. Ils n’utilisaient pas de balles réelles auparavant, seulement du gaz lacrymogène et des balles enrobées de caoutchouc. Egalement, davantage de soldats avaient l’habitude d’être présents ».
Attaques conjointes
La mort de Safadi a été l’un des 11 meurtres violents de Palestiniens le 14 mai en Cisjordanie, selon le Ministère palestinien de la Santé. Alors que les médias israéliens ont rapporté que ces meurtres se sont produits au milieu d’ « affrontements » — en sous-entendant les manifestations généralisées à propos d’Al-Aqsa et des bombardements de Gaza — au moins quatre des décès ont eu lieu pendant des attaques délibérées de la part de colons et de soldats sur des villages palestiniens, a constaté une enquête menée par Local Call et The Intercept.
Les attaques conjointes effectuées par les colons et soldats israéliens n’étaient pas liées à des manifestations dans les villages ciblés ; aucune manifestation n’a précédé la violence dans trois des quatre endroits. Toutes les incursions ont eu lieu presque au même moment, vers 14h, et toutes impliquaient les colons qui détruisaient les terres agricoles, y compris en y mettant le feu, de même qu’ils jetaient des pierres et tiraient à balles réelles.
Des attaques sur des Palestiniens par des colons jetant des pierres, alors que des soldats israéliens se tiennent à côté sans rien faire, sont un phénomène courant dans les territoires palestiniens occupés. Mais des scènes comme celles du 14 mai — des colons et des soldats attaquant des villages en apparente coopération, en tirant à balles réelles- sont sans précédent.
« La seule manière dont je peux décrire ceci c’est de le qualifier de milices », a déclaré Quamar Mishirqi-Assad, avocat et partenaire de Haqel-Juifs et Arabes pour la Défense des Droits de l’Homme, association qui œuvre dans le système judiciaire israélien pour représenter les Palestiniens qui ont fait face à la violence des colons. « Ces cas, dans lesquels les soldats entrent dans les villages en même temps que les colons, et dans lesquels il y a un tir massif effectué par les colons — ceci est sans précédent ».
Cinq attaques de ce genre le 14 mai ont fait quatre morts de Palestiniens. L’un a été tué dans le village de Asira Al-Qibliya, dans la région de Naplouse ; un autre à Iskaka, près de la colonie israélienne d’Ariel ; un troisième dans le village de Al Reihiya, au Sud des collines de Hébron ; et Nidal Safidi à Urif. Dans le cinquième village, Burin, qui est également proche de Naplouse, une semblable attaque s’est terminée sans qu’il y ait eu de mort.
Des vidéos, des photographies, et des témoignages des villageois sur les attaques montrent que, dans trois des cas au moins, les colons et le soldats israéliens ont agi comme une unité mixte de combat, fonctionnant efficacement en tant que milice commune attaquant les civils et tirant de façon interchangeable sur les habitants palestiniens. La coordination entre l’armée et les colons est en Israël un problème politique naissant : mardi, 100 anciens soldats de combat ont envoyé une lettre au Ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, en réclamant qu’il agisse contre la violence des colons, dont ils ont eux-mêmes été témoins pendant leur service. « L’année dernière, la violence des colons s’est intensifiée et s’est manifestée, entre autres choses, par la destruction de biens, des jets de pierres, et des violences physiques contre les Palestiniens », ont écrit les anciens soldats. « Nous sommes ceux qui ont été témoins de la façon dont se comportent sans restriction les « seigneurs du pays » et de ce à quoi ressemble cette violence sur le terrain. Nous avions été envoyés pour le défendre mais l’on ne nous a pas donné les outils pour s’occuper d’eux ».
Local Call et The Intercept ont envoyé une description détaillée de nos constatations au porte-parole des FDI, lesquelles comprenaient des photographies et des vidéos. Le porte-parole a déclaré que ces cas « sont en cours de vérification et d’enquête ». Bien que le Porte-parole des FDI ait décliné tout commentaire de nombreux cas spécifiques, il a reconnu, en réponse à une des photographies montrant un colon à Urif en étroite interaction avec un officier des FDI, que le colon était dans la zone sans autorisation.
Aucune autopsie n’a été effectuée du corps de Safadi, ni de ceux des autres Palestiniens tués ce jour-là, si bien qu’il n’y a aucun moyen de déterminer si ce sont les soldats ou les colons qui sont responsables de ces morts. La police israélienne n’a pas fait état d’une quelconque enquête sur ces assassinats.
Mise à jour (le 18 juillet) : A la suite de la publication de cet article, le Porte-parole des FDI a annoncé que la Police Militaire d’Enquête avait lancé une enquête sur la mort à Urif de Nidal Safadi. Ni l’armée, ni la police israélienne n’ont annoncé une quelconque enquête sur les trois autres assassinats décrits ci-dessous.
Malgré la trame horaire et le mode opératoire communs, il n’y a aucune preuve que les attaques du 14 mai aient été coordonnées. Certains idéologues des colons, cependant, ont bien remarqué le concours de circonstances. Zvi Sukot, porte-parole de la colonie de Yitzhar et étoile montante du mouvement sur Internet, a posté sur Facebook des photos de certains incidents. Les photos dont il a fait part montrent, entre autres choses, un Palestinien mort d’une balle à la tête et un autre à la poitrine en sang, ainsi qu’une foule de corps allongés dans divers environnements.
« La situation en matière de sécurité en Samarie est excellente. Inutile de manifester » !! a écrit Sukot dans son message sur Facebook, en demandant à ses camarades colons de rester à la maison. Il a utilisé le terme israélien habituel de « Samarie » pour décrire le Nord de la Cisjordanie. Il y a « du côté des Arabes, des morts, un tas de gens blessés et un grave traumatisme », a-t-il écrit. « Pendant toutes mes années en Samarie, je ne me souviens pas que l’armée ait été aussi déterminée ».
Beaucoup d’habitants du village interviewés par Local Call et The Intercept ont attribué les attaques à la « vengeance » à la fois des soldats et des colons — apparemment à cause des manifestations contre les attaques israéliennes sur Al-Aqsa et Gaza, ainsi que des troubles dans les villes « mixtes » en Israël. Ces incursions s’inscrivent dans le cadre d’attaques du « prix à payer », au cours desquelles les colons lancent des attaques de représailles contre toute personne considérée, même de loin, comme un obstacle à leur mouvement.
La yeshiva de Yitzhar, près d’Urif, a contribué à la formulation de la justification religieuse des attaques du « prix à payer ». Ce concept a acquis une certaine notoriété auprès de certains Juifs israéliens parce qu’il rationalisait les attaques contre l’armée israélienne dans de rares cas où, par exemple, les FDI étaient utilisées pour évacuer des avant-postes de colonies. Les cibles les plus fréquentes des attaques du « prix à payer », cependant, sont les civils palestiniens. Le 14 mai, les soldats étaient loin d’être des cibles ou même des spectateurs. Au contraire, ils ont été des participants actifs et des collaborateurs dans les attaques conjointes.
« L’armée conçoit maintenant les colons comme une force combattante auxiliaire », a déclaré Mishirqi-Assad, l’avocat des doits humains. « La coopération est plus transparente. Personne n’en a honte. Les soldats voient les colons comme une force de soutien, c’est très visible. Et les colons, eux aussi, sont plus intrépides. Il est clair que les choses sont devenues plus organisées au cours de l’année dernière ».
Asira Al-Qibliya : « Ils voulaient décharger leur rage »
A quelques kilomètres seulement de Urif, dans le Gouvernorat de Naplouse, se trouve le village de Asira Al-Qibliya. Au sommet d’une colline voisine se trouve l’avant-poste d’Ahuzat Shalhevet, qui surplombe la périphérie du village palestinien.
Le 14 mai, Hussam Asaira, 19 ans, accompagné d’autres jeunes gens du village, a riposté à une incursion des colons. Vers 14h, selon les descriptions de la part des habitants du village, des soldats et des colons armés sont arrivés ensemble. Les colons ont commencé à jeter des pierres sur les maisons près de la lisière du village.
« Cela a été une attaque musclée », a déclaré Hafez Saleh, président du conseil municipal. Saleh se tenait sur le toit de la maison de sa sœur, regardant les événements se dérouler et prenant des photos. « Environ 20 colons sont arrivés — la moitié d’entre eux armés de fusils — et 12 soldats les escortaient. Les jeunes du village ont été appelés à venir et à protéger les maisons ».
Quelques jeunes hommes sont arrivés et ont commencé à jeter des pierres sur les colon, a dit Saleh. Les colons ont tiré des volées « très intenses » de balles réelles. Puis les soldats se sont joints au tir.
« J’ai crié aux soldats, « Arrêtez de tirer ! Vous êtes près des maisons des gens ! » » a rappelé Saleh. « Je me suis adressé à l’un d’entre eux en hébreu et je lui ai dit qu’il avait seulement besoin de faire sortir les colons du village et que tout serait fini. Il a répondu, « Ce n’est pas mon boulot ». En d’êtres mots, il était évident que les soldats étaient là pour couvrir les colons et pour les protéger. Ils voulaient décharger leur rage sur les gens, pour se venger. Ils étaient déterminés à tuer. J’ai senti que leur but ce jour-là était de tuer autant de Palestiniens que possible ».
Saleh a filmé l’incident. La vidéo, rendue publique par B’Tselem, montre un groupe de soldats et de civils israéliens — tous armés, et les colons ayant le visage couvert — se tenant ensemble dans un champ. Un colon s’écarte du groupe, tire quelques balles sur les Palestiniens, et puis revient vers les soldats. Sur un côté, un colon jette des pierres sur une maison palestinienne ; un autre court dans le champ, l’arme au poing. Les affrontements ont duré environ quatre heures, en s’achevant vers 18h. Les soldats ont reculé de plusieurs centaines de mètres vers une colline voisine, dans la direction de Ahuzat Shalhevet, l’avant-poste des colons.
« Il n’y avait plus d’affrontements ou de jets de pierre » a dit Saleh. Sur la vidéo l’atmosphère semble toujours tendue. « Un soldat, qui se tenait loin de là, est descendu vers le terrain et a visé les jeunes », a raconté Saleh. « Je leur ai crié de faire attention et j’ai hurlé aux soldats, « Assez ! Il ne se passe plus rien ! » » Sur la vidéo, les soldats et les colons sont debout sur la colline, à environ 300 mètres de distance de jeunes Palestiniens. Un villageois se tenant près de Saleh dit en arabe, « Ils veulent tirer ». On peut entendre la voix de Saleh criant aux jeunes pour les avertir : « Revenez en arrière, allez ! »
Ils s’éloignent tous en courant — sauf Hussam Asaira. Tournant le dos aux soldats, il continue à marcher le long du mur, un masque blanc contre la Covid-19 lui couvrant le nez et la bouche, ne semblant pas remarquer ce qui se passe. « Puis il y a un tir », a rappelé Saleh. Asaira trébuche, puis s’effondre. Des villageois le prennent et le transportent hors de vue. Asaira a été emmené à l’hôpital, où il est mort de ses blessures.
Iskaka : « la première fois qu’un de nos habitants a été abattu »
Ishaka est un petit village d’une population de 1.000 habitants. A proximité il y a la méga-colonie de Ariel, une des quatre seules colonies qui ont assez grandi pour bénéficier du statut de ville israélienne, et, des quatre, celle située le plus loin en Cisjordanie.
Quand les colons et les soldats sont arrivés le 14 mai, Awad Harb, mari et père âgé de 27 ans, était chez un ami. Harb et son ami ont entendu un appel venant de la mosquée locale au sujet de l’incursion, a déclaré l’ami, Mouid, qui a demandé que son nom entier ne soit pas cité par crainte de représailles. Ils se sont aventurés dehors pour voir ce qui se passait. « Tout s’est passé en l’espace de 10 minutes », m’a raconté Mouid.
L’incursion dans le village n’avait pas été provoquée, ont déclaré des témoins oculaires. « Elle a commencé à 14 h, quand les colons ont attaqué le village », a déclaré Nabil Harb, le frère de Awad. « Ils y sont entrés et se sont tenus, en armes, près du bâtiment de la municipalité. Ils sont venus jusqu’au cœur du village ».
« J’ai 57 ans », a dit Nabil Harb. « Je suis né ici. Rien de tel n’est jamais arrivé auparavant. Ce jour-là, tous étaient à la mosquée et sont ensuite rentrés chez eux, pour se reposer, pour déjeuner. Et c’est alors que les colons sont arrivés. Ils sont venus pour tuer ».
Quand je suis arrivé à Iskaka un mois après l’attaque, Fauzi Lami, le président du conseil local, m’a emmené dans sa voiture faire un tour. « Jusqu’alors, c’était un jour normal », m’a-t-il dit alors que nous roulions. « Les colons n’avaient jamais pénétré ici auparavant ». Les soldats et les colons sont arrivés en convoi, a-t-il déclaré. « Ils déambulaient entre les maisons et tiraient sur les réservoirs d’eau. Les habitants se sont enfermés. L’appel est venu de la mosquée, par le haut-parleur, pour que les jeunes hommes viennent et défendent le village ».
Nabil Harb a remarqué que seulement trois soldats étaient présents. « Tous les autres étaient des colons, des civils israéliens », a-t-il dit. « Les jeunes gens de Iskaka sont arrivés et ont commencé à jeter des pierres sur les soldats et les colons ».
Mouid m’a montré à quel endroit lui et Awad Harb sont sortis à pied dans la rue. « Ici c’est l’endroit où il a été abattu », a déclaré Mouid, en montrant du doigt une bouche d’égout entre deux maisons, à environ 600 mètres de l’entrée du hameau. Des tâches de sang noir étaient encore visibles sur le sol, sous les taches de sable blanc. Mouid a raconté que le tireur était un civil — un colon israélien— mais les documents pour la plainte sont difficiles à obtenir. « Il se tenait là, avec deux soldats », a dit Mouid, en montrant du doigt le bas de la route, « et il a tiré une balle d’une distance de 18 mètres ».
Harb s’est écroulé et s’est vidé de son sang. Il a ensuite été déclaré mort.
« Ceci a été la première fois dans l’histoire de Iskaka que l’un de nos habitants a été tué », a déclaré Lami, le président du conseil du village, se référant au fait qu’aucun des habitants n’ait été tué par les Israéliens dans les limites du village. « Nous n’avons jamais connu un quelconque affrontement ».
Lami a déclaré, « nous sommes tous en deuil maintenant ».
Al Reihiya : « Nous n’avons personne pour nous protéger. Personne ».
L’attaque de la famille Tubasi, au Sud des collines de Hébron, a aussi eu lieu le 14 mai. Ainsi que Local Call et l’émission Kan News de la Société Nationale Israélienne de Radio-Télévision l’ont rapporté, un groupe de colons, accompagnés par des soldats, sont arrivés dans le village de Al Reihiya vers 14 h 30. Les colons ont commencé à vandaliser les biens des villageois et à mettre le feu à leurs champs.
Ismail Al-Tubasi, villageois âgé de 27 ans, est sorti pour éteindre un incendie sur les terres de la famille. Un groupe de colons est alors accouru vers lui, selon son frère et son neveu. Tout d’un coup, cinq tirs ont retenti. Jamal Al-Tubasi, le neveu d’Ismail, a trouvé son oncle couché par terre et perdant son sang. Ismail a pressé son neveu de fuir ; des colons étaient toujours à proximité. Jamal a vu des colons maniant la hache qui s’approchaient, alors il s’est enfui.
Finalement, une aide à pu parvenir à Ismail. Alors qu’on l’emmenait à l’hôpital de la ville voisine de Yatta, Jamal, cependant, a remarqué quelque chose : Ismail avait de profondes blessures sur le visage. Ces blessures, a déclaré son neveu, n’existaient pas quand il avait parlé la première fois dans le champ avec son oncle. « La seule chose dont je sois sûr c’est que, lorsque j’ai rejoint mon oncle, après sa première blessure, son visage était exempt de blessures », a dit Jamal.
Le personnel hospitalier n’a pas pu sauver Ismail Al-Tubasi. Sur une photo prise après sa mort, on peut voir de profondes blessures sur le visage d’Ismail. Selon le rapport de l’hôpital, il a été tué par une balle qui lui a pénétré l’arrière de la tête ; les blessures au visage ont été causées par des « instruments tranchants ». (Des sources militaires ont dit à Kan et à Local Call que des soldats israéliens étaient présents, mais que quand ils sont arrivés sur place Ismail était déjà blessé. Ha’aretz a rapporté que la famille Tubasi avait essayé de déposer une plainte au commissariat de police de Hébron au sujet du coup de feu, mais que la police israélienne n’a pas ouvert d’enquête.)
Quand je suis arrivé à Al Reihiya, 10 jours après le tir, les terres de la famille Tubas étaient brûlées. Khaled Al-Tubasi — le frère de Ismail et le père de Jamal — m’a invité à entrer chez lui, dans une petite pièce obscurcie, et m’a offert le thé d’une main tremblante. La mort de son frère lui a valu un malaise, à la foi physiquement — il était physiquement tendu de rage pendant ma visite— et moralement. Il reconsidérait tout, depuis le processus de paix jusqu’à son métier en tant que policier palestinien. « Je travaille pour l’Autorité Palestinienne » s’est-il exclamé, « et aujourd’hui je l’affirme : je me suis trompé ».
En Cisjordanie, où l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas gouverne d’une main de fer, seules les forces de sécurité sont autorisées à posséder des armes à feu. De plus en plus, cependant, la police palestinienne est accusée d’agir comme une force brutale au nom de Abu Mazen, nom de guerre de Abbas. La police réprime souvent les manifestations et on dit souvent d’elle qu’elle agit de facto comme le bras de l’occupant israélien — en maintenant Abbas au pouvoir et en maintenant la paix pour Israël.
« La voie d’Abu Mazen est une erreur », a dit Khaled Al-Tubasi. « La coordination de sécurité — tout cela est une erreur » Il a déclaré, « les Palestiniens ont besoin d’armes pour se protéger. Nous n’avons personne pour nous protéger. Personne ».
Burin : « J’avais peur que les colons puissent brûler la maison »
Muhammad Amran habite à l’extrémité Est du village de Burin, près de Naplouse. A 14h, le 14 mai, il a entendu une explosion. La voiture de son voisin Abu Al-Atsi était en feu.
« Des dizaines de colons armés se tenaient là » a raconté Amran. « Ils avaient mis le feu à la voiture, à 200 mètres de chez moi. Seules des filles vivent dans la maison là-bas, leurs deux parents sont morts. Donc je me suis démené pour éteindre le feu. Je travaille comme pompier pour l’Autorité Palestinienne, et j’ai un équipement d’extinction ».
Les colons, a dit Amran, étaient venus de Givat Ha-Ro’eh, avant-poste tout proche qui a été illégalement construit sur des terres palestiniennes. La Haute Cour israélienne a précédemment statué que l’avant-poste doit être fermé, mais l’exécution de la décision a été, au mieux, intermittente.
Quelques minutes avant que le feu ne soit mis à la voiture, des dizaines de jeunes hommes de Burin sont arrivés pour défendre le village. Ils ont jeté des pierres sur les colons, qui ont riposté en tirant à balles réelles. « Les colons avaient l’initiative. Les soldats ne faisaient que les protéger : ils tiraient sur nous des gaz lacrymogènes, des balles enrobées de caoutchouc, et des balles réelles », a déclaré Amran. « Quand les jeunes sont arrivés, un des colons s’est tourné vers eux et s’est mis à tirer au hasard. Il ne faisait que les arroser, sans regarder où il tirait, sans viser. Personne ne s’est approché de lui — et il tirait comme un fou ». Des habitants ont déclaré que sept villageois ont été touchés par des balles réelles, mais aucun n’a été tué.
Alors que Amran essayait d’éteindre la voiture en feu de son voisin, des colons se sont abattus sur sa maison. « D’abord il ont essayé de rentrer dans la maison, mais ils n’ont pas pu, parce que ma femme avait verrouillé la porte », a-t-il raconté. « Donc ils ont tout brisé à l’extérieur. Ils ont fracassé les panneaux solaires, les tuyaux, le climatiseur à l’extérieur, et les caméras de sécurité. Puis ils sont montés sur le toit de ma maison, et ont commencé à attaquer d’autres villageois ».
Dans une vidéo prise par un des habitants du village, on peut voir quatre colons, le visage couvert, se tenant sur le toit de Amran et lançant des pierres. Huit soldats armés se tiennent près de la maison — ayant aussi le visage couvert.
« Je suis devenu fou d’inquiétude. J’ai trois enfants et ils étaient tous à la maison quand cela est arrivé. J’ai deux filles et un garçon », a dit Amran. « L’armée m’a empêché de m’approcher de la maison, où se tenaient les colons. J’ai essayé dans toutes les directions. J’ai appelé ma femme et lui ai dit, « Sortez pour que ne soyez pas étouffés par le gaz lacrymogène ». Elle a dit qu’elle était terrifiée. Elle ne voulait pas ouvrir la fenêtre et laisser le gaz rentrer. J’ai dit au soldat, « Laissez-moi prendre les enfants. Ils vont étouffer là dedans ». Il m’a répondu, « Allez vous-en ».
« Quelques minutes plus tard, les colons ont cassé toutes les fenêtres de la maison, et le gaz lacrymogène jeté par l’armée a commencé à rentrer », a raconté Amran. « Au téléphone, j’ai entendu mes enfants crier et s’étouffer. J’avais peur que les colons puissent mettre le feu à la maison, y jeter un cocktail Molotov. Ma femme et les enfants sont allés dans la salle de bain, ont scellé les fenêtres et s’y sont enfermés ».
La famille a survécu à l’attaque, dans la salle de bain de leur maison, et a finalement essayé de revenir à la normale, mais cela s’est avéré difficile. « Près de deux mois ont passé depuis l’attaque » dit Amran. « Mes enfants ne réussissent pas à dormir la nuit. Ils mouillent leur lit. Je veux faire quelque chose — poursuivre les colons en quelque sorte — pour le traumatisme qu’ils ont causé à ma famille ».
Urif : « Quand le colon en a eu fini, les soldats lui ont donné davantage de munitions »
Quand je suis arrivé à Urif, près de Naplouse, il y avait partout des preuves de l’attaque qui a tué Nidal Safadi. Des champs entiers avaient été brûlés, ponctués d’oliviers ou de figuiers déracinés. Des dizaines, sinon des centaines, de douilles étaient éparpillées sur la route. « Tous les tirs étaient hors de contrôle », a déclaré un villageois, Muntaser Al-Safadi, qui a été témoin de l’attaque. « Ils engageaient un chargeur et puis ils le vidaient d’un seul coup — sans viser, sans s’arrêter — dans notre direction. Personne n’allait jeter une pierre. Ils tiraient pour tuer ».
Shehadeh, le président du conseil municipal, m’a emmené faire un tour. Nous sommes passés par l’école d’Urif, l’endroit de l’assassinat de Safadi. L’école est entouré par un grand mur de béton, et la cour de récréation est couverte par un énorme abri en plastique blanc. « Cela ressemble à une prison, n’est-ce pas ? » a demandé Shehadeh quand il m’a vu en train d’observer les constructions, inhabituelles pour des terrains scolaires. « Nous avons construit cela pour protéger les enfants des attaques des colons de Yitzhar. Que quelque chose arrive aux Juifs - peu importe quoi, que ce soit à Jérusalem ou à Lod — ils viennent ici pour se venger ».
Le 14 mai, Shehadeh a observé l’attaque se dérouler à partir de l’une des maisons proches. Il a observé les villageois comme Safadi se précipiter sur les lieux, certains ramassant des pierres et les jetant sur les soldats et les colons israéliens.
« Qu’auriez-vous fait ? », déclare Shehadeh. « Des gens armés arrivent, attaquent votre maison, votre école. Et il n’y a aucun pouvoir pour vous protéger. Les soldats arrivent avec eux et les aident ».
Shehadeh a pris des photos pendant l’attaque. Certaines d’entre elles montrent des soldats et les colons visant avec leur arme tout étant debout ou couché dans une position de tireur d’élite. Shehadeh a saisi plusieurs moments de coopération évidente.
« Un des soldats a donné son arme à un colon », a dit Shehadeh, en se référant à l’une des photos qu’il avait prises. On peut voir un civil, torse nu, le visage couvert, debout très près d’un capitaine des FDI. « Ils tiraient ensemble », a déclaré Shehadeh. « Quand le colon en a eu fini de tirer, il est allé voir les soldats et ils lui ont donné davantage de munitions ».
Une présence voyante sur les photos de Shehadeh est un colon de grande taille, barbu, portant une casquette de baseball noire. Au dos de la chemise du colon il y a les initiales « OSC » qui signifient Coordinateur de la Sécurité Permanente (Ongoing Security Coordinator). Local Call et The Intercept ont identifié cet homme comme étant Itzhak Levi, le coordinateur de la sécurité permanente à Yitzhar. Sur les photos, on peut voir Levi brandissant un fusil, conversant tour à tour avec les soldats et avec ses collègues colons. Sur une photo, il semble diriger l’attention des soldats. Sur une autre, Levi est debout derrière trois soldats, dont l’un vise avec un lanceur de gaz lacrymogène monté sur un fusil. Sur un autre cliché encore, Levi semble être en train de recharger son arme.
J’ai contacté Levi et je lui ai demandé ce qui l’avait amené à Urif et ce qu’il savait de l’attaque sur le village. Il a refusé de répondre à mes questions. « Je ne me souviens pas de cette date. Il y a eu des dizaines d’incidents et d’émeutes », a-t-il dit. Finalement, Levi s’est irrité et a demandé, « Où voulez-vous en venir ? N’avez-vous rien de mieux à faire de votre vie » ? Puis il a raccroché.
Mise à jour (18 juillet) : le vendredi 16 juillet, le lendemain de la publication de cet article, l’unité du Porte-parole des FDI a pris contact avec un nouveau commentaire, affirmant que les soldats des FDI de la zone de Yitzhar « s’occupaient de quatre violentes émeutes, comprenant des jets de pierre soutenus et des incendies criminels provenant de villages voisins ». Le commentaire complet figure à la fin de cette article.
Des colons de Yitzhar ont aussi contacté Local Call et The Intercept à la suite de la publication, pour dire que le 14 mai, les Palestiniens étaient ceux qui avaient mis le feu aux champs, et qui avaient jeté des pierres sur les colons qui étaient venus les éteindre. Ils ont dit aussi que l’attaque sur Urif était destinée à créer une « dissuasion ». Rien de tout cela ne légitime l’attaque sur le village.
Les documents photographiques de cette journée, réalisés par Shehadeh, sont empreints d’une triste ironie : il a peur de se faire photographier, car il craint de perdre son permis de travail en Israël. Beaucoup de Palestiniens de Cisjordanie ayant un permis dépendent des salaires élevés en Israël même. La révocation arbitraire des permis de travail peut avoir un goût de vengeance, voire de culpabilité par association.
Les craintes de Shehadeh sont largement fondées. C’était une situation courante au lendemain des attentats : l’abrogation par le gouvernement israélien des permis de travail des familles des personnes tuées. Deux jours après que Nidal Safadi ait été tué, le Service de la Sécurité Générale d’Israël a retiré le permis de travail à deux de ses frères. A Iskaka, des parents du Palestinien Awad Harb, assassiné, ont eu leur permis de travail abrogé par les Israéliens. Après que Ismail Al-Tubasi ait été tué dans l’attaque sur Al Reihiya, des membres de sa famille ont également perdu leur permis.
Une série de questions détaillées, comprenant les photos et les vidéos de la région, a été envoyée au Porte-parole des FDI concernant les évènements dans les différents villages. Au départ le Porte-parole a décidé de ne pas répondre aux questions, et au lieu de cela a répliqué que « les cas mentionnés sont en cours d’investigation, et nous ne pourrons donc pas les aborder à ce stade ».
Après la publication - un mois après que nous ayons demandé une réponse, et après qu’un article sur les incidents ait été publié dans Haaretz, le porte-parole des FDI a fourni la réponse suivante le vendredi 16 juillet :
Le 14 mai (Journée de la Nakba), pendant l’Opération « Gardien des Murs », les combattants des FDI ont affronté des dizaines d’émeutes violentes dans la région de Judée et de Samarie, plus de 10 attaques avec des armes à feu en ce seul jour.
A proximité de Yitzhar, les soldats (israéliens) ont eu affaire à quatre violentes émeutes, comprenant des jets de pierre soutenus et des incendies criminels provenant des villages voisins, et dans certains de ces évènements les soldats ont ressenti une réelle menace pour leur vie.
Pendant une de ces émeutes, près des abords du village d’Urif, un homme armé habillé d’un pantalon de combat des FDI, qui ne faisait pas partie des soldats opérant dans cette zone, est entré dans la zone le visage caché et a apparemment tiré avec son arme.
Une enquête du commandement des FDI a été lancée à la suite de l’incident, ainsi qu’une enquête de la Police Militaire d’Investigation, à la suite des affirmations selon lesquelles un Palestinien avait été tué pendant l’émeute.
L’affirmation, selon laquelle les soldats des FDI ont provoqué les affrontements en entrant dans les villages dans lesquelles il n’y avait pas eu d’affrontement antérieur, est fausse et mensongère.
Les FDI continueront à agir selon les procédures pour garantir la paix et la sécurité aux habitants de Judée et Samarie, et toute déviance fera l’objet d’une enquête et sera traitée en conséquence.
Il convient de noter que les observations de l’armée ignorent les attaques conjointes des colons et des soldats dans les autres villages mentionnés dans cet article, et dans lesquels trois Palestiniens ont été tués. L’armée n’explique pas pourquoi des colons de Yitzhar ont été vus dans le village de Urif, ou pourquoi un individu masqué — que l’armée décrit comme « ne faisant pas partie des soldats » — peut ouvrir le feu sur des gens tout en se tenant aux côtés desdits soldats sans qu’aucune action n’ait lieu contre lui.
A la suite de la publication, un habitant de Yitzhar m’a dit que « l’entrée dans le village n’est pas une démarche de vengeance, mais de dissuasion… l’armée — je le crains — ne parvient pas à créer une réelle dissuasion ». Si ceci est vrai, alors les colons et les soldats ont en effet lancé des attaques sur ces villages afin de créer une « dissuasion », à l’opposé de ce qu’affirme le Porte-parole des FDI.
Shehadeh, de Urif, a également commenté la déclaration de l’armée, en réaffirmant son affirmation selon laquelle « les affrontements ont éclaté quand les colons sont venus près des maisons du village et les ont menacées. Il n’y a pas eu d’action contre les colons avant ceci ». Shehadeh a ajouté que ceci est un motif récurrent, dans lequel les colons « ripostent » à des évènements ayant lieu ailleurs en attaquant le village. « Ils se vengent contre nous à chaque fois que quelque chose arrive aux Juifs, même si c’est à l’intérieur de ’48 (les frontières d’Israël) ».
Basil al-Adraa a contribué à la rédaction de cet article.
L’article a été publié en partenariat avec The Intercept et une version de ce texte a été publiée à l’origine en hébreu sur Local Call.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT sur les Prisonniers de l’AFPS