On peut s’accorder pour estimer que ces dernières années, la pression des influenceurs pro-israéliens s’est accentuée, avec la volonté de délégitimer les partisans de la Palestine et de faire taire toute critique d’Israël.
Propos recueillis lors d’un entretien avec Jean Stern [1]]], qui a publié sur la question :
Lobbys pro-israéliens ou lobbys sionistes ?
Aujourd’hui, les pro-israéliens le sont sur des thématiques qui ne sont pas directement liées au sionisme historique ou aux raisons liées à la création d’Israël 48. Les acteurs essentiels des lobbys le sont sur des thématiques stratégiques et politico-religieuses. Actuellement, au cœur du discours des partisans du lobby France-Israël, il y a d’abord le combat mondialisé contre le supposé terrorisme et l’islam radical. Ce présupposé idéologique fournit un cadre dans lequel Israël est présenté comme le bras avancé et « heureusement » armé, d’un point de vue occidental. Cette vision a pour première conséquence essentielle de faire disparaître la Palestine.
Or oublier la Palestine revient à construire un récit alternatif qui transforme le combat initial sur la question coloniale et le respect du droit international, pour le faire passer pour un combat idéologique contre l’islam politique et pour la défense de l’occident.
La spécificité française du lobby pro-israélien
La France a des caractéristiques propres dans son rapport à Israël et le lobby pro-israélien ne s’organise pas de la même façon que dans d’autres pays européens ou aux États-Unis.
L’objectif du lobby pro-israélien en France reprend l’oubli de la Palestine… Ce qui a sur la scène politique française des conséquences tragicomiques, puisqu’on voit des acteurs de la scène politique, comme Aurore Bergé, « patronne » des députés macronistes et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, défenseurs de la laïcité la plus rigoureuse, voler au secours d’un État d’essence religieuse, qui se définit depuis 2018 comme l’État-nation du peuple juif.
Mais le lobby franco israélien se situe aussi dans le cadre de la mondialisation des élites, où existent des personnes vivant entre deux pays. Pour des raisons politiques, sociologiques, économiques, leur nombre augmente entre la France et Israël.
Une des incarnations de ce lobby franco israélien est Meyer Habib qui navigue entre deux résidences. Il commence sa carrière au CRIF, institue en 2003 les « 12 heures pour Israël », où se retrouvent 50 000 participants et à la tribune Sarkozy, Hollande et Royal – donc deux des figures principales de la gauche de l’époque –, Bayrou et Netanyahou (déjà Premier ministre de droite « extrême »). Il met au cœur du CRIF la défense inconditionnelle d’Israël. Aujourd’hui il vient d’être réélu député des Français de l’étranger, dans une circonscription dominée par Israël.
Au total, environ 100 000 personnes vivent une partie du temps en France et l’autre en Israël.
On peut séparer cette communauté en deux groupes : celui des retraités, installés sur la côte, souvent très à droite, peu impliqués, ce sont des harceleurs potentiels ; le second groupe vit dans les colonies, plus jeune, plus engagé idéologiquement à l’extrême droite. Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus de Français s’installent dans les colonies.
Le poids du lobby pro-israélien et son organisation en France
Les groupes d’influence et les organisations sont peu nombreuses et emploient peu de salarié.es, en comparaison des États-Unis où ils sont des centaines à construire des campagnes, avec d’ailleurs moins de succès qu’auparavant.
Ce sont de « petites » structures : CRIF, ELNET, American Jewish Committee (AJC). Des organisations dont le but principal n’est pas de s’adresser à la majorité de l’opinion publique ou à la rue, mais de toucher les élites – une spécificité du lobby pro-israélien à la française. Il vise les élu.es, la sphère économique, ou les relais d’opinions, massivement les journalistes.
Le CRIF, bascule au tournant des années 2000. Avant, il assurait la représentation des juifs de France, se voulait la tête de pont du dialogue israélo-palestinien, parfois assez critique de la politique d’Israël, tenant un rôle de vigie morale sur la colonisation, les accords d’Oslo – en 1980-90 son président reçoit officiellement Yasser Arafat – ; aujourd’hui au contraire son but est d’influencer des relais très ciblés. Sa vingtaine de salarié.es en fait une structure modeste, fonctionnant à l’événementiel, ce qui a ses limites.
Les organisations internationales, européenne pour ELNET et américaine pour AJC, qui ont des bureaux de représentation à Paris, sont nourries du travail du ministère des Affaires stratégiques israélien, dont le rôle majeur est de faire basculer les opinions en construisant une narration alternative favorable à Israël partout où elle est défavorable, et de renforcer des phénomènes d’opinion.
ELNET c’est quatre salariés à Paris. L’organisation a été créée il y a près de 20 ans lorsque le soutien d’Israël est devenu central. L’American Jewish Committee c’est quatre/cinq personnes.
Leur objet principal est d’organiser des rencontres, colloques ou séminaires… et surtout des voyages. Elles font chaque année de nombreuses invitations à l’attention de député.es, de maires de grandes villes pour ELNET et plus particulièrement de journalistes et d’acteurs d’influence pour AJC.
Le lobby pro-israélien a renoncé à convaincre directement l’opinion publique en France, comme en Belgique et en Espagne, les sondages le montrent depuis une trentaine d’années, elle y est favorable aux Palestiniens et à la critique d’Israël. Cependant cette opinion est maintenant comme tétanisée par la crainte, si elle s’exprime, de devoir faire face à l’accusation d’antisémitisme depuis la criminalisation de tout discours critique (particulièrement en France et phénomène en cours en Allemagne).
Pour faire évoluer le discours sur les Israéliens, le lobby vise les maires des grandes villes, les parlementaires. Cherchant à faire adopter des résolutions, contre l’antisémitisme, pour faire interdire ou condamner des personnalités pro-palestiniennes françaises… Il accompagne des leaders d’opinion inconditionnels d’Israël quelles que soient les circonstances, au-delà même de la position officielle de la France. Ainsi la demande de transfert de la capitale à Jérusalem a obtenu des soutiens de poids. Ou à propos des conférences de Salah Hamouri les positions divergentes de deux ministres : Darmanin à la posture pro-israélienne qui le qualifie de « terroriste » et de « triste personnalité » à faire taire, quand Catherine Colona dit qu’il a purgé sa peine, qu’il est citoyen français, qu’il peut donc s’exprimer dans le cadre de la République.
Ainsi, le succès du lobby franco-israélien est que le travail pour faire taire la réalité palestino-israélienne est réalisé par des personnes qui gravitent à l’intérieur des rédactions, des partis politiques et des sphères d’influence, où la réflexion et le débat critique n’a plus lieu. Ainsi sur l’apartheid – une question où le lobby est à l’affût –, il n’a quasiment plus besoin de se manifester, Aurore Bergé, Éric Ciotti, le Printemps républicain ou le parti socialiste se suffisant à eux-mêmes… Le groupe d’amitié France-Israël est le deuxième plus important de l’Assemblée (après France-États-Unis).
C’est un grand succès à mettre au crédit des agents d’influence et non directement des lobbys.
Le problème médiatique
Il y a de moins en moins de journalistes présents en Israël, à Jérusalem. Pas de correspondant français à Ramallah. Beaucoup moins d’informations nous parviennent. Pas de contre-récit. Ce point est fondamental. On constate qu’il devient très difficile, voire impossible de critiquer Israël, ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années. Les voix critiques françaises s’autocensurent. Il faut briser la chape de plomb du discours médiatique. Comment mener le chantier d’une contre-offensive ?
Le rôle des réseaux sociaux.
Une activité typiquement menée par la communauté franco-israélienne qui gère des comptes « bidon », créés pour impressionner et intimider, mais qui peuvent aller jusqu’à des menaces de mort ! Pas de « bureau politique », de consignes pour harceler, stigmatiser l’un ou l’autre. Mais des leaders d’opinion, abreuvés par des médias de pure propagande qui donnent le tempo. Ce sont des individus autonomes qui n’appartiennent pas à un lobby. Pourtant, très organisées, leurs initiatives sont bien relayées, généralement par des très proches de l’extrême droite, dans les deux pays.
Quoi qu’en disent les lobbys, ne laissons pas faire d’amalgame et rappelons la Palestine !
En ce qui concerne le racisme et l’antisémitisme, il faut clairement faire appliquer la loi.
Mais critiquer Israël, son gouvernement, une armée, c’est un droit. Et le devoir de la France, malgré tout. Sur ce plan, le lobby n’est ni échec ni mat.
Propos recueillis par Mireille Sève