Un mélange de satisfaction, de mépris et un regain d’inquiétude autour du militarisme israélien, telle est la teneur dominante des réactions soulevées dans le monde arabe par le rapport préliminaire de la commission Winograd, rendu public lundi 30 avril en Israël. La commission a très sévèrement réprimandé trois hauts responsables politiques et militaires israéliens pour leur conduite au cours des trente-quatre jours qu’a duré la guerre, l’été dernier, contre le Hezbollah libanais ; son rapport a laissé exsangues le Premier ministre Ehoud Olmert et le ministre de la Défense et dirigeant du Parti travailliste, Amir Peretz. Disgracié après le conflit, le chef d’état-major Dan Haloutz avait démissionné en janvier dernier.
Si les Arabes sont satisfaits, c’est parce qu’ils ont là la confirmation qu’Israël n’a pas brillé dans cette guerre et n’a réussi à atteindre aucun de ses objectifs stratégiques prioritaires. Les Israéliens n’ont ni écrasé le Hezbollah, ni repoussé le mouvement libanais de résistance armée du sud du Liban, ni récupéré les deux soldats israéliens kidnappés par le Hezbollah, ni réaffirmé leur pouvoir de dissuasion aux yeux du monde arabe et de l’Iran, ni réussi à s’assurer que toutes les guerres contre les Arabes auraient lieu en territoire arabe et non en Israël. Les observateurs arabes se sont ainsi empressés de rappeler, ce lundi, qu’Israël avait été contraint, en août, d’accepter un cessez-le-feu ordonné par l’ONU après avoir échoué sur le champ de bataille.
Le mépris, par ailleurs, transparaît dans nombre de réactions arabes au rapport Winograd, et ce pour deux raisons. La première est qu’Israël a derrière lui une longue liste de commissions d’enquêtes qui ont fait beaucoup de tapage politique et désavoué de hauts responsables, sans pour autant modifier la politique militariste et colonisatrice de l’Etat hébreu vis-à-vis des Arabes.
Les Arabes ont le souvenir particulièrement irritant et amer des commissions d’enquête déficientes et inutiles qui se sont penchées sur le comportement d’Israël à l’égard de ses citoyens arabes vivant dans les frontières de 1967. La dernière en date avait été mise en place après des manifestations en Israël, en 2000, durant lesquelles la police avait blessé et tué des dizaines d’Arabes israéliens. Au bout du compte, toutes ces enquêtes - sur le recours aux armes d’Israël au Liban, dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza ou encore dans les zones à majorité palestinienne en territoire israélien - semblent affirmer que les règles de l’Etat de droit seront respectées à la virgule près pour les Israéliens, mais que les Arabes, eux, sont condamnés à faire les frais de la machine militaire et des habitudes de discrimination politique de l’Etat hébreu.
Deuxième explication à ce mépris arabe, l’éventuelle chute du gouvernement d’Ehoud Olmert et son remplacement, augurés par le rapport Winograd, n’apporteront aucune amélioration.
Alors que les Israéliens se plongent dans les méandres dérisoires de la politique politicienne et examinent les personnalités de leurs dirigeants, les Arabes, destinataires de la politique étrangère du pays, n’ont guère vu de différence entre le Parti travailliste et le Likoud, les deux formations dominantes depuis les années 1960. Et l’hybride parti Kadima, créé par Ariel Sharon en 2005 pour revendiquer le nouveau "centre" du spectre politique, est aujourd’hui en passe de se désintégrer.
Le départ d’Olmert et son remplacement par le chef du Likoud Benyamin Netanyahou, par l’ex-Premier ministre Ehoud Barak ou par la ministre des Affaires étrangères Tzippi Livni peuvent donner une impression satisfaisante d’épuration et de renouvellement de la politique israélienne, mais tout cela ne sera aux yeux du monde arabe qu’un gigantesque tour de passe-passe.
Les dirigeants qui on multiplié des retours à répétition dans la politique israélienne - Olmert, Barak, Rabin, Begin, Sharon et les autres - sont (ou étaient), en règle générale, des technocrates menant une politique constante, et non des stratèges capables d’inaugurer un authentique changement politique au nom du bien-être d’Israël et de ses voisins arabes.
Les réactions arabes au rapport Winograd sont également marquées par un regain d’inquiétude : on craint en effet que les élites militaires et politiques israéliennes, tancées, cèdent à l’aventurisme militaire ou à d’autres tentations extrémistes afin de réaffirmer leur pouvoir de dissuasion à l’égard des Arabes. La stratégie nationale israélienne a toujours reposé sur une armée redoutable capable d’infliger des défaites éclair et de dissuader tous ses voisins hostiles - Arabes et Iraniens confondus. La restauration de cette image d’invincibilité, profondément mise à mal, sera vraisemblablement une priorité pour le commandement politique et militaire israélien, quel qu’il soit, qui prendra la suite de la coalition discréditée et affaiblie d’Ehoud Olmert.
Alors, certes, le rapport Winograd fait peut-être du bien aux Israéliens, mais pour les Arabes, ce n’est que l’annonce, pour les mois et les années à venir, de la poursuite de la surenchère militaire israélienne.