Patrick Galais en Palestine du 06 juillet au 06 septembre 2006
Long silence mail car pas d’accès ici ou là, peu d’infos aussi. Je ne sais plus où j’en suis avec ces prétencieuses chroniques certainement trop bavardes, qui sont pour moi le plaisir d’être avec vous, et aussi un moyen de formaliser toutes ces rencontres, ces émotions, si vous me le permettez...
N°3 ou 4 ? Donc plus de numérotation de chronique...
Lundi 24 juillet 2006.
Atelier sténopé de 6 jours, la semaine dernière au camp de réfugiés Al Fara’a, près de la valléé du jourdain et à 20 KMS de Naplouse :
J’étais déjà passé par ici en Février dernier avec Marianne, la directrice du CCF de Naplouse qui a ici des amitiés, il y avait eu d’improvisé un atelier d’une journée, de découverte, avec des animateurs d’un « scout camp ». Ils ont bien accroché au sténopé (ça devient joyeusement une habitude !) et à la « photography with nothing ». Nous y avions laissé des cuvettes, lampe rouge de labo, chimie, papier photo, et une boîte sténopé faite avec une conserve vide, à titre d’exemple et de reproduction possible.
Mais avant mon retour, la semaine dernière, ils n’y avaient pas touché :
« You know the situation Patrick... ». Une phrase que j’entends beaucoup, pas un signe mauvaise volonté, non, mais de lassitude évidente... Une autre phrase arrive souvent : « I’m very busy » : un « busy » que nous traduisons de l’anglais par occupé bien sûr, mais qui est celui de la complexité de la vie ici, des déplacements, pour aller à la fac, à l’hopital... ou peut-être avoir à faire demi-tour, des check-point ou des villes peut-être fermés. Etre « occupé »... militairement.
Je retrouve donc le camp de réfugié, je suis très attendu... Nous décidons, avec le chef du camp, Abu Jamil, de prendre les mêmes animateurs qu’en Février pour un second degré de formation sténopé, l’idée est de les rendre autonomes pour pouvoir faire des ateliers avec les gosses après mon départ.
Tout se passe bien, on avance à grands pas...
On ne parle de l’actualité que brièvement le matin. Nous avons tous vu ou entendu les avions de chasse ou hélicoptères israeliens venants d’une base au sud de Naplouse et qui survolent le camp vers le nord en direction du Liban. Parfois aussi, avant de dormir sur les terrasses, lors de confidences protégées par la nuit, quelques fusées éclairantes sont lancées pour surveiller les colonies environnantes. Une pyrotechnie plutôt singulière, mais ici habituelle.
Je suis invité chaque jour dans une famille différente. Pour y dormir aussi, et je me rends compte de la chance que j’ai dans ce partage. Le camp compte env. 7000 habitants, des familles entières déplacées en 1949, d’abord dans des camps de toile de l’UNRWA.
L’habitat en dur n’est apparu que deux, trois ou quatre années plus tard, deux pièces de 15 m2 par famille, deux fenêtres de 60 cm, le tout construit sur un plan urbanistique très très très serré. Il ne reste que peu de "maisons" de cette époque, ou alors celles qui restent servent de débaras-poubelle, elles ne méritent vraimment pas plus...Parfois des étages y on été rajouté.
Quand on se promène dans les ruelles le soir, on pourrai presque se croire dans un village provençal. Une illusion très provisoire, rien de pitoresque, c’est du béton, des égouts à ciel ouvert et la pauvreté difficile à ne pas voir nous le rappellent.
Une pauvreté et une difficulté de vivre qui contraste toujours autant avec l’accueil extraordinaire, le sens de l’humour, la chaleur des palestiniens... même si parfois ils semblent avoir perdu tout espoir de vie meilleure.
Je pense quand même toujours à ce boulot documentaire que je m’impose à coté des ateliers sténopé, faire des images de ces maisons palestiniennes, jamais finies, ou en construction suspendue. Métaphore que j’ai choisi pour raconter la difficulté de construire, de construire ce pays, de se construire ici, palestinien... Je sais ce choix documentaire délicat, et crève cœur, car sa forme définitive pourrait paraître misérabiliste , à vouloir photographier des habitats tôt le matin, dans des rues ou chemins déserts, en absence de toute vie apparente, alors que c’est faux. Je dois m’y accrocher. Y ajouter des portraits par exemple, serai m’excuser de ce choix.
Comme je suis assez occupé avec les ateliers sténopé, comme tout est (très)organisé pour mon accueil et comme je suis toujours accompagné par un ou des palestiniens dès que je fais un pas à l’extérieur, sois pour prendre soin de moi, ou fier d’être dans la rue avec un étranger... je dois alors faire preuve de ruses pour me retrouver seul. Le jeu de piste commence car ce manque d’intimité commence à être assez pesant, au moins à ces images que je veux faire. J’avais déjà connu ça dans un village près de Ramallah l’été dernier.
Comme les palestiniens se couchent assez tard, discusions, thé, comme dans la journée ils n’ont pas grand chose à faire faute de vrai boulot et comme je n’ai pu négocier cet espace d’intimité, je tente le coup de me lever vers 5 ou 6 heure du matin et de quitter la maison d’accueil au risque (mesuré) d’être impoli...
Vers 8/9hoo, où est passé Patrick, on l’a vu passer par ici, etc... et souvent on me retrouve à boire un café dans telle ou telle maison. Je dois aussi négocier pour ça car à chaque maison, tous les vingt mètres, j’y suis invité pour un café... Je fonctionne comme ça un jour ou deux, j’arrive à faire des images tranquile, et Abu Jamil annonce à tous, suite à mes fugues, et finalement très content et assez ému je crois, « qu’on ne peux pas mettre Patrick en cage ». L’incident culturel est donc évité...
Fin de la semaine, un groupe de 40 étudiants franco-palestinien du GUPS arrive de France pour faire des activités avec les gosses du camp. Lors de la présentation officielle des responsables palestiniens du camp à la délégation française, j’ai dû m’asseoir à coté d’Abu Jamil. Une fois les palestiniens présenté, il a fini par me présenter devant tous les français aussi étonés que moi : « Patrick, du camp de réfugiés de Fara’a ». Je n’oublierai jamais ça.
Deux françaises de la délégation veulent aussi faire des ateliers de photo, digitale, et ne connaissent pas la technique du sténopé.
Je les emène dans notre labo, les présente au animateurs, et nous prenons la décision que ces françaises seraient finalement formées au sténopé par les animateurs palestiniens.
La boucle est bouclée... ou ça y ressemble joyeusement.
A bientôt.
Pat.
Patrick Galais > photographe
Description du projet
Liberté toujours 1024 x 768
Atelier sténopé en Palestine
Le sténopé : un appareil photographique primitif sans mécanisme ni lentille, une simple boîte noire percée d’un trou, des temps de poses de plusieurs secondes minutes, heures... Un langage et une technique photographique simples à la portée de tous, auteur ou lecteur de ces images différentes. Cet outil permet des créations artistiques collectives sous la forme d’ateliers participatifs, d’actions culturelles et de formation destinés à tous, partout dans le monde et souvent avec des jeunes en milieu difficile.
La maîtrise de cette technique photographique se rapproche de l’acquisition d’un nouveau langage, à la fois universel et varié. On parcours tout le processus de la création d’une image, à commencer par la fabrication de son appareil, de sa boîte. Viennent ensuite les prises de vues avec ses longs temps d’exposition envahis par la rêverie, puis le développement en laboratoire, un espace intime en lumière rouge où les paroles échangées et les attentions sont finalement aussi importantes que les images obtenues.
Ces ateliers sténopé en Cisjordanie ont été, et sont encore proposés, à des jeunes, des étudiants, des habitants des villes, villages ou camps de réfugiés, profitant de ce rapport au monde différent qu’offre la photographie, une fenêtre ouverte où le quotidien disparait le temps d’une image, ou d’une journée passée ensemble... Mais quand on regarde mieux le choix des participants de photographier tel lieu, telle personne, de faire un autoportrait à tel endroit, la notion d’identité intervient.
Ces visages, ces silhouettes semblent nous dire "Je suis ici", "Ici je suis" et les enjeux identitaires forts qui apparaissent généralement dans des ateliers sténopé participatifs prennent ici en Palestine une dimension évidemment particulière.
Avec le soutien du Consulat Général de france de Jérusalem, des Centres Culturels Français de Ramallah et Naplouse, des universités de Birzeit et An-Najah Fine Art, du camp de réfugiés Al Fara’a, des CCIPPP 76, du Youth Ressource Center, du Rantis Children Cliub, du Volcan Scène Nationale du Havre.
Assistantes : Sunya Danoun, Stéphanie Baudinet, Lucie Christini.