Photo : Manifestation contre la réforme judiciaire en Israël, mars 2023 (Wikipedia)
Alors que des centaines de milliers de personnes dans tout Israël se joignaient aux manifestations antigouvernementales, des questions ont commencé à se poser quant à la manière dont ce mouvement affecterait, ou éventuellement fusionnerait, avec la lutte plus large contre l’occupation militaire israélienne et l’apartheid en Palestine.
Les médias pro-palestiniens ont partagé, avec un enthousiasme évident, des informations sur des déclarations faites par des célébrités hollywoodiennes - telles que Mark Ruffalo - sur la nécessité de "sanctionner le nouveau gouvernement de droite dure du [premier ministre israélien Benjamin] Netanyahou".
M. Netanyahou, qui se trouve au cœur de la controverse actuelle et des manifestations de masse, a eu du mal à trouver ne serait-ce qu’un pilote pour le vol qui le conduisait à Rome le 9 mars, pour une visite de trois jours avec le gouvernement italien. L’accueil réservé au dirigeant israélien en Italie a été tout aussi froid. La traductrice italienne, Olga Dalia Padoa, aurait refusé d’interpréter le discours de M. Netanyahou, prévu le 9 mars dans une synagogue de Rome.
On peut comprendre la nécessité d’utiliser stratégiquement l’agitation contre le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou pour dénoncer la prétention frauduleuse d’Israël à être une véritable démocratie, prétendument "la seule démocratie du Moyen-Orient". Toutefois, il faut également veiller à ne pas légitimer les institutions israéliennes intrinsèquement racistes qui ont existé des décennies avant l’arrivée au pouvoir de M. Netanyahou.
Le Premier ministre israélien est empêtré dans des affaires de corruption depuis des années. Bien qu’il soit resté populaire, M. Netanyahou a perdu sa place à la tête de la politique israélienne en juin 2021, à la suite de trois élections âprement disputées. Pourtant, il est revenu le 29 décembre 2022, cette fois avec des personnages encore plus corrompus - même selon les critères israéliens - tels que Aryeh Deri, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, ces deux derniers occupant respectivement les postes de ministre des Finances et de ministre de la Sécurité Nationale.
Chacun de ces personnages avait une raison différente de rejoindre la coalition. Le programme de Smotrich et Ben Gvir allait de l’annexion des colonies illégales de Cisjordanie à l’expulsion des politiciens arabes considérés comme "déloyaux" à l’égard de l’État.
Netanyahou, bien qu’il soit un idéologue de droite, est davantage préoccupé par ses ambitions personnelles : conserver le pouvoir le plus longtemps possible, tout en se protégeant, lui et sa famille, des problèmes juridiques. Il veut simplement éviter la prison. Pour ce faire, il doit également satisfaire les exigences dangereuses de ses alliés, qui ont reçu carte blanche pour déchaîner la violence de l’armée et des colons contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée, comme cela a été le cas à Huwwara, Naplouse, Jénine et ailleurs.
Mais le gouvernement de M. Netanyahou, le plus stable depuis des années, a des objectifs plus ambitieux que de simplement "rayer" les villes palestiniennes de la carte. Il veut modifier le système judiciaire qui lui permettrait de transformer la société israélienne elle-même. La réforme permettrait au gouvernement de contrôler les nominations judiciaires en limitant le pouvoir de la Cour suprême israélienne d’exercer un contrôle judiciaire.
Les manifestations en Israël n’ont pas grand-chose à voir avec l’occupation israélienne et l’apartheid, et ne se préoccupent guère des droits des Palestiniens. Elles sont menées par de nombreux anciens dirigeants israéliens, tels que l’ancien Premier ministre Ehud Barak, l’ancienne ministre Tzipi Livni et l’ancien Premier ministre et chef de l’opposition, Yair Lapid. Pendant la période où Naftali Bennett et Yair Lapid étaient au pouvoir, entre juin 2021 et décembre 2022, des centaines de Palestiniens ont été tués en Cisjordanie. L’année 2022 a été décrite par le coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland, comme la plus "meurtrière" en Cisjordanie depuis 2005. Pendant cette période, les colonies juives illégales se sont rapidement développées, tandis que Gaza était régulièrement bombardée.
Pourtant, le gouvernement Bennett-Lapid n’a guère été confronté à la réaction de la société israélienne pour ses actions sanglantes et illégales en Palestine. La Cour suprême israélienne, qui a approuvé la plupart des actions du gouvernement en Palestine occupée, n’a pas non plus essuyé de protestations, ou très peu, pour avoir homologué l’apartheid et validé la prétendue légalité des colonies juives, toutes illégales au regard du droit international. Le sceau d’approbation de la Cour suprême a également été accordé lorsqu’Israël a adopté la loi sur l’État-nation, s’identifiant exclusivement comme un État juif, rejetant ainsi l’ensemble de la population arabe, musulmane et chrétienne qui partage la même parcelle de terre entre le Jourdain et la mer Méditerranée.
Le système judiciaire israélien a rarement pris le parti des Palestiniens, et si de petites "victoires" ont été enregistrées de temps à autre, elles n’ont guère modifié la réalité globale. Bien que l’on puisse comprendre le désespoir de ceux qui tentent de lutter contre les injustices israéliennes en utilisant le propre "système judiciaire" du pays, ce langage a contribué à la confusion quant à la signification des protestations actuelles d’Israël pour les Palestiniens.
En fait, ce n’est pas la première fois que les Israéliens descendent en masse dans la rue. En août 2011, Israël a connu ce que certains ont appelé son propre "printemps arabe". Mais il s’agissait là aussi d’une lutte des classes à l’intérieur de frontières idéologiques clairement définies et d’intérêts politiques qui se recoupaient rarement avec une lutte parallèle pour l’égalité, la justice et les droits de l’homme.
La dualité des luttes socio-économiques existe dans de nombreuses sociétés à travers le monde, et l’amalgame n’est pas sans précédent. Dans le cas d’Israël, cependant, cette confusion peut s’avérer dangereuse, car l’issue des manifestations israéliennes, qu’elle soit un succès ou un échec, pourrait susciter un optimisme infondé ou démoraliser ceux qui luttent pour la liberté des Palestiniens.
Bien que constituant des violations flagrantes du droit international, les arrestations arbitraires, les exécutions extrajudiciaires et la violence quotidienne exercée à l’encontre des Palestiniens s’inscrivent pour l’essentiel dans le cadre juridique israélien. Tous ces actes sont pleinement autorisés par les tribunaux israéliens, y compris la Cour suprême du pays. Cela signifie que, même si Netanyahou ne parvient pas à rendre le système judiciaire hégémonique, les civils palestiniens continueront à être jugés par des tribunaux militaires, qui continueront à approuver la démolition de maisons, la saisie illégale de terres et la construction de colonies.
S’engager de manière pertinente dans les manifestations en cours, c’est davantage dénoncer la manière dont Tel-Aviv utilise le système judiciaire pour maintenir l’illusion qu’Israël est un pays de droit et d’ordre, et que toutes les actions et violences en Palestine, aussi sanglantes et destructrices soient-elles, sont pleinement justifiables par le cadre juridique du pays.
Oui, Israël devrait être sanctionné, non pas en raison de la tentative de Netanyahou de coopter le pouvoir judiciaire, mais parce que le système d’apartheid et le régime d’occupation militaire constituent un mépris total et une violation absolue du droit international. Que les Israéliens le veuillent ou non, le droit international est le seul qui compte pour une nation occupée et opprimée.
Traduction : AFPS