« Vous êtes connu pour être un fauteur de troubles. Je vais vous relâcher cette fois-ci, mais je vous assure que si vous créez des problèmes la prochaine fois, vous le paierez très cher »
« Si vous ne les arrêtez pas, vous me verrez ici tous les jours »
Samedi 5 aout 2023, l’armée israélienne a arrêté l’activiste et militant de la résistance populaire Mohamed Huraini (19 ans). Lui et sa famille, comme nombre d’habitant.es des villages de Masafer Yatta, paient un lourd tribut pour la simple revendication de vivre dignement sur leur terre. Les membres de la famille Huraini sont régulièrement attaqués par l’armée ou les colons. Cette fois-ci, le jeune activiste du village de Twani a été arrêté lorsqu’il a protesté contre le fait que des colons venaient installer leur bêtes sur le champ de sa famille. Ses terres sont interdites d’accès pour la famille Huraini, car dans la zone d’entraînement militaire, mais les colons sont autorisés, ou du moins tolérés par les soldats israéliens.
Après qu’il ait protesté contre cette énième injustice, les troupes israéliennes ont arrêté Mohammed Huraini.
S’en suivent de longues heures de harcèlement et de violences que ce dernier a communiqué lorsqu’il a été libéré le lendemain.
Retrouvez l’intégralité de son témoignage :
Je faisais paître nos moutons lorsqu’un groupe de colons israéliens illégaux a envahi nos terres et a commencé à me harceler. Ils avaient aussi des moutons qu’ils ont lâchés pour qu’ils puissent paître sur nos terres. Lorsque j’ai essayé de les arrêter, ils ont appelé l’armée israélienne, qui est immédiatement arrivée. L’armée avait déjà préparé un ordre militaire stipulant que notre terrain privé est une zone militaire fermée, avant de rejoindre les colons.
Pour faire respecter l’ordre militaire, qui ne s’applique qu’à nous, le commandant israélien nous a notifié que nous devions quitter le terrain dans les minutes qui suivaient. J’ai refusé et j’ai insisté pour que les colons quittent nos terres en premier. Les soldats israéliens ont réagi en me menottant et en me bandant les yeux. Le commandant israélien a serré les menottes pour me blesser et a essayé de m’humilier et de me provoquer. Je lui ai crié : "Que faites-vous ? Je ne suis pas un jouet entre vos mains pour que vous me traitiez ainsi." Il m’a répondu : "Tais-toi !"
Vers 20 heures, ils m’ont emmené à la base militaire près du village de Susiya. J’ai pu le voir par un trou dans le morceau de tissu qui me couvrait les yeux. Lorsque nous sommes arrivés à la base militaire, ils m’ont jeté dans une cour où un soldat me surveillait. Je me disais que ce soir, j’allais être humilié et harcelé. En effet, des soldats israéliens ont commencé à se rassembler autour de moi, à parler en hébreu, une langue que je comprends à peine, et à rire. Je pense qu’ils se moquaient de moi. Ensuite, le commandant qui m’a arrêté a dit en anglais : "Vous voyez maintenant ce dont je suis capable ; vous êtes maintenant à ma merci et personne ne sait où vous êtes en ce moment". Après avoir terminé sa phrase, il m’a frappé la tête avec sa main, pensant que je ne réagirais pas par peur, mais je lui ai crié "ne me touche pas". Les autres soldats qui se rassemblaient m’ont forcé à rester allongé sur le sol pendant deux heures. Chaque fois que j’essayais de me lever, ils m’en empêchaient. Deux heures plus tard, un soldat est arrivé et m’a dit : "Nous allons te laisser partir, mais demain à 10 heures, tu devras te rendre au poste de police de Kiryat Arabaa, à Hébron" pour un interrogatoire. Je n’ai pas répondu à ce qu’il a dit et il est parti. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’ils me relâcheraient après minuit. Ils m’ont fait attendre pendant des heures jusqu’à ce que je perde patience et que je me mette à crier "libérez-moi maintenant. Que faites-vous ?" L’un d’eux a répondu : "C’est la conséquence de ce que tu as fait aujourd’hui.
J’ai répondu : "Je ne me tairai pas et je n’ai rien fait de mal aujourd’hui". J’ai continué à leur crier dessus jusqu’à ce que deux soldats arrivent et me fassent monter dans une jeep militaire. Vers 2 heures du matin, ils m’ont relâché à l’entrée de la colonie de Susiya (construite sur des terres volées au village palestinien de Susiya). Je leur ai demandé de me déposer près de chez moi, car cette zone est dangereuse pour moi, car les colons pourraient m’attaquer. Bien entendu, ils ont rejeté ma demande. Je soupçonnais que cela faisait partie d’un plan coordonné avec les colons de la région pour m’agresser brutalement après ma libération.
Je n’avais pas d’autre choix que de marcher sur la route de contournement 317, sur une distance d’environ cinq kilomètres. J’étais très nerveux et effrayé pendant que je marchais. J’étais également très épuisé, j’avais faim et soif. Une fois arrivé chez moi, on m’a donné de quoi me nourrir, à boire et j’ai pu me reposer avant de me rendre à l’interrogatoire à 10 heures du matin. Sami, mon frère aîné, m’a accompagné au centre d’interrogatoire dans la colonie de Kiryat Arbaa’. Nous avons tous les deux attendu à la porte de la colonie jusqu’à ce que quelqu’un l’ouvre. Ils m’ont mis dans une petite pièce. J’ai attendu un moment jusqu’à ce qu’un officier israélien, dont je reconnaissais le visage mais dont je ne me souvenais pas du nom, entre dans la pièce. Il m’avait déjà interrogé à plusieurs reprises par le passé. J’ai été surpris qu’il ne commence pas à m’interroger, mais il m’a dit d’un ton menaçant : "Vous êtes connu pour être un fauteur de troubles. Je vais vous relâcher cette fois-ci, mais je vous assure que si vous créez des problèmes la prochaine fois, vous le paierez très cher".
Je lui ai répondu : "Tout d’abord, je suis un être humain qui a le droit d’accéder à sa terre, de faire paître ses moutons et de la cultiver, et non un fauteur de troubles. Mon devoir et mon droit sont de la défendre. Je ne laisserai personne l’endommager ou s’en emparer. Vous savez très bien qui sont les fauteurs de troubles. Ils [les colons] nous agressent constamment. Vous le savez bien puisque mon père a porté plainte contre eux à plusieurs reprises, mais vous n’avez rien fait pour y mettre fin. Cela montre à quel point vous avez un parti pris pour les colons fanatiques. Si vous ne les arrêtez pas, vous me verrez ici tous les jours".
L’officier s’est indigné et a dit : "Sortez d’ici et nous nous reverrons dans les jours à venir". J’ai répondu : "Je suis sûr que nous nous retrouverons tous les deux autour de cette table d’interrogatoire."
Je suis parti avec un sentiment de fierté et de puissance. Je suis de retour chez moi et je poursuivrai la lutte que j’ai entamée à l’âge de 13 ans pour défendre notre droit et notre terre. Je n’abandonnerai pas, quoi qu’ils fassent.
Chers amis, merci pour votre soutien. Je suis fier de vous. »
(1)_Israeli occupation forces arrest my cousin Mohammad Al-Huraini from the village of Twani on the orders of settlers.
The place where my cousin was arrested today is the same place where the settlers attacked his father Hafiz Al-Huraini. pic.twitter.com/SnbSDGcwdd
— Mohammad Hureini (@MohammadHuraini) August 5, 2023
Ces actions régulières s’inscrivent dans le cadre d’un harcèlement quotidien de l’armée et des colons dans le but de faire évacuer les habitants des villages de la zone de Masafer Yatta. Les centaines d’habitant.es des 20 villages de Masafer Yatta vivent constamment sous deux menaces : la colonisation et l’occupation militaire. La première se matérialise par des attaques quotidiennes, des vols de ressources et un danger permanent. La seconde s’illustre par l’instauration d’une zone de tir à Masafer Yatta, faisant de la moitié de ces villages une zone d’entraînement militaire.
Mais l’occupation s’exprime aussi par les ordres de démolitions d’écoles ou d’habitations, des expulsions régulières. Le nettoyage ethnique en cours à Massafer Yatta, est le plus important depuis l’invasion de 1967. La énième arrestation d’un membre de la famille Huraini illustre totalement l’alliance objective entre les colons et l’armée israélienne dans l’optique d’expulser les palestinien.nes de Masafer Yatta.
Sources : Sami Huraini / Stop the Wall/ Youth of Sumud / Mohammad Huraini
Photo : Stop The Wall