Les ministres des affaires étrangères d’Israël, des États-Unis et de quatre pays arabes du Golfe se sont réunis lundi dans la région du Néguev en Israël pour un sommet sans précédent. Alors que la plupart des commentaires sur la réunion mettent l’accent sur l’Iran - et sur les efforts de Washington pour assurer à ses partenaires qu’il maintiendra une ligne dure à l’égard de Téhéran alors que les négociations nucléaires s’achèvent à Vienne - il semble que l’objectif de la réunion aille au-delà de cela. Le sommet, qui a réuni des diplomates de haut rang des partenaires américains et arabes d’Israël, semble avoir pour objectif de donner une légitimité régionale à Israël, près de deux ans après la signature des accords d’Abraham.
Mofid Deak, un ancien diplomate américain vivant aujourd’hui en Jordanie, a déclaré à Al-Monitor que, selon lui, la réunion a pour but de montrer qu’une nouvelle coalition régionale se forme et qu’elle inclut Israël. "C’est la première fois que les pays arabes des accords d’Abraham se réunissent en Israël".
Les accords d’Abraham font référence à une série d’accords débutant en août 2020 qui ont normalisé les relations entre Israël, les EAU, Bahreïn et le Maroc.
Alors que le principal centre d’intérêt du sommet du Néguev était certainement censé être l’Iran, surtout après les attaques agressives des Houthis contre les EAU et l’Arabie saoudite, Deak a déclaré qu’il pense toujours qu’un accord renouvelé sur l’Iran sera conclu. Toutefois, a-t-il noté, l’administration américaine "veut apaiser les sentiments de ses alliés." Entre-temps, M. Deak a ajouté : "Israël veut montrer qu’il n’est pas le seul à s’opposer à l’accord - qu’il y a aussi des Arabes qui s’y opposent."
Samar Muhareb, PDG de Arab Renaissance for Democracy and Development, une organisation de la société civile basée à Amman, est en partie d’accord avec l’ancien diplomate américain. Elle a déclaré à Al-Monitor qu’il existe une stratégie claire visant à impliquer Israël dans toutes les questions majeures et à présenter Israël comme un élément clé dans la résolution des conflits régionaux et même internationaux. "Nous souhaitons que nos compatriotes arabes ne se laissent pas abuser par Israël et qu’ils aient plutôt assumé leur responsabilité en protégeant les zones palestiniennes."
Muhareb a déclaré qu’il est difficile de ne pas regarder les participants, le moment et le lieu du sommet. "Il a lieu à la veille de la Journée de la Terre, qui intervient cette année alors qu’Israël accélère ses actions contre les terres arabes dans le Néguev en assiégeant des communautés non reconnues, et après qu’Israël a déclaré qu’il établirait même de nouvelles colonies sur des terres arabes confisquées." La Journée de la terre, célébrée chaque année le 30 mars, commémore la réponse palestinienne à l’expropriation par Israël de milliers d’acres de terre en 1976.
Muhareb affirme que la tenue de la réunion dans le Néguev est une provocation pour des millions d’Arabes et va à l’encontre des efforts de paix. Muhareb a remercié le gouvernement jordanien d’avoir refusé de participer.
Pourtant, Amer Al Sabaileh, professeur de sciences politiques et analyste stratégique jordanien, est d’un avis contraire. S’adressant à Al-Monitor, il s’est demandé à haute voix "pourquoi la Jordanie, qui suit un discours politique pragmatique, n’a pas participé au sommet Israël-Égypte-Émirats arabes unis de Charm el-Cheikh la semaine dernière, ni à la réunion des ministres des affaires étrangères [d’aujourd’hui] à laquelle les États-Unis participent avec les membres de la coalition des accords d’Abraham."
Sabaileh a déclaré que la Jordanie est préoccupée par la situation sur le terrain à Jérusalem et qu’elle devait donc être en contact à la fois avec le Maroc et les États-Unis. "Je pense que la Jordanie aurait dû participer en raison notamment de la présence de la participation marocaine puisque le roi du Maroc est une personne clé dans la discussion sur l’avenir de Jérusalem."
Sabaileh s’inquiète également du fait que la Jordanie manque la discussion qui portera sur les attaques des Houthis contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ainsi que la discussion de tous les scénarios post-Ukraine dans la région.
Pour sa part, le roi de Jordanie, le prince héritier, le premier ministre et d’autres hauts responsables jordaniens ont effectué une visite officielle à la présidence palestinienne à Ramallah.
Alors que la réunion du Néguev était prévue pour inclure les ministres des affaires étrangères des pays arabes signataires des accords d’Abraham, le ministre égyptien des affaires étrangères s’est également joint à la réunion.
Ahmed Samih, directeur de l’Institut égyptien Andalus pour les études sur la tolérance et la lutte contre la violence, a déclaré à Al-Monitor que les dirigeants égyptiens étaient arrivés à la conclusion qu’ils ne pouvaient pas résoudre leurs problèmes localement et qu’ils avaient donc commencé à chercher une aide extérieure. "Les dirigeants égyptiens veulent désormais des solutions au niveau international, notamment en ce qui concerne l’importation de blé et de pétrole", qui a été considérablement affectée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. "En conséquence, les Émirats arabes unis ont comblé le vide pour aider à résoudre la crise financière que connaît l’économie égyptienne, Le Caire n’ayant pas été en mesure de rembourser certaines de ses dettes."
Le Hamas et d’autres factions palestiniennes, ainsi que de nombreux dirigeants politiques, ont publié des déclarations fortes disant qu’ils étaient surpris de la participation des ministres des affaires étrangères arabes au sommet du Néguev. Cependant, il est clair que beaucoup - en particulier les responsables palestiniens et ceux qui sont dans leur orbite - ont essayé de marcher sur une ligne étroite entre la condamnation de la réunion et la tentative de ne pas contrarier les nombreux pays arabes représentés au Néguev.
Le communiqué final de la réunion du Néguev semble indiquer que les réunions officielles israélo-arabes deviendront la norme à l’avenir et qu’ils prévoient de s’appuyer sur la conférence à long terme.
Traduction : AFPS