Photo : Post X de B’Tselem. La carte parle d’elle-même : 3 communautés avec leur histoire, leurs traditions et leurs liens locaux ont disparu. Le transfert en Cisjordanie est le résultat d’une stratégie à long terme visant à vider la région de ses Palestiniens. L’apartheid.
Depuis des décennies, Israël a recours à une série de mesures destinées à rendre misérable la vie dans des dizaines de communautés palestiniennes de Cisjordanie. Ces mesures font partie d’une tentative visant à forcer les résidents de ces communautés à se déraciner eux-mêmes, comme si cela était de leur propre volonté. Une fois cette étape franchie, l’État pourra réaliser son objectif de s’emparer de la terre. Pour atteindre cet objectif, Israël interdit aux membres de ces communautés de construire des maisons, des structures agricoles ou des bâtiments publics. Il ne leur permet pas de se raccorder aux réseaux d’eau et d’électricité, ni de construire des routes, et lorsqu’ils le font, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, Israël les menace de démolition, et met souvent ses menaces à exécution.
La violence des colons est un autre outil utilisé par Israël pour tourmenter encore davantage les Palestiniens vivant dans ces communautés. De telles attaques se sont considérablement amplifiées et aggravées avec le gouvernement actuel, transformant la vie dans certains endroits en un cauchemar sans fin et privant les habitants de toute possibilité de vivre avec un minimum de dignité. La violence a privé les résidents palestiniens de leur capacité à continuer à gagner leur vie. Elle les a terrorisés au point de craindre pour leur vie et leur a fait comprendre qu’il n’y avait personne pour les protéger.
Cette réalité n’a pas laissé de choix à ces communautés et plusieurs d’entre elles se sont déracinées, quittant leur terre et leur foyer pour des endroits plus sûrs. Des dizaines de communautés dispersées en Cisjordanie vivent dans des conditions similaires. Si Israël poursuit cette politique, leurs habitants pourraient également être déplacés, ce qui permettrait à Israël d’atteindre son objectif et de s’emparer de leurs terres.
Contexte
Des dizaines de communautés palestiniennes de bergers sont disséminées à travers la Cisjordanie. Parce qu’Israël considère ces communautés comme "non reconnues", il ne leur permet pas de se connecter aux réseaux d’eau et d’électricité, ni au réseau routier. Israël considère également que toutes les structures construites dans ces communautés - maisons, bâtiments publics et structures agricoles - sont "illégales" et émet des ordres de démolition à leur encontre, qu’il exécute dans certains cas. Certaines structures ont été démolies et reconstruites plusieurs fois.
Ces dernières années, les colons ont construit des dizaines d’avant-postes et de petites fermes à proximité de ces communautés avec l’aide de l’État, et depuis, la violence à l’encontre des Palestiniens vivant dans la région a augmenté, atteignant de nouveaux sommets avec le gouvernement actuel. Ces attaques violentes, qui sont devenues une routine quotidienne terrifiante, consistent notamment à chasser les bergers et les agriculteurs palestiniens des pâturages et des champs, à agresser physiquement les résidents des communautés, à pénétrer dans leurs maisons au milieu de la nuit, à mettre le feu aux biens palestiniens, à effrayer le bétail, à détruire les récoltes, à voler, et à fermer les routes. Les résidents palestiniens ont également signalé que des vannes de réservoirs d’eau avaient été ouvertes et que des troupeaux de colons avaient été conduits à s’abreuver dans les réservoirs d’eau palestiniens.
Dans ces conditions, les habitants de ces communautés ne pouvaient plus continuer à se rendre dans leurs pâturages et leurs champs. Une fois que les Palestiniens ne venaient plus, les colons ont commencé à cultiver leurs champs sous la protection des soldats. Dans d’autres endroits, les colons ont commencé à faire paître leurs propres troupeaux dans les pâturages qui étaient jusqu’à récemment utilisés par les bergers palestiniens. N’ayant plus accès aux pâturages, les Palestiniens ont dû acheter du fourrage et de l’eau pour leurs troupeaux à un prix élevé, ce qui a entraîné des pertes financières considérables, détruisant de fait leurs moyens de subsistance.
Le gouvernement actuel joue un rôle important dans cette situation. S’il n’a pas introduit les restrictions à la construction palestinienne, les démolitions de maisons et le recours à la violence des colons pour prendre le contrôle des terres palestiniennes, il confère une légitimité totale à la violence des colons contre les Palestiniens en encourageant et en soutenant publiquement les auteurs de ces actes. Les membres de ce gouvernement ont eux-mêmes été à l’origine de ces violences par le passé. Ce sont eux qui sont aujourd’hui chargés d’élaborer la politique. Ils allouent les fonds qui financent la violence et sont responsables de l’application de la loi aux colons qui attaquent les Palestiniens.
Ce gouvernement ne s’embarrasse même pas des condamnations vides de sens que l’on entendait autrefois après ces actes de violence, et fait au contraire l’éloge des colons violents. Alors que les gouvernements précédents insistaient pour maintenir la façade d’un système d’application de la loi qui fonctionne et qui enquête et poursuit les Israéliens qui s’en prennent aux Palestiniens, les membres de ce gouvernement s’efforcent d’en effacer toute trace : un ministre a appelé à "effacer Huwarah", des membres des partis de la coalition ont rendu visite à l’hôpital à un Israélien soupçonné d’avoir tué un Palestinien et des ministres ont refusé de condamner la violence, tout en tolérant un pogrom dans une communauté palestinienne juste après un autre.
Les premières à subir les conséquences de ce changement sont les communautés palestiniennes les plus isolées et les plus vulnérables. Ces communautés vivent dans les conditions les plus élémentaires, entourées d’avant-postes de colonies dont les habitants ont carte blanche pour leur faire du mal en toute impunité. Si les Palestiniens des communautés plus établies comme Turmusaya et Um Safa n’ont reçu aucune protection tandis que les soldats et les officiers de police collaboraient avec les pogromistes, quel espoir les résidents de ces communautés de bergers isolées ont-ils ? Craignant pour leur survie, réalisant qu’eux et leurs enfants ont été abandonnés à leur sort, tout en perdant leurs sources de revenus, ils n’avaient, à juste titre, plus aucun moyen de continuer à vivre dans leurs communautés et ont été contraints de partir.
Les communautés déplacées
Au cours des deux dernières années, au moins six communautés de Cisjordanie ont été déplacées.
Quatre de ces communautés vivaient au nord et au nord-est de Ramallah. Certains de leurs membres vivaient sur des terres appartenant à d’autres Palestiniens qui avaient accepté de les y laisser vivre après qu’ils aient déjà été déplacés d’autres endroits en Israël et en Cisjordanie. Plusieurs avant-postes résidentiels et agricoles israéliens ont été établis autour de ces communautés ces dernières années, avec l’aide de l’État, le premier d’entre eux, Micha’s Farm, ayant été créé en 2018. Comme ailleurs en Cisjordanie, ces avant-postes de colonisation ont été presque immédiatement raccordés aux réseaux d’eau et d’électricité, ainsi qu’au réseau routier. Ils ont bénéficié de l’immunité contre la démolition et leurs habitants travaillent en parfaite collaboration avec l’armée, qui leur assure protection. Certains de ces avant-postes ont été établis dans des zones où, officiellement, aucune communauté ne peut être établit, Israël les ayant déclarées "zones de tir", mais ils ont néanmoins reçu le soutien de l’État.
Les quatre communautés déplacées dans cette région sont les suivantes :
Ras a-Tin : Le 7 juillet 2022, les quelque 120 membres de cette communauté, dont environ la moitié étaient des mineurs, sont partis. La communauté a été créée à la fin des années 1960 par des Palestiniens qu’Israël avait déplacés des collines du sud d’Hébron sur des terres palestiniennes privées et enregistrées appartenant à des résidents de Kafr Malik et d’al-Mughayir. Au fil des ans, l’administration civile a émis des ordres de démolition à l’encontre des structures de certains résidents et, jusqu’à aujourd’hui, Israël a démoli trois structures non résidentielles dans la communauté. L’administration civile a également émis un ordre de démolition pour l’école construite par les résidents de la communauté. En 2018, la ferme de Micha, un avant-poste colonial, a été construite près de la communauté et, à la suite de son installation, les résidents de la communauté ont signalé une augmentation significative des incidents violents, y compris le harcèlement, le vol, le vandalisme et la violence verbale, qui sont devenus une routine quotidienne.
Ein Samia : Le 22 mai 2023, les derniers résidents de la communauté de ’Ein Samia, où vivaient 28 familles pour un total d’environ 200 membres, ont abandonné leurs maisons. La communauté s’est installée sur le site, sur des terres louées aux habitants de Kafr Malik, une localité voisine, en 1980, après avoir été déplacée par Israël à plusieurs reprises depuis d’autres endroits. Au fil des ans, l’administration civile a émis des ordres de démolition à l’encontre de certaines structures appartenant aux résidents et, jusqu’à aujourd’hui, Israël a démoli 21 maisons dans la communauté, qui abritait 83 personnes, dont 52 mineurs, ainsi que 28 autres bâtiments non résidentiels. L’administration civile a également émis un ordre de démolition pour l’école de la communauté, qui était censée accueillir ses quelque 40 enfants. En octobre 2022, le tribunal du district de Jérusalem a rejeté une requête déposée par des résidents locaux pour suspendre la démolition. Les habitants ont quitté les lieux avant que l’ordre de démolition ne soit exécuté. Les habitants d’Ein Samia ont également signalé une augmentation significative de la violence des colons à partir de 2018. Une semaine avant le départ de la communauté, la police a confisqué des dizaines de moutons et de chèvres à ses résidents sous le prétexte fallacieux qu’ils avaient été volés à des colons. Les colons sont entrés dans la communauté pendant la nuit, ont attaqué les résidents locaux et l’école, ont fait voler un drone au-dessus d’eux et ont incendié des pâturages. Ils ont également lâché leur troupeau dans les champs de la communauté, et les animaux ont mangé toute leur récolte.
Al-Baq’ah : Le 10 juillet 2023, 33 personnes, dont 21 mineurs, ont été déplacées. Le 1er septembre 2023, la dernière famille restante, composée de 5 personnes dont un mineur, a également été déplacée. Leur départ a été précédé d’attaques quotidiennes de la part de colons qui avaient établi une ferme à environ 50 mètres des maisons de la communauté, installé des panneaux solaires, s’étaient raccordés à l’infrastructure d’eau desservant l’avant-poste voisin de Neve Erez et avaient pris le contrôle de la route d’accès de la communauté à la route principale. Les colons ont également fait paître leur troupeau, comptant entre 60 et 70 têtes de moutons, dans les pâturages de la communauté et ont harcelé les bergers de la communauté qui faisaient paître leurs propres troupeaux. Le 7 juillet 2023, vers 6h30, une tente de la communauté, plus isolée que les autres, a été incendiée. La famille était sortie à ce moment-là, car elle passait ses nuits ailleurs depuis l’établissement de l’avant-poste, par crainte des attaques des colons. La famille a vu l’incendie de loin et a appelé la police, mais personne n’est venu sur les lieux.
Al-Qabun : La communauté, qui comptait 12 familles, soit 86 résidents, dont 26 mineurs, a été déplacée au début du mois d’août 2023. La communauté vivait sur le site depuis 1996, après qu’Israël a chassé ses membres du désert du Néguev au début des années 1950. Au fil des ans, l’administration civile a émis des ordres de démolition à l’encontre de certaines structures des résidents et, jusqu’à aujourd’hui, Israël a démoli six maisons, qui abritaient 41 personnes, dont 18 mineurs, et 12 bâtiments non résidentiels. En février de cette année, des colons ont établi un avant-poste près de la communauté, à l’intérieur d’une zone qu’Israël avait déclarée "zone de tir". Les colons ont harcelé les habitants, qui ont déclaré qu’ils marchaient autour de leurs maisons, qu’ils y entraient même, qu’ils arrivaient à cheval et en VTT tard dans la nuit, qu’ils les intimidaient, qu’ils s’emparaient de leurs champs et qu’ils les empêchaient de faire paître leur troupeau.
Au moins deux autres communautés ont été déplacées de force dans les collines du sud d’Hébron. La première était Khirbet Simri, un hameau composé de deux familles appartenant à deux frères et comptant au total 20 membres, dont huit mineurs. En 1998, l’avant-poste de Mitzpe Yair a été établi au sommet de la colline où vivait la communauté, ce qui a entraîné une recrudescence de la violence. Les colons ont harcelé les membres de la communauté, les ont menacé, ont pénétré dans leurs maisons, les ont empêché de faire paître leurs troupeaux et sont entré dans leurs maisons. En 2020, les colons ont fait venir un troupeau de bovins qu’ils ont fait paître sur des terres que les habitants de la communauté utilisaient comme pâturages. En juillet 2022, les habitants ont décidé de partir.
La deuxième communauté à partir a été celle de Widady a-Tahta, qui comptait également 20 résidents, dont 12 mineurs. La communauté vivait sur le site depuis environ 50 ans. Il y a environ deux ans, les colons ont établi un avant-poste à environ 500 mètres des maisons de la communauté. Dès lors, les colons ont bloqué à plusieurs reprises l’accès des membres de la communauté aux pâturages autour de leurs maisons, notamment en utilisant un drone pour effrayer et disperser le troupeau. Des colons armés ont également pénétré à plusieurs reprises dans les maisons des habitants, parfois accompagnés d’un chien, à n’importe quelle heure, attaquant les membres de la communauté, les battant et les menaçant avec une arme. De plus, il y a environ un an, l’administration civile a émis des ordres de démolition pour toutes les structures du petit hameau - trois structures résidentielles et un enclos pour le bétail. Le 27 juin 2023, deux colons armés sont entrés dans la communauté et ont menacé l’un des habitants, qui faisait paître ses moutons près de sa maison. Il s’est enfui pour appeler des membres de sa famille à l’aide, et les colons ont essayé de voler les moutons, mais lorsqu’ils ont vu les résidents approcher, ils les ont abandonnés et sont retournés à l’avant-poste. La famille a contacté la police, mais celle-ci a refusé de l’aider. Après cet incident, la famille a décidé que le danger était trop grand et qu’elle devait partir.
Une politique de longue date
Ces communautés n’ont pas pris la décision de se déraciner sans raison. C’est le résultat direct de la politique d’Israël, qui est conçue pour atteindre exactement cet objectif : déplacer les Palestiniens et réduire les espaces où ils peuvent vivre afin de transférer la propriété de leurs terres dans des mains juives. Cette politique repose sur une série de restrictions, de mesures et de pratiques abusives de la part de l’État et de ses agents, avec différents degrés de sévérité, et poursuivies à la fois officiellement et officieusement.
La voie officielle : restrictions extrêmes à la construction et au développement
Israël interdit effectivement la construction et le développement palestiniens dans la zone C, qui comprend 60 % de la Cisjordanie. Cette zone abrite 200 000 à 300 000 Palestiniens, dont des milliers vivent dans des dizaines de communautés de bergers et d’agriculteurs. Bien que la plupart des résidents palestiniens de Cisjordanie vivent dans les zones définies comme A et B par les accords d’Oslo, qui ont été signés il y a une trentaine d’années en tant qu’accord intérimaire de cinq ans, tous les Palestiniens sont concernés par l’interdiction de construire. En effet, lorsque les accords d’Oslo ont été signés, les zones A et B étaient déjà largement peuplées, tandis que les zones présentant un potentiel de développement urbain, agricole et économique se trouvaient principalement dans la zone C. Depuis, la population palestinienne a presque doublé.
Pour empêcher la construction palestinienne dans la zone C, Israël a défini environ 60 % de cette zone comme interdite à la construction palestinienne en attachant diverses définitions juridiques à de vastes zones (qui se chevauchent parfois) : La "terre d’État" représente environ 35 % de la zone C, les terrains d’entraînement militaire (zones de tir) représentent environ 30 % de la zone C, les réserves naturelles et les parcs nationaux couvrent 14 % de la zone C et 16 % de la zone C est sous la juridiction de colonies. Israël mène une guerre implacable contre les Palestiniens vivant dans ces zones, les chassant régulièrement de leurs terres sous de faux prétextes, tels que "l’entraînement militaire", démolissant leurs maisons et confisquant leurs biens.
Dans les 40 % restants de la zone C, Israël, qui exerce un contrôle total et exclusif sur la construction et la planification en Cisjordanie, applique des restrictions extrêmes à la construction et au développement. L’administration civile refuse de préparer des plans directeurs pour la grande majorité des communautés palestiniennes de cette zone. Les quelques plans directeurs qui ont été approuvés par l’administration civile, représentent moins de 1 % de la zone C et dans des zones qui sont pour la plupart déjà construites, et ne répondent pas aux standards de planification acceptés dans le monde d’aujourd’hui.
Les chances qu’un Palestinien reçoive un permis de construire, même sur un terrain privé, sont minuscules. Selon les chiffres fournis par l’administration civile à La paix maintenant, au cours de la décennie 2009-2018, seuls 98 permis de construire résidentiels, industriels, agricoles et d’infrastructures ont été approuvés sur 4 422 demandes de permis soumises (2 %). Selon les chiffres fournis à l’ONG israélienne Bimkom, sur 2 550 demandes soumises entre 2016 et 2020, 24 ont été approuvées (moins de 1 %). Le nombre de demandes de permis soumises ne reflète pas nécessairement les besoins des Palestiniens en matière de construction, car la plupart des Palestiniens ne se donnent plus la peine de soumettre des demandes de permis de construire, sachant qu’elles seront de toute façon rejetées.
L’absence de plans directeurs empêche non seulement la construction résidentielle, mais aussi la construction de bâtiments publics, tels que des écoles et des installations médicales, ainsi que la construction d’infrastructures, notamment les raccordements au réseau routier et aux réseaux de distribution d’eau et d’électricité. En raison du changement climatique, les restrictions imposées aux infrastructures rendent la vie des résidents palestiniens plus difficile d’année en année. Non seulement Israël empêche les habitants de se connecter aux infrastructures, mais il les empêche également de subvenir à leurs besoins de manière indépendante, en leur interdisant de creuser des citernes d’eau et l’installation de systèmes solaires et en confisquant régulièrement les réservoirs d’eau. Sans raccordement à l’eau courante, la consommation d’eau dans ces communautés est de 26 litres par jour et par personne, ce qui est similaire à la consommation d’eau en zone de sinistre et représente environ un quart des 100 litres par jour et par personne recommandés par l’Organisation mondiale de la santé.
Dans ces conditions, les Palestiniens sont contraints de faire avancer le développement de leurs communautés et de construire leurs maisons sans permis. Ils ne le font pas parce qu’ils sont des criminels, mais parce qu’ils n’ont pas la possibilité de construire légalement. L’administration civile émet des ordres de démolition à l’encontre de ces structures et les exécute parfois. Selon les chiffres de B’Tselem, entre 2006 et le 31 juillet 2023, Israël a démoli 2 123 maisons en Cisjordanie. 8 580 personnes ont perdu leur logement lors de ces démolitions, dont 4 324 mineurs. Au cours de cette période, Israël a également démoli 3 387 structures non résidentielles.
Ainsi, en utilisant un vocabulaire juridique et urbanistique stérile et en s’appuyant sur des ordres militaires et des "lois sur la planification et la construction", Israël parvient à chasser les Palestiniens des vastes zones qu’il convoite et à les enfermer dans des zones plus petites, où il met leur vie en suspens et applique des politiques visant à leur refuser tout développement. Les Palestiniens sont contraints de vivre dans l’incertitude permanente quant à leur avenir et dans la peur constante que le personnel de l’administration civile vienne délivrer des ordres de démolition ou démolir ce qu’ils ont déjà construit. Ils vivent dans un état de privation constante, dans des conditions qui ne peuvent être comparées à celles des colonies construites à proximité de leurs communautés et souvent sur leurs terres.
La piste officieuse : La violence des colons
L’accaparement des terres par Israël passe également par des actes de violence quotidiens perpétrés par des bandes de colons agissant sans crainte de répercussions, qui sont armés, soutenus, encouragés et financés par l’État, que ce soit directement ou indirectement. Ces actes de violence font partie d’une vaste stratégie visant à déplacer les Palestiniens de la zone C.
Ces dernières années, environ 70 "fermes agricoles" ont été créées en Cisjordanie. La création d’une ferme nécessite beaucoup moins de ressources que la construction d’une colonie et, grâce au pâturage des moutons et des bovins, ces fermes permettent de s’emparer facilement de vastes zones couvrant des milliers de donums, qui contiennent généralement des pâturages, des ressources en eau et des terres cultivées par les Palestiniens. Les colons qui résident dans ces fermes terrorisent les Palestiniens qui vivent à proximité.
Les principales tactiques utilisées par les colons consistent à s’emparer des pâturages en y faisant paître des moutons et des bovins, à foncer en Véhicules tout terrain sur les troupeaux palestiniens et à les survoler à l’aide de drones pour effrayer et disperser les animaux, à user de violence physique à l’encontre des résidents palestiniens des communautés - dans les pâturages et les champs agricoles ainsi qu’à l’intérieur de leurs habitations - et à endommager les sources d’eau.
Grâce à ces tactiques, les colons ont réussi à chasser les bergers et les agriculteurs palestiniens des champs, des pâturages et des sources d’eau sur lesquels ils comptaient depuis des générations et à en prendre le contrôle. Des recherches menées par B’Tselem il y a environ deux ans ont montré que cinq petites fermes de colons, avec seulement quelques dizaines de résidents - généralement une famille ou deux et quelques jeunes - ont pris le contrôle d’une zone couvrant un total de plus de 28 000 donums (1 donum = 1 000 mètres carrés) de terres agricoles et de pâturages utilisés par les communautés palestiniennes depuis des générations.
L’armée, qui est parfaitement au courant de ces actes, évite par principe de se confronter aux colons violents et, au contraire, les soldats participent parfois eux-mêmes à ces actes ou protègent les colons à distance. L’inaction d’Israël se poursuit après les attaques de colons contre des Palestiniens, les autorités chargées de faire respecter la loi faisant tout leur possible pour éviter de réagir à ces incidents. Les plaintes sont difficiles à déposer et, dans les rares cas où des enquêtes sont effectivement ouvertes, le système les blanchit rapidement. Les actes d’accusation ne sont pratiquement jamais déposés contre les colons qui blessent des Palestiniens, et ceux qui le sont concernent généralement des délits mineurs, avec des peines symboliques à la clé, dans les rares cas où une condamnation est prononcée.
Cette situation n’est pas nouvelle. Les violences commises par les colons à l’encontre des Palestiniens sont documentées depuis les premiers jours de l’occupation dans d’innombrables documents et dossiers gouvernementaux, des milliers de témoignages de Palestiniens et de soldats, des livres, des rapports d’organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits humains et des milliers de reportages dans les médias. Cette documentation large et cohérente n’a eu pratiquement aucun effet sur la violence des colons à l’encontre des Palestiniens, qui fait depuis longtemps partie intégrante de la vie sous occupation en Cisjordanie.
Cette politique a laissé les Palestiniens sans aucune protection, privés même du droit de se défendre contre les personnes qui envahissent leurs maisons. Lorsque les Palestiniens tentent de repousser les attaques des colons, notamment en lançant des pierres, les soldats qui, jusque-là, se tenaient à l’écart ou participaient à l’attaque, tirent sur eux des grenades lacrymogènes, des grenades incapacitantes, des balles en métal recouvertes de caoutchouc et même des balles réelles. Dans certains cas, les Palestiniens sont également arrêtés, et certains sont poursuivis en justice.
L’État ne légitime pas seulement la violence contre les Palestiniens, mais aussi les résultats de ces actes, en permettant aux colons de rester sur les terres qu’ils ont prises de force aux Palestiniens. L’armée interdit aux Palestiniens de pénétrer dans ces zones et l’État soutient pleinement les colonies qui y sont établies. Des dizaines d’avant-postes et d’exploitations agricoles construits sans autorisation officielle sont laissée en paix, tandis qu’Israël leur apporte son soutien par l’intermédiaire de ministères, du département des colonies de l’Organisation sioniste mondiale et de conseils régionaux en Cisjordanie. L’État subventionne également les projets financiers dans les avant-postes, y compris les installations agricoles, fournit une aide aux nouveaux agriculteurs et aux bergers, alloue de l’eau et défend légalement les avant-postes dans les requêtes visant à les démanteler.
C’est ainsi que les transferts forcés ont commencé, et c’est ainsi qu’ils se poursuivent
Israël s’efforce de rendre la vie misérable aux habitants des communautés situées dans les zones qu’il convoite, au point qu’ils n’en peuvent plus et partent, laissant leurs maisons et leurs terres à la disposition de l’État. Cette politique est mise en œuvre par deux voies parallèles. Dans la première, approuvée par les ordres militaires, les conseillers juridiques et la Cour suprême, l’État expulse les Palestiniens de leurs terres. Dans l’autre, les colons recourent à la violence contre les Palestiniens, avec l’aide et la complicité des forces de l’État, et parfois avec leur participation. Cette politique a conduit au transfert forcé d’au moins six communautés, mais de nombreuses autres communautés de Cisjordanie subissent la même brutalité et sont sous la menace immédiate d’une expulsion.
Il s’agit d’une politique illégale qui implique Israël dans le crime de guerre qu’est le transfert forcé de population. Le droit international, qu’Israël est tenu de respecter et s’est engagé à respecter, interdit le transfert forcé de résidents d’un territoire occupé, quelles que soient les circonstances. Le fait que, dans ce cas particulier, les soldats n’aient pas débarqué dans les maisons des résidents et ne les aient pas physiquement forcés à sortir n’est pas pertinent. La création d’un environnement coercitif qui ne laisse pas d’autre choix aux résidents suffit à rendre Israël responsable de ce crime.
Ces communautés ne sont pas déplacées en raison d’une catastrophe naturelle ou d’autres circonstances inévitables. C’est un choix que fait le régime d’apartheid pour réaliser son objectif de maintenir la suprématie juive dans toute la région située entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Ce régime considère la terre comme une ressource destinée à servir uniquement le public juif, et la terre est donc utilisée presque exclusivement pour le développement et l’expansion des colonies juives existantes et pour l’établissement de nouvelles colonies.
En tant que tel, résister au transfert en cours est un devoir, et il n’y a évidemment aucune obligation de continuer à coopérer avec la mise en œuvre des politiques qui en sont à l’origine. Des segments croissants de l’opinion publique israélienne ont récemment déclaré leur refus de servir dans l’armée d’un pays non démocratique. Il n’y a rien de plus digne que de refuser de participer à la commission d’un crime de guerre et à la mise en œuvre d’une politique de transfert.
Traduction : AFPS