Beyrouth - Collaborateurs, traîtres ou réfugiés ? La vague d’indignation qui a suivi le débat parlementaire sur la question du retour des familles libanaises qui avaient fui en Israël après la libération du Sud par les forces israéliennes en 2000 a confirmé que cette question sensible et controversée ne se résoudra pas tranquillement ni sans contreverse.
« Ce sont des sales traîtres qui ont torturé et tué des combattants nationaux » a dit le porte-parole du Hezbollah, Nawwaf Moussawi, en faisant référence aux anciens membres de l’Armée du Liban-Sud (ALS) qui ont collaboré avec Israël pendant l’occupation.
Le député du ‘Free Patriotic Party’, Ibrahim Kanaan, rejetant le fait de stéréotyper systématiquement les Libanais vivant en Israël, a insisté : « il faut clairement faire la distinction entre ceux qui ont fui en Israël par peur et ceux qui ont véritablement collaboré avec l’armée israélienne ».
Dans son discours au cours de la dernière session parlementaire, Kanaan avait soutenu que « des menaces violentes du Hezbollah suite au retrait de l’armée israélienne avait créé un état de panique dans le Sud qui a poussé beaucoup de personnes qui n’étaient pas des collaborateurs à fuir ».
Selon les estimations non officielles, environ 7.500 Libanais ont cherché refuge en Israël en 2000. Alors que la plupart d’entre eux sont depuis lors revenus au Liban, environ 2.700 d’entre eux sont restés en Israël.
Parmi ceux qui sont revenus, beaucoup ont purgé une peine de prison allant de quelques semaines à cinq années (peines que le Hizbollah décrit comme « ridicules et très atténuées). Plus de 80 d’entre eux ont été condamnés à mort par contumace, principalement pour avoir tué des combattants libanais qui s’étaient battus contre les forces israéliennes.
Un ancien membre de l’ALS qui n’a pas désiré donner son nom, se rappelle amèrement comment, « dans un moment de terreur », il avait fui en Israël.
« Ma conviction que le Liban est redevenu une nation pour tous ses citoyens m’a fait revenir » explique-t-il. Après avoir purgé une peine de deux années en prison, il vit tranquillement avec sa famille dans sa ville natale de Marjayoun qui s’était trouvée auparavant dans la zone occupée.
Il rejette l’accusation disant qu’il était un traître à son pays. « Quand j’ai rejoint l’ALS, je n’avais que 14 ans et j’étais convaincu que mon devoir était de protéger ma terre et ma famille » dit-il.
Il se souvient des années d’occupation avec un mélange de regret et de fierté, tout en restant sur la défensive.
« Personne n’a mis en lumière la vérité. Nous sommes désolés pour toutes les victimes, mais l’autre parti voulait nous tuer » affirme-t-il.
« Israël nous a fourni de l’argent et de la nourriture, mais nous ne sommes pas des traîtres » répete-t-il.
Le FPM a déclaré qu’un comité parlementaire indépendant devrait être crée pour déterminer « la responsabilɩté du gouvernement libanais dans les événements qui se sont déroulés dans le Sud ces 30 dernières années ».
« L’élite politique a négligé son devoir de maintenir la sécurité et l’ordre avant l’occupation israélienne, lorsque les factions palestiniennes et d’autres ont pris le pouvoir » dit Kanaan.
Kanaan en faisant pression pour que la vérité soit révélée, a insisté pour que ce soit la justice libanaise qui décide qui a collaboré avec l’ennemi et qui est innocent.
« Nous estimons que les femmes et les enfants ne sont pas responsables de ce qui s’est passé et qu’il faudrait leur permettre de revenir » dit-il.
Au début du mois dernier, le patriarche maronite Nasrallah Boutros Sfeir, a demandé qu’une amnistie totale soit accordée aux anciens membres de l’ALS dans l’esprit de la réconciliation nationale.
Le dirigeant des forces libanaises, Samir Geagea, avec d’autres membres de son parti ainsi que les prisonniers Dinnieh et Majdal Anjar, ont été libérés de prison en accord avec la loi d’amnistie votée par le parlement à la mi-juillet.
Des sources proches de Sfeir indiquent aussi que ses déclarations sont liées aux allégations qu’Israël fait pression sur les résidents libanais pour que soit ils acceptent la nationalité israélienne, soit ils immigrent.
De l’autre côté, le Hezbollah estime que le retour des membres de l’ALS représenterait une réelle menace à la sécurité nationale libanaise. Selon Moussawi, cela rendrait « une infiltration de l’ennemi dans le pays » possible.
La question est aussi sensible car elle établit un rapport avec l’expérience de centaines de Libanais qui ont été détenus arbitrairement et torturés par les membres des milices libanaises soutenus par Israël.
Mercredi, 200 anciens prisonniers de la prison notoire de Khiam, se sont rassemblés sur le site de leur ancienne détention pour organiser un ‘sit-in’ contre l’amnistie des membres de l’ALS.
« Pendant 10 ans, j’ai été emprisonné ici et traité sauvagement. Comment pourrais-je être d’accord pour que ces assassins inhumains soient récompensés pour tout le sang, la douleur et les agonies qu’ils ont causés ? » S’est exclamé en colère Ali Hijazi, un ancien prisonnier de Khiam.
Des représentants d’Amal, du Parti Progressif Socialiste, du Hezbollah et d’autres partis libanais étaient présents au ‘sit-in’ pour condamner ceux qui ont collaboré avec Israël.
Des orateurs ont souligné que les collaborateurs appartenaient à plusieurs milieux confessionnels différents et ont rejeté toute idée que cet enjeu était un enjeu sectaire.
« Ces collaborateurs... qui ont choisi de fuir avec l’ennemi israélien, ont fait le choix librement car ils étaient impliqués dans le sang, les tueries et la torture » a dit Atallah Hammoud, un porte-parole des prisonniers de Khiam.
Le ‘sit-in’ a été aussi l’occasion de demander la libération des citoyens libanais détenus dans les prisons israéliennes, comme Samir Qantar et Yehia Skaff.
Les réactions émotionnelles fortes vis-à-vis de tout débat se rapportant aux Libanais vivant en Israël est le signe pour beaucoup que ce n’est pas le moment de discuter de cette question. Etant donné que cela ramène des souvenirs douloureux à beaucoup de Libanais ainsi que des enjeux politiques et sectaires, cela est resté en grande partie tabou.