La rupture est désormais définitivement consommée entre l’
opposition emmenée par Hassan Nasrallah et le leader chrétien Michel Aoun
d’une part, le gouvernement de Fouad Siniora d’autre part, que la
direction de Hezbollah n’hésite plus à qualifier de Gouvernement Feltman,
du nom de l’ ambassadeur américain à Beyrouth.
Les manifestations ne vont désormais plus cesser, et les principaux centres institutionnels du pays
sont bloqués par les manifestants, qui ont également installé des
campements sur les principales places de la ville.
L’opposition regroupe le Hezbollah, le mouvement Amal, second partie de la
communauté chiite, les mouvements pro- syriens, comme les Marada du député
Sleiman Frangié, le Courant patriotique libre du général Michel Aoun,
très implanté dans la communauté chrétienne, ainsi que des forces
nationalistes et progressistes, comme le Mouvement du Peuple de Najah
Wakim, ou la Troisième Force de l’ancien Premier Ministre Selim Hoss.
La
mobilisation est également soutenue par nombres d’intellectuels et de
journalistes de la mouvance nationaliste et de gauche, principalement
regroupés autour du quotidien Al Akhbar.
Le Parti communiste libanais,
pour sa part, a assuré une présence à cette manifestation, avec nombre de
ses dirigeants et militants, bien qu’il n’appelle pas officiellement à y
aller : Il attend de Hezbollah et de Aoun des positions plus fermes sur la
question de la déconfessionnalisation du système politique libanais, et des
réformes sociales à apporter en cas de chute du gouvernement Siniora. Il
organise une manifestation le dimanche trois décembre, ainsi qu’une
conférence de toute la gauche libanaise le six. Il laisse cependant les
portes ouvertes à la discussion avec Hezbollah, d’autant plus que les deux
mouvements se sont considérablement rapprochés au cours de la guerre du
Liban de juillet et août 2006, et que nombre de sympathisants des deux
mouvements plaident pour un accord politique entre eux concernant les
manifestations de rue. Il a ainsi présenté plusieurs listes communes avec
le Hezbollah et Aoun au cours des récentes élections professionnelles et
étudiantes. La manifestation du trois décembre compte d’ailleurs rejoindre
symboliquement les manifestants hezbollahis, aounistes et nationalistes
dans le centre ville.
La démission du cabinet Siniora d’orientation pro-occidentale reste l’
objectif principal des manifestants : il vise son remplacement par un
cabinet d’unité nationale, et par la tenue de nouvelles élections. La
radicalité des manifestants est perceptible : critique d’ un gouvernement
aux ordres de Paris et Washington et de la corruption endémique,
dénonciation des Etats unis et d’Israël. Tous les partis, quels qu’ils
soient, soulignent aussi la nécessité de recourir à des moyens
pacifiques, et de ne pas céder aux provocations venant de la droite
libanaise pro -occidentale : une atmosphère sourde de guerre civile résonne
dans le pays, alimentée par l’assassinat de Pierre Gemayel, par les
attaques contre des permanences et des habitations personnelles de
dirigeants de l’opposition, par des affrontements de rue sporadiques entre
chrétiens pro -aounistes et chrétiens partisans des Forces libanaises de Samir Geagea.
Le quotidien As Safir a ainsi révélé une affaire de camps d’entraînement armé de ces derniers, et de projection de tentatives d’assassinat du Général Michel Aoun, le tout alimenté par la question de l’arrivée d’armes via l’ambassade américaine. les divisions entre chiites
et sunnites anti -syriens font également peser un grand risque sur le payset sur la résistance.
La question de la construction d’une société de
résistance et d un état de résistance posée par Hassan Nasrallah, celle de
la déconfessionnalisation du système politique libanais posée par la
gauche, sont étroitement liées : mais les opposants à cette perspective
sont nombreux, et les Etats unis, comme les élites libanaises pro -occidentales, n’hésiteront à aucun moment à réveiller le cauchemar de la
guerre civile et des affrontements communautaires pour éviter toute
alternative crédible au néocolonialisme dans la région.