Dans son nouveau documentaire, “The lab “ [en français “ Le laboratoire“, ndlt], Yotam Feldman explore la manière dont les industries d’armement israéliennes interagissent avec la politique du pays, son économie et les prises de décision militaires. Les armes, la technologie militaire et le savoir-faire israéliens sont valorisés parce qu’ils ont été testés sur le terrain dans ses guerres et ses combats contre les Palestiniens et contre les pays voisins. Ci-dessous une conversation avec Yotam Feldman au sujet de son film, des marchands d’armes et de l’économie militaire israélienne.
Peut-être devrions nous commencer par la place d’Israël sur le plan international. Ces dernières années, on l’a souvent caractérisé comme un “isolement mondial croissant“. Il peut arriver que cet isolement diminue parfois, mais il y a un consensus généralisé sur la baisse de popularité d’Israël à chaque nouvelle guerre et opération militaire. Vous dites qu’en fait c’est le contraire. Dans votre film, on peut voir des officiers des armées du monde entier venir en Israël pour acheter des armes - d’Europe, d’Inde, d’Amérique latine et bien sûr - des États-Unis, vraiment du monde entier. Alors, ce discours sur les critiques et sur l’isolement est-il une comédie à laquelle tout le monde participe ? Ou bien ces critiques représentent-elles une autre force que nous devons prendre en compte ?
Je pense qu’une vision d’Israël s’est installée, celle d’un barbare sans retenue qui vit dans un environnement brutal et qui est donc obligé d’exercer une force considérable, excessive, bien que nécessaire. Il s’en suit que cette vision est en général condescendante et indulgente. Plus important encore, je crois que le marketing de la sécurité d’Israël a réussi là où la Hasbara [promotion] a été moins fructueuse. Beaucoup de gens ne voient pas le lien entre l’armement high-tech d’Israël et la force militaire débridée dont on parle dans les rapports des ONG des droits humains. Les gens les considèrent comme deux phénomènes distincts, affectés seulement d’une proximité spatio-temporelle. Si on lit le rapport Goldstone sur le bombardement de la cérémonie à l’académie de police à Gaza, le premier jour de Plomb Durci, et si on lit ensuite une brochure publicitaire de Rafaël concernant les tests opérationnels effectués sur « Spike 4 » (le missile utilisé par Israël lors de cet événement), il faut faire un effort pour se rendre compte que ce sont là deux récits différents du même événement historique. Il en va de même pour les drones utilisés dans les assassinats [ciblés, ndlt] à Gaza. D’un autre côté, il est possible que les Européens comprennent tout cela et ne s’en soucient tout simplement pas.
Dans la dernière décennie, à la suite de l’opération Plomb Durci, il y a eu le sentiment que cela ne pouvait plus durer, que dans cette situation, Israël devrait se lancer dans une troisième, quatrième, cinquième sixième guerre de Gaza, et peut-être également sur d’autres fronts – mais aussi qu’il ne peut pas vraiment être impliqué dans autant de guerres.
Après le désengagement (de Gaza) s’est mis en place, à mon avis, un processus qui n’a été remarqué que par quelques personnes en dehors de l’armée. La guerre a cessé d’être un événement extraordinaire, inattendu et dramatique dans la vie de la nation, et elle est devenue une activité périodique qui en fait partie. Ainsi, à n’importe quel moment, Israël est soit en pleine guerre de Gaza, soit dans l’attente de la prochaine. Entre le désengagement de 2005 et « Plomb Durci », nous avons eu « Pluies d’été », « Hiver Chaud », et plusieurs autres opérations militaires à Gaza. Yoav Galant, commandant du front sud entre le désengagement et Plomb Durci, et que l’on peut voir dans le film, a joué un rôle majeur dans la formulation de cette doctrine. Il a employé la métaphore d’une tondeuse à gazon pour la décrire : la guerre comme une opération de maintenance de routine, périodique, au-delà des frontières.
Un des facteurs qui y ont contribué a été l’utilisation massive de véhicules blindés ou de véhicules automatiques sans pilote, qui permet de mener des guerres dans lesquelles il n’y a aucun rapport entre le risque pris d’un côté et le risque encouru de l’autre. Cela a remanié toutes les catégories morales, politiques et légales appliquées à la guerre. Jusqu’ici, toutes les campagnes militaires étaient fondées sur l’hypothèse d’un conflit dans lequel les deux parties acceptaient la possibilité de tuer ou de mourir, mais ici, dans presque tous les cas, un côté tue et l’autre meure. Les industries d’armement, qui développent des produits pour les conflits du type de ceux de Gaza et persuadent l’armée israélienne de les acheter jouent ici un rôle crucial. Le résultat est inquiétant car il me semble que la guerre à Gaza est devenue inhérente au système politique israélien, peut-être même une partie de notre système de gouvernance. C’était particulièrement perceptible pendant l’opération Pilier de Défense qui a eu lieu pendant la campagne électorale, et dont pourtant le soutien a fait l’unité de tous les candidats au pouvoir.
Pensez-vous que les essais des systèmes d’armement ont joué un rôle dans, disons, les calculs d’Ehud Barak lors des récentes guerres à Gaza ?
C’est difficile à écarter. Le lien est beaucoup plus direct que celui fait par le général Dan Halutz entre la deuxième guerre du Liban et son portefeuille boursier personnel. Il y a des liens très étroits entre, d’un côté les industries d’armement, et de l’autre l’armée et le système politique. La société d’armement la plus rentable est Elbit, propriété de Mickey Federman, un des amis les plus proches d’Ehud Barak, et qui joue aussi un rôle clé dans ses campagnes électorales. Cette société est spécialisée dans les moyens avancés pour les guerres asymétriques, exactement le type de guerres conduites par Ehud Barak à Gaza ces dernières années. Il existe d’autres cas de liens personnels comme celui-ci. En outre, il y a aussi un intérêt économique national. Le ministère de la défense joue un double rôle en tant qu’autorité supervisant la structure militaire et en tant que promoteur des ventes pour l’industrie d’armement israélienne à l’étranger. Je pense qu’il serait inhumain d’exiger que Barak sépare ces deux aspects. Je ne dis pas qu’ils s’engagent dans des campagnes militaires à Gaza pour tester des systèmes et s’enrichir, mais cela joue sans aucun doute un rôle.
Un niveau au-dessous, le complexe militaro-industriel israélien se donne beaucoup de mal pour convaincre les officiers de l’IDF [Forces de Défense d’Israël en anglais, ndlt] d’acheter leurs produits, et de les utiliser afin de booster leur potentiel d’exportation. Cela passe aussi par le recrutement massif d’officiers supérieurs à la retraite comme promoteurs des ventes et chefs de projets face à leurs anciens collègues de l’IDF. Un exemple remarquable est celui d’Elbit et du Général à la retraite Yiftach Ron-Tal.
Cette approche porte ses fruits. Un acteur clé du complexe militaro-industriel m’a dit que les tests opérationnels effectués à Gaza sur le BMS d’Elbit (Système de gestion du combat – un système spécial du genre internet pour les forces terrestres), un énorme projet à un milliard de dollars, a permis à Elbit d’augmenter son prix de vente lors de la signature d’un contrat avec l’Australie un an plus tard. Même chose pour Rafaël. La société a ouvertement déclaré qu’elle comptait profiter de l’escalade de violence qui a précédé l’opération Pilier de Défense – avec la première utilisation du “Dôme de Fer “ – pour lever environ un demi milliard de shekels (approximativement 135 millions de dollars) par une émission d’obligations. Un vendeur de chez IAI (Industries Aérospatiales Israéliennes) m’a dit que les assassinats et autres opérations à Gaza provoquent une croissance des ventes de l’entreprise de plusieurs dizaines de %.
Cependant il semble difficile de s’en convaincre. On a le sentiment que les menaces qui augmentent, la nécessité de construire des murs, de tirer plus de missiles défensifs et de déployer plus d’unités sur tous les fronts, tout cela va aboutir à une situation du type “nous sommes à court d’argent“, ou alors, peut-être qu’à partir d’un certain point cela commence à s’inverser ?
La question est : qui voit ses ressources s’épuiser ? Contrairement au passé, maintenant une partie substantielle des industries d’armement est privée. D’un autre côté, l’État joue un rôle dans la réussite de ces sociétés au moyen de son investissement dans l’armée israélienne, et des projets nationaux de recherche et développement. De ce point de vue, ainsi que l’a montré Shlomo Swirski, les industries d’armement sont responsables du transfert de fonds publics vers une classe moyenne supérieure qui vit, directement ou indirectement, de ces industries. Une partie de cet argent revient finalement dans les coffres de l’État par l’impôt et les recettes des fabricants d’armes gouvernementaux, contribuant ainsi à une économie d’état en guerre, et une autre partie reste dans le privé.
Est-ce bien nouveau ? Il y a toujours eu des marchands d’armes israéliens, et, de façon générale, les États ont toujours tiré profit des guerres.
Lorsque j’ai commencé à faire ce film, j’ai rencontré le marchand d’armes Yair Klein chez lui, au-dessus du marché aux puces de Jaffa. Nous avons longuement discuté de la thèse de ce film et du synopsis que je proposais. De prime abord, Klein aurait fait un protagoniste parfait pour un tel film. Un ancien officier de l’unité d’élite Haruv, qui avait vendu aux milices colombiennes les tactiques employées par l’IDF dans la vallée du Jourdain contre les activistes palestiniens qui traversaient la frontière jordanienne, à l’époque où Rehavem Ze’evi commandait l’unité et faisait ce qu’il voulait. Mais, au cours de notre conversation, je me suis rendu compte qu’en fait il n’avait aucune idée de ce dont je parlais. Sa génération ne comprend pas la réalité d’aujourd’hui. Les ordres de grandeurs sont complètement différents de nos jours. Les profits tirés de la vente d’armes israéliennes ont plus que décuplé, mais, plus important encore, les produits israéliens ont changé.
Klein vendait des armes létales et des méthodes d’entraînement. Aujourd’hui, Israël offre un modèle politique complet de guerre asymétrique, de conflit entre un État et des combattants irréguliers. Ce modèle comporte à la fois des éléments létaux et d’autres “doux“ [de nature relationnelle, ndlt]. Ainsi Israël exporte des missiles Rafael utilisées pour les assassinats [ciblés, ndlt] à Gaza, des drones IAI, les méthodes de combat du Général Aviv Kochavi, et des murs de séparation Magal, mais il exporte aussi des experts juridiques, des experts en administration des populations sur le modèle de l’administration civile israélienne en Cisjordanie et même de l’éthique de guerre. C’est peut-être la raison pour laquelle la gauche est en ce moment mieux implantée dans ce genre de business. Yossi Beilin vend des “produits de sécurité“, Shlomo Ben-Ami a occupé un poste de dirigeant chez Global CST, une société qui a fourni des armes et des entraînements au gouvernement colombien, et Ehud Barak est entré dans ce genre d’affaires à son apogée, après le 11 septembre.
Vous dites en fait que depuis le 11 septembre, Israël s’est encore une fois trouvé être l’instructeur du genre humain pour le principal problème de l’actualité internationale – la guerre asymétrique. Ainsi, les Juifs sont de nouveau à l’avant-garde de la pensée – comme l’étaient Moïse, Jésus, Spinoza, Freud, Einstein, Kafka…
Je ne sais pas s’il est approprié de penser les instructeurs militaires israéliens en tant que Juifs. La généalogie militaire des officiers présentés dans le film commence avec Yigal Alon, passe par Meir Har-Zion et Ariel Sharon, et se termine avec Ehud Barak et Aviv Kohavi. Pour ces gens-là, le judaïsme ne joue pas forcément un rôle primordial dans l’identité.
Mais évidemment, sur ce type de sujet, le monde a une approche spéciale d’Israël, et des Israéliens, qui peut, dans une certaine mesure, être nourrie par le contexte historique dont vous parlez. Cela a à voir avec le fait que le conflit asymétrique d’Israël avec les Palestiniens, et peut-être aussi au Liban, a précédé les conflits qui n’ont éclaté qu’après le 11 septembre. Les produits et les méthodes israéliens sont utilisés dans les guerres de l’Amérique en Irak et en Afghanistan, dans le conflit contre les FARC en Colombie, dans les guerres contre les seigneurs de la drogue au Mexique, dans les conflits ethniques au Cachemire, ainsi que lors des conflits économiques incarnés par les “communautés fermées“ pour les riches en Afrique du sud, en Amérique latine et aux États-Unis. Cela a un effet économique phénoménal sur Israël. Ses exportations militaires ont triplé, de deux milliards de dollars par an au début des années 2000 à sept milliards l’année dernière (2012), et au cours de la dernière décennie Israël a été entre le quatrième et le sixième exportateur d’armement au monde.
Vous parlez de la formule mathématique développée par le Pr. Yitzhak Ben-Israël pour optimiser le nombre de victimes dans un assassinat ciblé. Pouvez-vous expliquer cette formule ?
Ben-Israël a utilisé une équation mathématique pour expliquer la doctrine israélienne des assassinats ciblés. Cette équation est dérivée des équations entropiques de la physique qui décrivent le comportement des molécules de gaz et la mesure de leur degré d’ordre. Lorsqu’on augmente la température, les molécules se comportent de manière plus chaotique. Ben-Israël a adapté cette équation au problème du nombre de résistants palestiniens qu’il faut éliminer ou arrêter (nous ne pouvons pas rentrer ici dans les détails mathématiques complexes). Appliqué au cas de Gaza, il s’agit avant tout de la politique israélienne d’assassinats.
A vous écouter, cela semble sensé. Après tout, c’est un moyen pour tuer le moins de gens possible tout en provoquant l’effondrement de la force combattante ennemie… Peut-on dire que l’IDF réussit mieux maintenant à éviter de tuer des civils ?
Oui, d’un certain point de vue. L’intérêt d’Israël n’est pas juste de tuer des civils, et il n’est pas douteux que l’une des composantes de la théorie de la guerre asymétrique est un certain degré de retenue, en limitant l’élément de violence excessive au cours d’une guerre. Cela amène à se demander pourquoi les munitions de précision continuent à tuer des centaines et des milliers de personnes. On peut proposer quelques explications, et l’une d’entre elles concerne la définition du terme “personne impliquée“ (c.-à-d. combattants vs. non-combattants). La définition israélienne de ce terme est très large et elle comprend aussi les 89 diplômés de la formation d’agents de la circulation (du Hamas) tués le premier jour de Plomb Durci, de même que de nombreuses autres victimes, tuées par des “frappes sur signature“ [1] - des attaques de drones menées sur la base de l’activité “soupçonnée“ de la cible. Ce peut être n’importe quelle activité ressemblant à un tir de roquettes, mais aussi l’utilisation d’un téléphone portable pour photographier conduisant à considérer son propriétaire comme un éclaireur ennemi. Il y a en ce moment un débat aux États-Unis sur la possibilité de cibler automatiquement lors de telles attaques. La technologie permettant de fonder les attaques sur des types de comportement existe déjà, mais on n’a pas encore décidé si elle est moralement acceptable.
L’un des protagonistes du film est Shimon Naveh, qui a appliqué les théories critiques de Deleuze et Guattari lors de l’incursion dans la Casbah de Naplouse durant l’opération Rempart en 2002. Pensez-vous que c’était une utilisation perverse de leur philosophie ?
De nombreux universitaires en sciences sociales ont été choqués par ce qu’ils ont lu sur Naveh, ne serait-ce que parce qu’ils ne s’attendaient pas à cet empiétement de l’état et de l’armée dans ce qu’ils vivent comme leur sphère réservée. Somme toute, je suis d’accord quand Naveh affirme que Deleuze n’appartient pas qu’à ses disciples. Je pense qu’il vaut mieux de pas avoir cette discussion dans un espace aseptisé. Il vaut mieux qu’il soit “pollué“ par des facteurs extérieurs, qui vont obliger à poser des questions, peut-être des questions sur la philosophie de Deleuze. Se pourrait-il que son adoption par Naveh nous dise quelque chose sur cette théorie elle-même ?
Parce qu’en effet, j’ai du mal à imaginer quelque utilisation militaire que ce soit de Foucault ou de Walter Benjamin. En outre, l’asepsie universitaire supposée n’est qu’une illusion. A l’université de Tel-Aviv, de l’autre côté du mur de l’amphithéâtre où sont assis les étudiants qui travaillent sur Deleuze et qui entendent parler de Naveh, se tiennent des séminaires du programme d’études sécuritaires de l’université, et là, les étudiants travaillent sur Naveh et entendent parler de Deleuze. Et les murs qui séparent ces deux pièces sont très instables - comme l’a montré Naveh à Naplouse.
Ce film pourrait se rattacher à un autre genre de films israéliens récents qui ont choisi de tourner la caméra vers ceux qui exercent le pouvoir plutôt que vers les victimes : « La loi des plus forts » et « The Gatekeepers ». Êtes-vous d’accord avec cette comparaison ?
Les spectateurs et les cinéastes sont devenus plus allergiques aux films dont le réalisateur israélien reçoit de l’argent du ministère de la culture pour faire un film au nom des victimes palestiniennes. Il n’y a plus de tolérance pour ce genre de films, et c’est très bien ainsi. Une autre raison est ce que l’on a qualifié de “fascisme“ il y a deux ans - l’influence de la ministre (de la culture et des sports) Limor Livnat sur les institutions culturelles.
D’un autre côté, les Juifs souhaitent toujours faire des films politiques et afin d’être moins hypocrites, ils posent des questions sur ceux qui sont au pouvoir, ceux qui leur ressemblent - plutôt sur que les victimes. Cela permet une compréhension plus rationnelle de la situation politique. Au lieu de faire appel à l’indignation émotionnelle face à une certaine réalité, ils posent des questions sur cette réalité : quelle est sa structure interne, qui en profite ? Je soutiens cette démarche, car l’action politique doit être à la fois émotionnelle et rationnelle. Il est important de sortir la colère, mais il est aussi important d’utiliser les outils qui permettront de diriger cette colère dans la bonne direction.
Le film mène-t-il à une conclusion morale claire ? Le spectateur peut-il sortir de la salle, accepter votre analyse économique, et cependant se réjouir qu’Israël possède une ressource aussi rentable, qui fournit des emplois et renforce l’économie ?
Je pense que cette question peut se poser pour tout projet matériel. Après tout, un capitaliste peut lire Das Kapital de Marx et tenter de le vider de toute conclusion morale ou politique, en le considérant comme une description exhaustive des relations sociales, puis en tirer une éthique bourgeoise – par exemple comment gonfler les plus-values et produire plus de capital à partir du travail. Je peux imaginer des gens qui font vraiment cela. C’est la même chose pour ce film - je pense que bon nombre de mes affirmations - sur la transformation du conflit en ressource économique - pourraient aussi être assumées par Ehud Barak, et par de nombreux marchands d’armes ou PDG d’industries sécuritaires, éventuellement sous une forme un peu modifiée.
Malgré tout, je garde quelque optimisme quant à l’effet politique de ce film, et je suppose que la majorité des spectateurs vont sentir qu’il y a quelque chose d’immoral à produire de l’argent avec du sang, ou à profiter d’une occupation militaire en cours. L’un des signes qui confirment cet optimisme est que l’industrie de l’armement n’est pas au centre du discours en Israël. Il n’y a aucun rapport entre l’importance de ce sujet pour l’économie et pour la vie, et sa présence modeste dans le discours public . Par comparaison avec d’autres pays, il y a très peu peu de conférences et d’articles publiés en Israël sur les armement, et ce sujet n’est guère débattu bien que tout le monde ait un oncle chez Elbit ou chez IAI. Cela montre que les gens sentent bien que le fond pose problème, et que c’est quelque chose dont il vaut mieux ne pas trop parler.
Peut-on tirer une stratégie politique du film – pour en finir avec l’occupation et arriver à l’égalité et à la paix ?
Je pense que l’une des conclusions a à voir avec la destination de l’essentiel de l’énergie politique en Israël. On a tendance à se focaliser sur une élite politique et militaire, et à oublier l’élite économique qui profite de la force militaire et la rend possible. La frontière entre l’industrie israélienne de l’armement et son industrie high-tech est très mince, et dans la pratique, inexistante.
Une deuxième conclusion a trait aux aspects internationaux d’un conflit local. Des États où une majorité écrasante de citoyens dénoncent les actions israéliennes à Gaza, rendent en réalité ces actions possibles en achetant les armes qui y ont été testées. C’est essentiel pour l’industrie sécuritaire israélienne, la seule industrie de ce type qui exporte plus qu’elle ne vend sur le marché local. En conséquence, il est aussi nécessaire que l’IDF achète ces équipements, afin de s’assurer que ces industries développeront de nouvelles armes qu’elle pourra utiliser lors des prochaines guerres à Gaza. Peut-être que si les citoyens de ces états savaient cela, ils protesteraient et ils pousseraient un coup de gueule, mais çela aussi pose quelques problèmes. Souhaitons-nous que les Suédois disent à leur gouvernement “n’achetez pas de missiles israéliens“ plutôt que “n’achetez pas de missiles“ ?
Traduction AFPS/RP