Après les fouilles et autres démarches administratives, j’entre avec le Consul adjoint dans la prison composée de plusieurs bâtiments où sont retenus 700 détenus. Un gardien nous accompagne au bâtiment où se trouve Salah. Un vrai labyrinthe. Le bâtiment où se trouve Salah est neuf. On nous conduit, à travers une succession de couloirs hermétiquement fermés, vers le lieu exact où doit se tenir la rencontre. Nous négocions un endroit adapté. Les gardiens nous installent dans un bureau. Nous entendons du bruit derrière la fenêtre. Nous regardons. C’est une petite cour bétonnée où se trouvent une trentaine de détenus qui prennent « l’air » en marchant activement. Nous voyons Salah faire les cents pas en compagnie d’une autre jeune avec qui il discute. Puis il se retourne vers quelqu’un qui l’appelle. Il disparaît de notre vue. On entend rapidement des pas dans l’escalier qui mène au bureau. Accompagné d’un gardien il entre. C’est un grand gaillard. Je me présente. Il dit connaître mon nom. Sa mère, qui lui rend visite à chaque fois que possible mais qui ne peut l’approcher, lui a dit dans le parloir, où une vitre les sépare, qu’un mouvement de solidarité s’est déclenché pour lui en France. Nous nous embrassons. On s’assied dans le bureau où nous sommes quatre : un gardien qui ne parle pas le français, Salah, le Consul adjoint et moi.
Aussitôt il parle. Il parle pour remercier à travers moi toutes celles et tous ceux qui lui ont assuré de leur solidarité. Ce sont ces premiers mots qu’il me répète et me répète encore. Il est visiblement très sensible et heureux de tous ces messages qu’il reçoit. Aux lettres. Il s’excuse de ne pas avoir encore répondu à chacune et chacun : il n’a pas encore pu se procurer de timbres.
Je lui transmets tous les saluts qu’on m’a demandé de lui transmettre lors de mon passage à Ramallah. Parmi ceux-ci celui de Fadwa Barghouti, la femme de Marwan. Il est resté 9 mois durant avec Marwan dans le même endroit. Ils se côtoyaient quotidiennement. Ses parents m’ont donné une photo de lui avec Marwan en prison. Ce dernier souhaitant apprendre le français, Salah lui a donné des cours. Marwan comprend désormais à peu près le français. Je lui dis aussi que ses parents ont rencontré le ministre Kouchner, le samedi soir, au Consulat général de Jérusalem.
Je lui demande de m’expliquer les conditions de son arrestation. Il me dit tout d’abord que c’est la troisième fois qu’il va en prison. La première fois il avait 16 ans. Il a passé 4 mois derrière les barreaux pour avoir collé des affiches. Puis il a été arrêté une seconde fois, à 18 ans, sans savoir pourquoi. Il est resté en rétention administrative pendant 5 autres mois. Puis il me parle de sa dernière arrestation. Il y a 3 ans. C’était le 13 mars 2005.
Habitant à Jérusalem-Est, il dispose d’une carte d’identité dite « de Jérusalem ». Il peut circuler. Ce jour-là 13 mars 2005, il allait en voiture avec des copains à Ramallah. Arrivés au « chekpoint » de Qalqiliya il présente ses papiers. Les soldats consultent, le font descendre du véhicule et l’arrête sans aucune explication. Il est conduit aussitôt en prison. Ses parents ne savent rien, ils ne sont informés de rien mais ils ne le voient pas rentrer le soir.
Salah ne sait pas pourquoi il est arrêté. Puis les accusations lui sont dévoilées. Trois mois exactement avant son arrestation il est passé de nuit, en voiture, devant la maison sous surveillance d’un rabbin particulièrement extrémiste, le rabbin Yossef Ovadia.
Ce rabbin est aussi le chef d’un parti tout aussi extrémiste, le parti Shass, qui dispose de députés à la Knesset et qui soutient le gouvernement Olmert. Ce rabbin est particulièrement connu pour ses propos d’une violence et d’un racisme absolus. Depuis la chaire de la synagogue de Jérusalem il n’a pas mâché ses mots. Parlant des Palestiniens il a déclaré : « Il faut anéantir les Arabes. Il ne faut pas avoir pitié d’eux, il faut leur tirer dessus avec des super missiles, les anéantir, ces méchants, ces maudits ». Pour lui les Arabes sont des « vipères », des êtres nuisibles et venimeux. Même la « Shoah » est considérée par lui comme étant de la faute des juifs. S’ils ont subi ce sort c’est qu’ils avaient pêché, dit-il…
Trois mois plus tard le fait d’être simplement passé devant sa maison il est accusé de « complot » contre ledit Rabbin Ovadia lequel coule toujours des jours heureux malgré les propos effroyables qu’il tient et qui auraient lui valoir condamnation.
Alors qu’il n’y a eu aucun acte d’aucune sorte de Salah contre ce rabbin et tandis que sa maison a été fouillée de fond en comble et que rien n’a été trouvé qui pourrait alimenter une seconde cette thèse, Salah est soupçonné de « complot » parce qu’il est membre d’une association de jeunesse réputée proche du FPLP.
L’accusation est donc la suivante pour les israéliens : « puisque Salah est membre du FPLP (ce qui n’est pas le cas) il projetait forcément un complot contre le rabbin ». Voilà la charge qui pèse contre lui. Une charge qui peut lui valoir d’être condamné à 7 ans de prison fermes. Il n’a rien fait mais il aurait pu faire – telle est l’accusation.
Comme me disait Salah qui n’est pas surpris de ces méthodes « si je projetais pareil complot j’aurai pu largement le mettre en œuvre en trois mois, entre le moment où je suis passé devant la maison du rabbin et le moment où j’ai été arrêté. Mais je n’ai jamais eu un tel projet. Jamais. »
Ainsi Salah est-il en prison depuis 3 ans, sans être jugé, car les auditions auxquelles on doit présenter un témoin susceptible de corroborer le parti pris de l’appartenance de Salah au FPLP sont annulées les unes après les autres, faute de témoin…. Et pourtant les témoins annoncés sont facilement « trouvables » : ce sont tous des prisonniers. Ce sont ainsi 25 ou 26 audiences qui ont été annulées. Et Salah est toujours accusé.
Précédant la procédure judiciaire (si on peut appeler cela comme cela) Salah a connu une autre période : celle de l’interrogatoire. Pendant 45 jours, de manière continue, sans sommeil quasiment, les interrogateurs se sont succédés les uns les autres pour lui poser les mêmes questions et le faire « avouer ».
« Une fois, me dit Salah, ils m’ont approché d’une vitre et derrière j’ai vu mon père. Celui-ci a eu des pontages coronariens. Ils m’ont dit : si tu n’avoues pas c’est vers ton père qu’on agira ». Salah qui a une très grande force morale n’a pas craqué. Il n’a pourtant que 22 ans…
Je lui demande comment se passe ses journées en prison. Salah me dit se lever volontairement de bonne heure. Pour aller prendre une douche et surtout lire. Il dévore tous les livres auquel il peut avoir accès. « Je lis Karl Marx, Lénine, etc. », me dit-il en souriant, ses grands yeux bleus accentuant son doux sourire. Puis, outre les repas, « nous sortons dehors plusieurs fois quelques instants par jour. Je fais un peu de sport mais le carré est petit. Nous discutons entre nous où règne une bonne ambiance. Je regarde la télé et suis les informations. Nous pouvons aller dans les geôles des autres pour discuter. Nous sommes classés par groupe : Fatah, Hamas, FPLP. Ils m’ont mis avec les prisonniers FPLP en raison de l’accusation. A 17 heures chacun regagne sa cellule et on nous enferme jusqu’au lendemain matin. Je ne peux pas dire qu’ils me maltraitent. Le plus dur c’est quand je dois aller à une audience. On nous emmène à 5 heures du matin totalement menottés dans un véhicule, puis nous attendons jusqu’à 8 heures dans ce bus sans rien pouvoir faire. Ensuite au tribunal on nous place dans une petite pièce de 4 mètres carrés, toujours menottés, avec seulement deux autorisations d’aller faire nos besoins. Puis vers 18 heures on nous ramène dans les mêmes conditions. »
Ma question suivante en résulte : « Et le moral, Salah, comment ça va ? ». Sur un ton qui ne laisse la place à aucun doute il me dit « mais je n’ai d’autre choix que de résister ! Je n’ai rien à perdre. D’ailleurs « résister » c’est un droit international. Il faut résister je ne vois aucun autre choix possible ». Puis il enchaîne « ils croient peut être m’atteindre au moral de façon qu’une fois sorti je renonce. Mais ils se trompent totalement. Car ici, en prison, je deviens encore plus fort et encore plus expérimenté pour poursuivre le combat quand je sortirai ». Il a un moral en béton, Salah…
L’heure de nous quitter approche. Le Consul adjoint lui demande s’il a des plaintes à formuler auprès de la direction de la prison. « Aucune » répond-il. On se lève. On s’embrasse de nouveau. Il me dit à nouveau de remercier tout le monde. On se quitte et je lui lance : « On te sortira de là, Salah ! ». Il sourit. Sa grande et solide carcasse s’éloigne. Je ressors de la prison.
J’appelle aussitôt sa maman. Je lui dis rapidement les choses. On convient de se voir à 20 heures à Jérusalem. Je remonte de Tel-Aviv pour Jérusalem. A 20 heurs je suis au rendez-vous et ses parents aussi. Je leur raconte la visite avec le plus de précision possible. La maman traduit mes propos au papa. Ils sourient de voir leur fils comme cela. Debout. Un homme déjà, a 22 ans…
Mais une mauvaise nouvelle me tombe sur la tête. La maman de Salah, Madame Denise Hamouri, me dit que pour la première fois depuis trois ans le Procureur a appelé l’avocate de Salah - Léa – pour lui dire qu’un jugement pouvait intervenir rapidement : 7 ans d’internement. Avec un sous-entendu incroyable : si vous n’êtes pas d’accord cela peut être plus…
Nous échangeons sur cette nouvelle. Le papa de Salah est particulièrement énervé. Sa maman touchée et interrogative. Cette nouvelle survient juste après le passage du ministre français aux affaires étrangères, Bernard Kouchner qui, dans une lettre, avait déjà la position française : obtenir une décision rapide du tribunal. Pourtant il a vu Madame Hamouri au Consulat général, le samedi soir. La rencontre n’avait duré que trois minutes. Il était en retard. Madame Hamouri avait quand même pu lui dire enfin : « trois ans pour ce qui lui est reproché c’est suffisant, monsieur le ministre ». Il avait répondu « voilà qui est clair, je le dirai aux autorités israéliennes que je verrai demain dimanche ». Et, lundi, voilà ce que nous apprenons.
A Ramallah, samedi, le ministre français répondant aux journalistes avait déclaré que pour la France la libération du soldat Ghilat Shalit était « nécessaire ». Un journaliste lui avait alors demandé s’il en était de même pour Salah Hamouri. Réponse : « Nécessaire n’est pas le mot. C’est en effet, en tous cas, une exigence que nous présentons, aussi, à chaque fois, à nos amis israéliens. » Alors la position française est elle « une décision rapide de la justice » ou bien « une libération » qui n’est toutefois pas (ce qui est déjà incroyable) aussi « nécessaire » que celle du caporal Shalit ?
Si la position française actuelle est : libération « nécessaire » d’un soldat membre d’une armée d’occupation et « procès rapide » par la force occupante d’un peuple occupé, en la personne d’un jeune franco- palestinien, alors cela signifierait que les autorités de notre pays admettent l’occupation et toutes ses conséquences. C’est une question politique majeure, on le mesure, qui témoignerait d’un virage absolu (un de plus) dans la position traditionnelle française. Ce ne serait même plus du » deux poids, deux mesures ». Ce serait très grave. Outre en effet que Salah n’a commis aucun crime, il fait partie d’un peuple sous occupation et rien ne peut nous faire accepter et reconnaître la moindre compétence au tribunal militaire israélien qui est en train de le « juger ». C’est une victime et non pas un agresseur.
Dans ces conditions s’il est bien une exigence a faire valoir, alors que notre pays s’apprête à recevoir Shimon Pérès avec tous les honneurs, une exigence qui ne souffre d’aucune hésitation de nature politique ou de droit c’est bien : libération immédiate de Salah Hamouri ! C’est une question incontournable pour quiconque se réclame du respect du droit international – et nous en sommes !
Salah Hamouri doit être libéré et non pas jugé par une force occupante ! Voilà notre exigence qu’il convient de faire partager. Il y a maintenant urgence, on l’aura compris !
Consultez : le dossier et la pétition pour Salah Hamouri