Le moteur de la voiture hoquette un peu au démarrage. « C’est de l’essence égyptienne. Les vendeurs l’ont coupée avec de l’eau et de l’huile. Je me suis fait avoir », peste Azzem. Pour alimenter son véhicule, ce jeune fonctionnaire de Gaza n’a trouvé que les bidons rapportés de l’autre côté de la frontière et que l’on vend sur les trottoirs. Les stations d’essence sont fermées. Leurs propriétaires refusent, par principe, de distribuer le carburant livré par Israël, en quantité réduite dans le cadre des sanctions contre les tirs de roquette.
Malgré les brèches ouvertes dans la frontière égyptienne, le carburant est toujours aussi difficile à trouver à Gaza et la situation n’a guère changé. Dans certains quartiers, les coupures d’électricité atteignent toujours jusqu’à seize heures par jour. « Pour nous, rien n’a changé. Notre consommation de fioul est très importante et ce serait vraiment stupide de penser que nous pouvons faire rentrer, à travers les barbelés, l’équivalent de douze camions citernes par jour !" confie Rafiq Malah, le directeur de l’unique centrale électrique de Gaza. Depuis début janvier, les réserves de fioul sont à sec et la centrale dépend des livraisons autorisées par Israël pour faire tourner les deux turbines sur quatre qui fonctionnent encore.
Dans les épiceries, quelques produits comme le chocolat et le Coca-Cola ont refait leur apparition. Pas de quoi parler de levée du blocus. « Ce sont des petites choses. On ne peut pas dire que nous avons fait le plein. Nous avons surtout acheté des boissons, des cigarettes, des chips, du lait en poudre, du fromage... Si nous avions pu aller jusqu’au Caire, nous aurions pu trouver plus de choses, mais les Egyptiens nous ont stoppés à El Arish. ll n’y a rien à El Arish. La ville ne fait même pas la taille d’un camp de réfugiés chez nous », explique Mohamed Yagzi, propriétaire d’un petit supermarché qui a fait plusieurs fois le voyage jusqu’en Egypte. Avant le blocus, la bande de Gaza importait 9000 catégories de produits. Aujourd’hui, seules une quarantaine sont autorisées.
« L’ouverture de Rafah a peut-être été bénéfique d’un point de vue émotionnel et humanitaire, mais elle n’aura quasiment pas d’impact. Tout sera consommé en l’espace de quelques semaines, prévient l’économiste Omar Shaban, jugeant « naïfs » les appels du Hamas à couper tous liens économiques avec Israël pour s’approvisionner désormais en Égypte." L’Egypte peut éventuellement nous fournir du carburant ou de l’électricité, mais on ne peut pas commercer avec eux. Nous n’avons rien à leur vendre. Ils produisent la même chose que nous et moins cher, alors qu’avec Israël nous pouvons exporter du textile, des produits agricoles et la force de travail de nos ouvriers, »
Les quelques exportateurs de Gaza qui ont voulu profiter des trouées dans la frontière pour écouler leurs marchandises bloquées à Gaza en ont été pour leurs frais. « Nos fleurs sont toujours en Egypte. Nous n’avons pas eu l’autorisation d’exporter et nous devons payer toutes sortes de taxes pour le transport et le stockage. On va être obligé de les vendre à perte sur le marché égyptien », se désole Qassem Abou Hadib, l’un des plus gros producteurs de fleurs de la bande de Gaza, des oeillets et des roses qu’il envoie en Hollande. Le blocus n’est pas si facile à contourner.
Gaza est une prison surpeuplée. Nous sommes comme des chats en cage », décrit le psychiatre lyad Sarraj qui évoque « l’état de panique » de la population quand les responsables de la centrale électrique ont annoncé, dimanche 21 janvier, qu’ils allaient fermer la dernière turbine, plongeant dans le noir la ville de Gaza. "Les gens regardaient Al-Jazira en se demandant ce qui allait se passer. Moi-même, j’ai un enfant asthmatique à la maison, je me suis dit qu’il pouvait mourir », raconte-t-il, persuadé que ce qui s’est passé avec le mur de Rafah se produira de nouveau.
Le siège est un échec, ajoute-t-il. Israël et les Etats-Unis espéraient que le blocus provoquerait l’effondrement du Hamas, mais cela n’a fait que le renforcer. Cuba est soumise au blocus américain depuis quarante ans et Fidel Castro est toujours en place. »