L’effort international visant à criminaliser la critique d’Israël connaît de nouvelles avancées. Avec le poids de nombreux gouvernements occidentaux, le dénommé « Groupe de travail interparlementaire de lutte contre l’antisémitisme en ligne » a renouvelé ses efforts pour qualifier d’antisémitisme les critiques d’Israël et permettre ainsi la censure en ligne de ces critiques.
Lundi, les coprésidents du groupe de travail - la députée américaine Debbie Wasserman-Schultz (D-FL), le député canadien Anthony Housefather et l’ancien membre israélien de la Knesset Michal Cotler-Wunsh - ont envoyé des lettres aux dirigeants de Meta (propriétaire de Facebook et Instagram), Twitter, YouTube et TikTok, leur demandant de redoubler d’efforts pour combattre l’antisémitisme en ligne. Bien sûr, l’antisémitisme, comme toute forme d’intolérance violente, n’est que trop courant sur les réseaux sociaux. Malheureusement, ce groupe de travail manipule cela de la manière la plus cynique qui soit, afin de protéger Israël des conséquences ou même des critiques de son traitement des Palestiniens.
Dans leur lettre, les parlementaires demandent instamment aux entreprises d’inclure "le sionisme en tant que caractéristique/identité protégée" et de "s’engager à appliquer une politique spécifique et cohérente pour supprimer les contenus et les utilisateurs qui nient l’Holocauste ou appellent à la violence contre les Juifs, les Israéliens ou les sionistes."
S’il est louable de s’opposer à la violence à l’encontre de quiconque pour sa seule identité ou ses opinions politiques, aussi nocives soient-elles, l’amalgame entre les Juifs en tant que peuple, les Israéliens en tant que citoyens d’un État-nation (qui doit inclure les citoyens palestiniens d’Israël, bien que dans ce contexte, on suppose que, comme la démocratie israélienne, il ne s’applique qu’aux Israéliens juifs) et les adhérents à une idéologie politique, le sionisme, est profondément problématique.
Mais le plus important est la tentative de catégoriser les sionistes comme une "caractéristique/identité protégée." C’est sans précédent et sans fondement. C’est une tentative de traiter le sionisme d’une manière totalement différente de celle dont nous traitons toute autre idéologie politique.
Noa Tishby, une actrice israélienne qui est également l’envoyé spécial d’Israël pour la lutte contre l’antisémitisme et la délégitimation d’Israël, a jeté un peu de lumière sur ce dont il s’agit réellement, lorsqu’elle a témoigné lors d’une audience organisée par le groupe de travail en septembre dernier. Elle a affirmé que "des recherches récentes ont montré qu’entre 73,6 et 84% de l’antisémitisme en ligne prend la forme d’une haine anti-Israël." Peu de temps après, Tishby a déclaré que "le nouvel antisémitisme a très peu à voir avec ce qu’est réellement Israël, mais tant que la cible explicite de la haine est Israël ou les sionistes plutôt que les Juifs, alors il obtient un laissez-passer sur les réseaux sociaux".
Et quelle est cette fausse caractérisation selon Tishby ? Elle dit qu’il s’agit de caractériser Israël comme "mauvais, raciste, colonialiste, suprémaciste blanc." Ce sont toutes des qualifications qui sont loin d’être propres à Israël. Elles sont régulièrement appliquées aux États-Unis, au Canada, à l’Australie, au Royaume-Uni et à de nombreux pays européens. Et alors que la plupart de ces pays ont une histoire coloniale avec des épisodes au moins aussi horribles que le traitement des Palestiniens par Israël, et que certains commettent des crimes permanents liés à leur histoire coloniale, aucun d’entre eux n’applique actuellement un blocus créant une prison à ciel ouvert pour deux millions de personnes comme à Gaza, tout en détenant quelque cinq millions d’autres personnes sous une occupation brutale de plus d’un demi-siècle, sans aucun droit. Pourtant, pour Tishby, seuls le sionisme et Israël sont intrinsèquement immunisés contre la critique de telles actions.
Bien sûr, Tishby donne le change en soulignant combien l’antisémitisme en ligne est en fait une hostilité envers Israël. Cela ne veut pas dire que le subterfuge commun par lequel les gens utilisent le terme "sioniste" pour signifier "juif" n’existe pas. Cela arrive, et c’est trop fréquent. Mais la critique, même sévère, de tout État n’est pas seulement permise, elle est nécessaire. La question "quand la critique d’Israël glisse-t-elle vers l’antisémitisme" est absurde, et la réponse à cette question est "jamais". Il n’est pas difficile de discerner quand quelqu’un essaie de masquer l’antisémitisme en remplaçant "juif" par "sioniste", et dans la plupart des cas, toute personne de bonne foi peut faire cette distinction sans courir le risque de fermer un discours légitime ou de laisser passer l’antisémitisme sans contrôle. Utiliser cette terminologie comme un tour de passe-passe pour esquiver les accusations d’antisémitisme n’est pas quelque chose à travers laquelle les gens "glissent" ; c’est quelque chose qu’ils font consciemment et visiblement.
S’appuyant sur la lettre adressée aux sociétés de réseaux sociaux, Michal Cotler-Wunsh a souligné que le "codage" sioniste intègre le ciblage et l’exclusion des Juifs, exposant "l’impératif d’ajouter le sionisme aux caractéristiques protégées des plateformes." Elle a ajouté que cela "souligne l’urgence d’adopter et de mettre en œuvre la définition consensuelle de l’IHRA."
La définition de l’antisémitisme de l’IHRA - une définition très contestée qui a été critiquée dans de nombreux secteurs - a été fréquemment utilisée pour mesurer les efforts de lutte contre l’antisémitisme. La nature problématique de la définition de l’IHRA réside moins dans la définition elle-même que dans les exemples qu’elle utilise, qui incluent ce que l’Anti-Defamation League (ADL) appelle "certaines expressions d’animosité envers l’État juif d’Israël qui peuvent parfois franchir la ligne de l’antisémitisme."
La description de l’ADL pose la question en définissant l’antisémitisme comme une animosité antisémite. Ce raisonnement circulaire devient alors ouvert et permet à toute critique d’Israël d’être qualifiée d’antisémite, selon la convenance de celui qui la définit à ce moment-là.
Un exemple cité dans la définition de l’IHRA est le suivant : "Nier au peuple juif son droit à l’autodétermination, par exemple, en affirmant que l’existence d’un État d’Israël est une entreprise raciste." L’idée qu’Israël, qui pratique ouvertement la discrimination à l’encontre des non-juifs et qui, en 2018, a adopté une loi fondamentale stipulant qu’il était l’État-nation exclusif du peuple juif, et donc explicitement pas l’État de ses citoyens, a un problème majeur de racisme, est clairement fondée sur des faits. On peut débattre de la question de savoir si ces faits peuvent être raisonnablement décrits comme du racisme, mais on ne peut pas raisonnablement affirmer qu’une accusation de racisme dans de telles circonstances est a priori antisémite. Pourtant, c’est précisément ce que la Task Force demande de faire sur les réseaux sociaux.
L’argument avancé par Israël et ses partisans, est qu’ils détiennent des millions de personnes sans droits fondamentaux, et ce depuis plus de 55 ans, pour des "raisons de sécurité." Mais c’est un argument qui est très difficile à tenir sans justifier une punition collective, et une doctrine de base de « c’est la force qui fait le droit. » Pourtant, Israël est tout à fait capable d’avancer cet argument s’il le souhaite ; il le fait depuis 1967. C’est, sans doute, la reconnaissance de la faiblesse de cet argument qui les a conduits à mettre l’accent sur l’effort de préempter le contre-argument défendant les droits des Palestiniens en le qualifiant d’antisémite.
Cela a des conséquences dans le monde réel. En début de semaine, douze groupes israéliens de défense des droits de l’Homme - Adalah, B’Tselem, Breaking the Silence, Combatants for Peace, Gisha - The Legal Center for Freedom of Movement, Hamoked : Centre pour la défense de l’individu, Haqel : In Defense of Human Rights, Human Rights Defenders Fund, Ofek, Parents Against Child Detention, Physicians for Human Rights et Yesh Din - se sont réunis pour condamner le fait que le Haut Représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, ait invoqué la définition de l’antisémitisme de l’IHRA pour laisser entendre que l’antisémitisme était au cœur du rapport d’Amnesty International intitulé "L’apartheid d’Israël contre les Palestiniens" et qu’il était "inapproprié" d’utiliser le terme "apartheid" à propos d’Israël, comme si Israël, parmi tous les pays du monde, jouissait d’une immunité unique face à ce crime, ou, du moins, face aux accusations qui lui sont adressées.
Dans leur déclaration, les groupes - dont beaucoup n’emploient pas le terme "apartheid" lorsqu’ils font référence au traitement global des Palestiniens par Israël - ont également rejeté "l’instrumentalisation croissante des allégations d’antisémitisme pour empêcher un débat ouvert sur les politiques oppressives d’Israël envers les Palestiniens."
Cette bataille entre dans une phase cruciale, qui incarne le cliché "il fait toujours plus sombre avant l’aube." Lors des dernières élections américaines, nous avons vu l’AIPAC se lancer dans le financement de véritables campagnes politiques, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Pourtant, ce faisant, il a élaboré des messages pour s’opposer aux candidats dont il n’aimait pas la politique au sujet d’Israël. Mais il s’est assuré que ses messages parlaient de toute autre question qu’Israël. C’était une acceptation implicite qu’Israël est difficile à vendre, et que son attitude inexorable envers les Palestiniens, exposée dans l’ère moderne comme jamais auparavant, ne gagnera pas les électeurs comme elle le faisait auparavant.
Dans le même ordre d’idées, les efforts - qu’ils soient déployés par des responsables gouvernementaux comme la Task Force, des groupes de pression comme l’AIPAC ou les nombreux militants de base qui font pression sur leurs élus aux États-Unis et en Europe - pour stigmatiser et même criminaliser la critique d’Israël, s’intensifient, car les forces pro-israéliennes n’ont pas grand-chose d’autre dans leur boîte à outils. Cela rend ces luttes particulièrement opportunes, cruciales et potentiellement décisives.
Traduction : AFPS