La Plateforme a suivi de près avec beaucoup d’intérêt la naissance et le développement du RCDP, elle a été présente en 2002 à Dunkerque lors de la naissance du COEPPO, l’organisation européenne. Et elle a pu, en décembre 2007, à l’occasion de la tenue à l’IMA, des assises de la coopération décentralisée, en présence de 50 maires palestiniens, mesurer son dynamisme et l’engagement croissant des partenaires. En participant aux cinq tables rondes organisées à cette occasion pour traiter des enjeux centraux de cette coopération en partant des expériences de terrain, nous avons pu apprécier l’efficacité du RCDP dans la construction d’une solidarité matérielle, politique et symbolique forte avec une société soumise à une occupation militaire étrangère. Pour la vingtaine d’ONG de la Plateforme qui mènent des projets en Palestine, le travail en profondeur nous pousse dans trois directions :
– constituer, tant que faire se peut, entre ces différents projets un certain niveau de coordination
– préciser les liens qui sont ou peuvent être établis entre ces projets et ceux menés dans le cadre du RCDP
– enfin, réfléchir sérieusement sur les rapports entre la dynamique de développement portée ou esquissée par ces projets et le contexte économique et politique caractérisé par la poursuite et l’aggravation par Israël de sa politique de colonisation et d’occupation.
2007, l’année du tournant
Celle de la tenue à Paris des assises de la coopération décentralisée avec la Palestine est précisément l’année où s ’est opérée un changement de paradigme dans la gestion internationale de la question palestinienne.
Pour l’essentiel, ce changement peut se définir ainsi : un règlement négocié du conflit israélo-palestinien nécessite comme préalable une amélioration des conditions économiques des Palestiniens, d’où la priorité pour Israël de prendre des mesure permettant le développement économique du territoire palestinien mais sans exigence préalable de négociations politiques.
En résumé, la prospérité économique conditionnerait toute solution politique qui passe nécessairement par la fin de l’occupation.
Nous devons donc repartir de ce nouveau mode de gestion internationale de la question palestinienne pour définir nos axes prioritaires de réflexion et de travail quant à la problématique du développement en Palestine aujourd’hui.
2007 c’est donc l’année du tournant. Depuis 2006 et les élections palestiniennes, c’est l’embargo de Gaza et la perspective de paix ainsi fermée ne se réouvrira pas avec le processus dit d’Annapolis. Et à partir de 2007 on assiste à une série de conférences qui portent uniquement sur les questions financières et économiques. C’est d’abord la conférence des donateurs à Paris le 17 décembre 2007. Les promesses de dons de bailleurs de fonds se montent à 7, 5 milliards de dollars sur 3 ans.
Mais 2007 c’est aussi l’année où est nommé Salam Fayyad l’actuel Premier ministre palestinien. Celui-ci est chargé de mener un vaste « plan de réforme et de développement » pour 2008-2010. Sa mise en œuvre est financée par les versements des pays donateurs.
C’est ensuite la conférence des investisseurs à Bethléem en avril 2008 où se réunissent, sous l’égide de Tony Blair, l’émissaire du Quartet au Moyen-Orient, 1200 hommes d’affaires américains, européens, arabes et israéliens. Cette conférence, à l’occasion de laquelle Salam Fayyad précise que « le futur État palestinien ne pourra voir le jour sans une économie forte » ajoutant que « l’investissement privé doit désormais compléter l’aide des pays donateurs », assure 1,7 milliard de dollars supplémentaires pour mettre en œuvre une centaine de projets.
Dans le discours de clôture prononcé par Bernard Kouchner, celui-ci précise sa conception du développement de la Palestine actuelle : « le moteur d’une croissance durable réside dans le secteur privé, qui possède toutes les potentialités d’un développement rapide...La Palestine dispose d’atouts importants qui permettent de fonder des espoirs sérieux (…) et j’ajouterai une proximité, une complémentarité naturelle avec l’économie israélienne, dont témoigne la présence à Bethléem, ces derniers jours, d’un grand nombre d’investisseurs. »
Tel est le contexte qui préside au lancement en avril 2010 du projet franco-palestinien de Parc industriel de Bethléem.
Discours qui apparaît sur le moment plutôt surréaliste si on prend en compte ce qui se passe alors en Palestine et en particulier à Gaza où 96% des entreprises industrielles viennent de fermer du fait de l’embargo...
En Mai 2008 c’est une nouvelle conférence des donateurs à Londres qui accroît le nombre des acteurs publics et privés.
En novembre 2008, Benjamin Nétanyahou réaffirme son idée de « paix économique » : « la prospérité économique permet de préparer un règlement politique et non l’inverse ».
Toutes ces promesses devront être confrontées avec les réalisations sur le terrain et là le constat est clair : quand l’étau se desserre, quand les check-points sont « allégés » et les incursions militaires israéliennes plus rares, la situation des Palestiniens peut vite s’améliorer et le potentiel économique s’affirmer. Ce qui signifie que l’évolution de l’économie est directement et étroitement liée à la politique c’est à dire à l’occupation du territoire par l’armée israélienne. Notons immédiatement que les desserrements observés sont toujours très relatifs et révocables à tout moment car un nouveau déploiement militaire est toujours possible en quelques heures sur toute la Cisjordanie.
Ainsi c’est la situation de blocage et de fragmentation du territoire créée par l’occupation militaire israélienne qui constitue l’entrave fondamentale à la libre circulation des hommes et des marchandises, condition première de tout développement. Lors d’une audition récente devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Dov Zerah, nouveau directeur général de l’Agence Française de développement, évoquant le lien entre le développement économique et la situation politique au Proche-Orient, affirma que « chacun sait que la paix a aussi besoin du développement économique pour prospérer. » Hervé de Charrette lui a répondu : « Monsieur Zerah, je suis en désaccord avec vous sur la question du lien de cause à effet entre développement économique et paix : c’est la paix qui permet le développement ; dire l’inverse, c’est faire siennes des analyses surtout entendues à Tel Aviv »
De ce point de vue, la croissance économique palestinienne annoncée en 2009 mériterait une analyse différenciée des secteurs concernés (essor de la construction - mais rien à Gaza – et baisse de la production agricole). Y a t-il alors développement de la Palestine ?
Quelle place des ONG dans le « développement » ?
Dans ce contexte économique et politique quelle est la place, quel est le rôle de la vingtaine d’ONG de la Plateforme qui mènent des projets en Palestine ?
Ce sont d’abord des projets d’urgence : ambulances, éducation à la santé, petits projets d’aide à l’autofinancement, projets pour les enfants, aide à producteurs agricoles de Gaza....
Ce sont aussi des projets de développement tels que celui portant sur l’huile d’olive dont on entend à la fois assurer la production (y compris par l’aide à la cueillette des olives contre les menaces des colons), la modernisation (mise aux normes européennes) et la commercialisation. Des projets portant sur les dattes sont en train d’être mis en place dans la vallée du Jourdain. Et il faudrait parler des projets sur l’eau mais aussi de ceux sur l’éducation, le sport...
Un point à souligner : dans le programme inter-associatif (PIA) de la Plateforme et portant sur les activités périscolaires des enfants, l’accent a été mis sur le lien avec la Cisjordanie (5 ONG) et avec Gaza (4 ONG) quitte à organiser des vidéoconférences entre elles....
L’aggravation récente de la situation
Deux évènements majeurs survenus depuis le lancement du « plan Fayyad » bouleversent toute perspective dite de « développement », d’un côté c’est l’opération « Plomb durci » sur Gaza, de l’autre c’est le dernier projet israélien sur Jérusalem annoncé en juin 2010.
Cette situation nouvelle vient d’être ainsi décrite par la sénatrice Monique Cerisier Ben-Guiga qui revient de Palestine. Pour Gaza, écrit-elle dans son rapport, c’est « l’asphyxie de l’économie : appareil productif industriel anéanti, aucune importation de matières premières, de machines et de pièces détachées, et aucune garantie de pouvoir exporter la production. Le même phénomène peut être constaté pour l’agriculture et pour toutes les infrastructures et tous les logements puisqu’il en manque 40 000 ». Gaza est transformé en « cas humanitaire », sans plus de lien avec la Cisjordanie et le monde arabe...
Quant à Jérusalem, on assiste, avec le nouveau « plan directeur » qui vient d’être annoncé, à la mise en place d’un encerclement complet qui se réalise ainsi, selon Madame Ben-Guiga « au total, une fois tous les points reliés les uns aux autres, comme à Hébron, tous ces quartiers adjacents à la vieille ville seront interdits aux Palestiniens et formeront une ligne continue de logements et de bâtiments administratifs infranchissable pour eux. ».
En dernière analyse, cet isolement de Jérusalem-Est « cœur économique » de la Palestine vise à empêcher « éternellement » tout développement autonome de la Palestine.
Mais il faudrait aussi évoquer le cas de la vallée du Jourdain où les ONG françaises souhaitent fortement mener des projets.
Pour être complet, il faut ajouter les menaces de plus en plus concrètes que font peser les autorités israéliennes sur toutes les ONG de développement et de défense des droits humains. Qu’elles soient palestiniennes (difficulté ou impossibilité de déplacements internes et de sortie à l’extérieur…), européennes (transformation de leurs visas de travail en visas de touriste....) et même israéliennes (menacées de fermeture). Sans parler du sort fait à la « flottille »...
Pour synthétiser la situation, je vous cite le tout récent rapport du PNUD qui, constatant la paupérisation croissante de la population, établit le diagnostic suivant « il ne s’agit pas d’une pauvreté liée à une insuffisance mais d’une pauvreté liée à un manque d’indépendance. Les Palestiniens n’ont aucune autorité sur leur espace aérien, leurs frontières, leurs ressources naturelles, leurs mouvements et les instruments macro-économiques qui permettent une autonomie économique. »
Pour les ONG de la Plateforme, une conclusion s’impose d’elle même : aucun développement durable n’est possible sans fin de l’occupation et de la colonisation c’est à dire sans solution politique. En même temps, pour ces mêmes ONG, la poursuite des projets d’urgence et de développement est importante . Malgré toutes les entraves et même les risques de destruction par l’armée israélienne, la permanence des ONG est très importante, ne serait-ce que parce qu’elle engendre une présence physique internationale et une information constante sur ce qui se passe en matière de droits humains individuels et collectifs, de revendications légitimes des ONG palestiniennes...
Au début de l’histoire de la Plateforme, dans la foulée des accords d’Oslo, en 1994-1995, la dizaine d’ONG françaises qui l’avaient lancée pour aider à la construction politique et économique de l’État palestinien en devenir s’insérait dans une dynamique palestinienne remarquable avec les ONG palestiniennes. Des projets ambitieux aidés par le ministre des Affaires étrangères étaient montés avec les ONG, sur la santé, sur l’agriculture, sur l’éducation. Le Conseil législatif palestinien votait une loi très libérale sur les ONG...D’où un certain enthousiasme, un certain optimisme...Maintenant tout est bouleversé : quelles perspectives pour les ONG bloquées ? Pour un État sans Conseil législatif, sans lien avec son environnement ? Pour une économie où 42% de la Cisjordanie est sous contrôle colonial israélien ?
Aujourd’hui les colonies, toutes illégales, produisent des marchandises qui ne peuvent se prévaloir des exonérations douanières permises par l’accord d’association UE-Israël comme vient de le confirmer la Cour européenne de justice (Arrêt Brita). Les marchandises sont de fait exportées illicitement sur le marché européen. L’Autorité Palestinienne et des associations de la Plateforme ont décidé de boycotter ces produits issus d’une colonisation qui s’oppose à tout développement économique autonome.
Le développement de la Palestine aujourd’hui a besoin d’un État souverain destiné à intervenir directement pour défendre l’intérêt national en matière d’accumulation locale du capital, d’échanges extérieurs, en matière d’emploi et de services publiques essentiels. C’est cet État que nous voulons aider à construire...
Dans cette perspective de la nécessité de l’État palestinien tel que défini et exigé par le droit international, lutter pour le développement de la Palestine c’est à la fois imposer la fin du blocus de Gaza et la fin de l’occupation par les moyens politiques nécessaires.
Ce qui signifie aujourd’hui articuler les questions de développement , avec la question politique primordiale qu’est la constitution de l’État souverain.
Dans l’immédiat notre préoccupation première est la liberté de mouvement et de circulation des ONG palestiniennes, israéliennes et internationales. Comment fait-on dans la vallée du Jourdain ? Comment travailler dans la zone C, près du Mur, etc.? Sur quel soutien pouvons nous escompter pour mettre fin aux entraves au travail des ONG ?
Travailler avec le RCDP
La Plateforme souhaite accompagner la coopération décentralisée en développant parmi ses membres et avec le RCDP une réflexion commune autour des enjeux de développement en Palestine. Cette réflexion suppose des échanges d’informations et d’expertise, des délégations communes et/ou thématiques en Palestine, un lobbying commun sur des questions urgentes.
Comment, en résumé, dans le contexte actuel, combiner positivement urgence sociale et médicale et développement ?
Un travail commun sur les questions de développement en Palestine, sur ses liens avec le plan Fayyad, sur la position actuelle de la France, sur les enjeux financiers nous paraît indispensable.
Ce travail commun devrait être précédé d’une réflexion sur le thème « Quel développement est possible sous occupation ? » en partant de la pratique actuelle des ONG de la Plateforme impliquées dans des projets de développement.
Cette réflexion sur le développement plutôt nouvelle pour la Plateforme, imposée par l’évolution de la situation en Palestine et par la politique menée par les acteurs étatiques et privés, en particulier en France, ouvre une nouvelle frontière au mouvement de solidarité. Nous ne pouvons nous y soustraire.
Nous devons montrer notre capacité à la mener à bien pour renforcer l’efficacité de notre action.
Dans un article paru en 2007 dans Confluences Méditerranée de Bertrand Gallet sur la coopération décentralisée, l’auteur parle de trois niveaux de coopération décentralisée, allant de l’aide humanitaire à la planification commune en passant par le financement de projets. Il nous faut nous préparer à la 3ème phase mais celle-ci suppose l’État palestinien souverain. Celui-ci reste notre objectif central y compris pour permettre à la Palestine de passer d’un développement potentiel à un développement réel.