Et Tsahal, note Ha’Aretz, a trop menti ces dernières années pour qu’on la croie.
Le dimanche 11 décembre 2005, l’attention de Mohammad Hamdan, un
habitant d’Oum Touba (un village proche de Jérusalem), est attirée par
une mule galopant vers le village. C’est avec horreur qu’il découvre,
accroché à la bête par la main gauche, le corps de Mahmoud Shawwara, une
connaissance du village voisin, le visage tuméfié. Shawwara décède à
l’hôpital universitaire [israélien] Hadassah d’Ein Kerem après cinq
jours de coma.
Sa famille porte rapidement plainte contre des officiers
du Magav [gardes-frontières] qui ont arrêté Shawwara pour présence
illégale sur le territoire de Jérusalem. Le ministère de la Justice
prétend quant à lui que Shawwara a simplement été victime d’un accident.
Sa mule était sauvage ; il se serait attaché à la selle et n’aurait
hélas pas réussi à s’en détacher quand elle s’est emballée.
Le 23
décembre 2005, Gidéon Lévy relate ce drame, tout en laissant aux
lecteurs de Ha’Aretz la liberté de choisir la version qui leur semble la
plus crédible : celle de la famille, fondée sur de nombreux précédents
de Palestiniens attachés de force à leurs chevaux, ou celle de l’Etat
d’Israël, accréditant la thèse de la mort accidentelle.
La semaine passée, les correspondants militaires et les spécialistes des
Territoires ont également laissé l’opinion publique dans l’expectative.
Pour comprendre les circonstances dans lesquelles les sept membres de la
famille Ghaliya ont été fauchés sur la plage de Gaza, faut-il croire le
Premier ministre [Ehoud Olmert], le ministre de la Défense [Amir
Peretz], le ministre des Affaires étrangères [Tzipi Livni], le chef
d’état-major [Dan Halutz] et le général Meir Klifi ?
Ou faut-il
accréditer la version défendue bec et ongles par [l’organisation
américaine des droits de l’homme] Human Rights Watch (HRW) et les
témoins palestiniens ?
De nombreux israéliens croient les Palestiniens.
Si Tsahal affirme, après une reconstitution apparemment méticuleuse des
faits, que la famille Ghaliya ne peut en aucun cas avoir été victime de
tirs israéliens, les Palestiniens (chirurgiens, ambulanciers et témoins)
avancent, quant à eux, des indices contredisant radicalement la version
officielle israélienne.
Pour couronner le tout, il y a aussi le
témoignage de Marc Garlasco, un expert militaire de HRW, qui a mis la
main sur un fragment d’obus de 155 de fabrication israélienne recueilli
sur les lieux du carnage.
Dire que l’opinion publique israélienne reste perplexe devant les
contradictions qui opposent les versions israélienne et palestinienne
relève du doux euphémisme.
Car de nombreux Israéliens sont effectivement
enclins à croire les Palestiniens et leurs porte-parole, et cela n’a
rien à voir avec de la “haine de soi”.
C’est qu’il y a trop
d’antécédents d’abus contre des Palestiniens, niés avant d’être reconnus
grâce au témoignage des conscrits de [l’organisation pacifiste
israélienne] Shovrim Shtika [“Briser le silence”].
Ces morts de
coopérants étrangers, ignorées avec superbe avant de faire l’objet
d’enquêtes militaires à la suite d’intenses pressions internationales.
Ces accusations contre les agences humanitaires internationales,
ravalées après simple vérification (comme celle accusant l’Office de
secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine
dans le Proche-Orient [UNRWA] de transporter des roquettes Qassam
jusqu’à ce que des photos authentifiées prouvent qu’il s’agissait de
civières...).
Ces bombardements de zones construites prétendument non
habitées, jusqu’à ce qu’un carnage révèle le contraire (comme à Rafah,
en mai 2004).
Ces enquêtes internes à l’armée et à la police, qui
doivent faire elles-mêmes l’objet d’enquêtes de la part d’organismes
parlementaires (comme après la mort de 13 manifestants arabes
israéliens, en octobre 2000).
Cette fillette palestinienne, Iman
Al-Hams, abattue à distance avant d’être achevée par le capitaine R.
Cette tradition militaire millésimée qui voit l’armée contourner le
pouvoir politique, tradition illustrée encore récemment par l’affaire de
la clôture de séparation, dont le tracé est un cadeau aux colonies
israéliennes.
Les autorités de l’Etat d’Israël, et pas seulement les différentes
branches du pouvoir militaire, ont fini par se faire une triste
réputation en matière de crédibilité.
Il n’est dès lors guère étonnant
que non seulement la communauté internationale mais aussi les citoyens
israéliens en arrivent à ne plus croire les versions officielles.
Enquête
La controverse sur l’origine de l’explosion survenue sur la plage de
Gaza bat son plein dans les médias israéliens. Alors que Tel-Aviv
affirme toujours qu’aucun obus n’a été lancé le 9 juin sur cette plage,
la chaîne de télévision privée israélienne “La 10” a révélé que les
éclats extraits du corps d’un jeune Palestinien blessé provenaient d’un
projectile israélien. Par ailleurs, le Premier ministre israélien, Ehoud
Olmert, a rejeté les appels demandant la formation d’une commission
d’enquête internationale.