Je dois reconnaître que Moshe “Bogie” Ya’alon ne figurait pas en tête de ma liste d’hommes politiques préférés. L’ancien chef d’état-major et actuel ministre de la Défense m’apparaissait comme un simple laquais de Nétanyahou et un militariste pur et simple Beaucoup le qualifient de “bock” un terme péjoratif germano-yiddish pour bouc.
Yuval Steinitz, l’actuel ministre de je-ne-sais-quoi, ne figurait pas non plus en tête de la liste des hommes politiques que j’admire. Lui, aussi, m’apparaissait comme l’un des domestiques de Nétanyahou, dépourvu d’une personnalité propre identifiable.
Même l’ancien chef d’état-major de l’armée, Gabi Ashkenazi, n’était pas l’un de mes héros préférés. Lors de sa nomination, des gens malveillants prétendirent qu’il devait sa promotion à son origine orientale, puisque le ministre de la Défense de l’époque était lui aussi d’origine orientale. Le père d’Ashkenazi venait de Bulgarie, et sa mère de Syrie. Le ministre de la Défense de l’époque, Shaul Mofaz, venait d’Iran. Ashkenazi avait dirigé l’une des guerres en série contre Gaza. Il était et il reste populaire.
Maintenant je les admire tous les trois. Bien plus, je leur suis profondément reconnaissant à tous les trois.
QU’EST-CE QUI M’A conduit à un changement aussi profond ?
C’est dû à un autre ancien chef d’état-major de l’armée, Ehoud Barak.
(Si je donne l’impression qu’Israël regorge d’anciens chefs d’état-major, c’est exagéré. Mais il est vrai que nous en sommes amplement pourvus.)
Barak a été chef d’état-major, ministre de la Défense et Premier ministre. Depuis qu’il a été remplacé par Benjamin Nétanyahou, il est dans les affaires – conseillant des gouvernements étrangers. Il est devenu très riche et ne s’en cache pas. Loin de là.
Il a grandi dans un kibboutz. Comme il était un garçon grassouillet sans capacités athlétiques, qui jouait du piano, sa vie n’y était pas facile. Lorsqu’il fut mobilisé comme tout le monde il semblait loin d’une carrière militaire.
Mais un officier supérieur de commandos remarqua son intelligence et décida de le pousser. Il l’accueillit dans son unité d’élite – le célèbre Sayeret Maktal (“Commando de l’état-major”), où il connut un avancement rapide à la fois pour sa bravoure physique et son intelligence supérieure.
Très tôt un officier de haut rang attira mon attention sur lui. “Observez Barak” me conseilla-t-il, “il est extrêmement intelligent et un de ces jours il va devenir chef d’état-major !”
Des années plus tard, je reçus un appel téléphonique surprenant. J’étais à l’époque directeur d’un magazine populaire d’information et membre de la Knesset, profondément détesté par l’establishment. On me dit au téléphone que le général Barak, le chef d’état-major adjoint, m’invitait dans son bureau pour un entretien.
Je me demandais quelle pouvait en être la raison, mais il n’y avait aucune raison. Le général voulait simplement avoir un entretien avec moi.
Nous avons donc parlé pendant environ une heure et abordé un sujet qui nous intéressait tous les deux : l’histoire militaire. Depuis la seconde guerre mondiale, c’était mon passe-temps favori. (Certains plaisantaient en disant que j’étais le seul pacifiste militariste qu’ils connaissaient.) Nous avons parlé de la Guerre de Trente Ans et d’autres campagnes, et je fus impressionné. Il connaissait son sujet et c’était de toute évidence une personnalité intellectuelle – qualités tout à fait rares dans le corps de nos officiers qui ont tendance à être plutôt pragmatiques.
Après cela je ne l’ai guère rencontré. Il me déçut comme Premier ministre, gâcha la Conférence de Camp David et fut battu par Nétanyahou aux élections qui suivirent. Il devint ministre de la Défense dans le gouvernement de coalition.
MAINTENANT IL est de nouveau en vue avec des révélations étonnantes.
Il apparaît que Barak a écrit un livre de mémoires. À la veille de la publication il a donné une interview dans laquelle il a révélé les détails les plus secrets de discussions gouvernementales. Le sujet : une attaque israélienne des installations nucléaires de l’Iran.
Selon Barak, les trois personnalités centrales du gouvernement – Nétanyahou, Barak et le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, avaient pris la décision en 2009 d’envoyer l’armée de l’air israélienne détruire les installations iraniennes, une opération audacieuse et complexe.
Pour prendre cette décision, ils avaient besoin de l’approbation de l’armée et d’une résolution des “huit” – un comité officieux de huit ministres centraux. Selon le droit israélien, le gouvernement dans son ensemble assure le commandement en chef des forces armées. Le gouvernement a délégué ce pouvoir au “Cabinet”, une entité plus réduite. Cette entité, à son tour, en a officieusement donné le pouvoir à un comité encore plus restreint, les “Huit”.
En 2009, les trois ministres aux commandes – Nétanyahou, Barak et Lieberman – décidèrent que le moment était venu d’attaquer l’Iran. C’était une décision capitale, mais au dernier moment Ashkenazi les informa que l’armée n’était pas prête. Il fallait remettre l’affaire à plus tard.
L’année suivante, les trois firent une nouvelle tentative. Cette fois, la situation était plus favorable. Le chef d’état-major leur fit savoir – quoique avec réticences – que l’armée était prête. C’était aux Huit de décider.
Deux des membres étaient favorables. Deux, l’un et l’autre membres du Likoud, étaient contre. Il en restait deux : Ya’alon et Steinitz. Nétanyahou entreprit de les convaincre. L’un et l’autre lui étaient personnellement dévoués. Nétanyahou eut avec eux un long entretien, puis mit l’opération aux votes.
À la plus grande surprise et au dégoût de Barak, au moment crucial ces deux ministres votèrent contre. Selon les termes de Barak : “Ils se sont simplement dégonflés !”
À défaut de majorité – quatre contre quatre – pas de décision. L’événement renversant n’eut pas lieu.
Une année plus tard, la question fut soulevée une nouvelle fois. Mais il y avait cette fois un nouvel obstacle : des manœuvres communes des armées israélienne et américaine étaient en cours. Dans une telle situation une attaque était impossible, car ce sont les États-Unis que l’on aurait accusés.
C’est ainsi que l’occasion fut manquée. La diplomatie (presque un gros mot en Israël) l’emporta.
EN RACONTANT l’histoire, Barak accusait les deux poules mouillées, Ya’alon et Steinitz, ainsi que le haut commandement de l’armée pour cette suite d’événements. Pour lui, c’était une manifestation de ce qui relevait de la lâcheté face à l’ennemi.
Un violent débat éclata en Israël. Comme d’habitude dans notre pays, il se concentra sur des détails secondaires, de façon à éviter les questions principales.
Point N° 1 : Comment ces histoires hyper-secrètes ont-elles pu être rendues publiques ? Nous avons en Israël une censure militaire très stricte. La violation de ces règles peut vous conduire en prison. Pourtant tous ceux qui sont impliqués dans cette publication assuraient que les censeurs l’avaient autorisée.
Comment ? Pourquoi ? Des détails sur les activités les plus secrètes du haut commandement de l’armée et sur les délibérations les plus secrètes du cabinet ?
Point N° 2 : Nétanyahou s’était-il vraiment totalement engagé pour l’attaque ? A-t-il réellement exercé une pression maximale sur ses deux ministres les plus dévoués pour les amener à voter de façon correcte ?
Nétanyahou a pratiquement misé toute sa carrière politique sur la bombe de l’Iran. Il a maintes fois déclaré que l’existence même d’israël était en jeu. Comment aurait-il pu admettre les considérations personnelles – morales ou autres – de deux ministres pour lesquels il n’a sans doute pas beaucoup d’estime pour mettre en danger l’existence même de la nation ?
J’ai un vague soupçon que Nétanyahou ait eu dans le secret des doutes sur l’opération, et qu’inconsciemment il ait été plutôt soulagé d’avoir été contré par ses subalternes.
MAIS LES vraies questions sont beaucoup plus sérieuses. Si les deux ministres ne s’étaient pas “dégonflés” que serait-il arrivé ?
À mon avis, une catastrophe.
Si l’armée (qui, en Israël, comprend l’Armée de l’air) avait des appréhensions si profondes, elle avait sans doute de bonnes raisons. Pour effectuer le travail, les avions devaient se rendre là-bas, localiser, frapper et détruire les diverses installations nucléaires dispersées puis rentrer sains et saufs. Ce n’est pas un travail facile.
Nous estimons avoir une excellente armée de l’Air, ainsi que d’excellents services de renseignement. Mais même dans ces conditions cela aurait été une entreprise très risquée.
Comment se rend-on là-bas ? C’est soit le long parcours autour de la péninsule arabique vers le Golfe persique, soit la route directe en survolant la Jordanie ou la Syrie et l’Iraq, soit depuis la mer en survolant la Turquie et peut-être les anciennes républiques soviétiques. Tout cela sans être détectés par l’Iran et ses alliés.
Une fois proches de vos objectifs, il vous faut localiser exactement les installations souterraines et les détruire, sous le feu intense de missiles et de l’artillerie. S’il y a des morts et des blessés, que faites-vous ? Les laisser tout simplement sur place ?
Et le retour pourrait bien être encore plus difficile que l’aller.
ET IL S’AGIT LÀ du seul aspect militaire, celui qui a évidemment inquiété Ashkenazi et ses officiers.
Quid des conséquences politiques ?
L’Iran aurait certainement accusé les États-Unis et leurs alliés arabes. La première riposte aurait été le blocus du détroit d’Ormuz, l’étroit passage maritime par lequel transite presque tout le pétrole de l’Arabie saoudite, des autres États du Golfe, de l’Irak et de l’Iran. L’effet sur l’économie mondiale aurait été catastrophique, le prix du pétrole explosant au-delà de tout ce que l’on peut imaginer.
Des roquettes de toutes sortes, lancées par l’Iran, le Hezbollah et le Hamas se seraient déversées sur Israël. Nos vies à tous auraient été en extrême péril. Comme je vis très près du haut commandement de l’armée, au centre de Tel Aviv, j’aurais bien pu n’avoir pas été là pour l’écrire.
Toute la région, aussi bien que l’économie mondiale, aurait été plongée dans le chaos, tout le monde accusant Israël. Et cela n’aurait été que le début.
AUSSI SUIS-JE profondément reconnaissant à Ya’alon, Steinitz et Ashkenazi.
Je regrette beaucoup ce que j’ai pensé de vous dans le passé, et aujourd’hui je pense tout le contraire.
Merci !