Le Centre international de justice pour les Palestiniens (ICJP) a déposé mercredi 17 août 2022 une plainte pour crimes de guerre auprès de la Cour pénale internationale (CPI) au sujet de la politique israélienne consistant à priver illégalement des civils palestiniens de leurs biens, à la fois pour des colonies et dans des "circonstances non justifiées par la nécessité militaire".
La plainte a été déposée au nom de Rezk Salem Hamed Kadih dans la bande de Gaza et des membres de la famille Salhiya de Sheikh Jarrah, un quartier palestinien de Jérusalem-Est occupée, à la suite d’une enquête ouverte le 3 mars 2021.
Au cours de l’enquête, Fatou Bensouda, alors procureure de la CPI, a déclaré : "Il y avait une base raisonnable pour croire que des crimes de guerre ont été ou sont commis en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza ; les affaires potentielles découlant de la situation seraient recevables, et il n’y avait pas de raisons substantielles de croire qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice."
La plainte demande au procureur de la CPI d’inclure les cas qu’elle a soumis et qu’elle a l’intention de soumettre, dans le cadre de l’enquête formelle. À l’époque, la CIJP continuait à rassembler des preuves pour de nombreux autres cas à soumettre à la CPI.
"Les preuves disponibles pour étayer les allégations de crimes contre la propriété perpétrés par les autorités israéliennes sont vastes, crédibles et claires. Le fait que cela ait été autorisé à se poursuivre comme une politique acceptée pour l’expansion illégale d’Israël est consternant", a déclaré Tayab Ali, directeur de l’ICJP.
"Le silence et le soutien des pays de l’UE ainsi que du Royaume-Uni et des États-Unis équivalent à une complicité dans ces crimes."
Les terres appartenant à la famille Kadih
La plainte mentionne des terres situées dans la ville de Khuz’a’, dans le district de Yunis au sud de Gaza - plus précisément une superficie d’environ 36 000 mètres carrés. Selon la plainte, Kadih a hérité de ce terrain et en est l’un des propriétaires, avec ses six frères et sœurs.
Le terrain appartenait à l’origine à son grand-père, qui l’a enregistré, et il serait dans la famille depuis plus de 100 ans. Trois générations de sa famille ont vécu sur ces terres et en font leur principale source de revenus. Après la Nakba, Israël a occupé près de la moitié des terres et a établi une clôture de séparation sur une partie d’entre elles.
En 1956, d’autres terres ont été confisquées après le massacre de Khan Yunis. Après la guerre des Six Jours en 1967, les forces israéliennes ont pris encore plus de terres. Israël a également eu recours à "une force excessive pour expulser les membres de la famille de la terre" et y a établi une présence militaire permanente, en invoquant la nécessité militaire. "Les militaires israéliens ont pénétré sur les terres avec des bulldozers et ont ouvert le feu sur les agriculteurs qui s’y trouvaient", peut-on lire dans la plainte.
En 1993, Israël a tenté de déplacer la barrière de séparation plus profondément dans la propriété, mais s’est heurté à des protestations. Selon la plainte, le terrain a été utilisé pour maintenir une présence militaire et a servi de ferme pour les colons israéliens. La famille ne possède qu’une petite partie du terrain d’origine et n’est pas autorisée à accéder à la totalité de ce qui reste.
"Cette affaire implique un déni de droits de propriété de longue date. Elle est représentative de la pratique systématique et de longue date d’Israël consistant à confisquer ou à occuper des territoires palestiniens, qui augmente progressivement au fil du temps", indique la plainte.
"Ce déni des droits de M. Rezk Kadih se poursuit à ce jour. Il n’y a aucune perspective de solution nationale au cas de M. Rezk Kadih... Le déni de ses droits, et de ceux de sa famille, reflète la politique de l’État israélien. "
Les terres appartenant à la famille Salhiya
Un autre terrain mentionné dans la plainte appartient à la famille Salhiya. Il s’agit d’une propriété de 6 500 mètres carrés située à Karm al-Mufti, à Sheikh Jarrah. Le terrain comprend deux maisons familiales, une pépinière et une salle d’exposition pour la vente de voitures. Il abritait également plus d’une douzaine de membres de la famille.
En 1967, la famille Salhiya avait l’intention d’enregistrer le terrain auprès du cadastre jordanien. Mais le processus d’enregistrement a été interrompu par la guerre de 1967 en juin de la même année et l’occupation de la Cisjordanie qui a suivi. Le processus n’a donc jamais été achevé.
La famille est menacée d’expulsion depuis 2017, lorsque son terrain a été attribué pour la construction d’une école, après 23 ans d’actions en justice contre le gouvernement israélien. Israël a lancé un ultimatum en décembre pour une évacuation de la propriété le 25 janvier.
La municipalité israélienne de Jérusalem soutient que les Salhiya n’ont aucun droit sur le terrain qui appartenait autrefois au grand mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini - qu’Israël a confisqué après avoir pris la ville en 1967 - conformément à la loi sur les biens des absents. La famille est propriétaire de la maison et y vit depuis des générations, depuis qu’elle a été expulsée par la milice sioniste d’Ain Karem en 1948, lors de la Nakba, ou catastrophe palestinienne, la guerre qui a précédé la création d’Israël.
En janvier, les forces israéliennes ont fait une descente au domicile de la famille Salhiya, arrêtant et agressant violemment les membres de la famille, avant de vider la maison et de la démolir.
De nombreuses unités de police, notamment des agents de la police antiterroriste et anti-émeute, accompagnées de bulldozers, ont pris d’assaut la maison des Salhiya.
Yasmin Salhiya, résidente de la maison et fille du propriétaire, Mahmoud Salhiya, a déclaré à Middle East Eye que l’importante force israélienne avait coupé l’électricité de la maison lors de l’assaut et avait commencé à tirer des gaz lacrymogènes, bloquant la vue des personnes à l’intérieur.
Les bulldozers ont terminé la démolition trois heures plus tard, laissant la maison en ruines et les biens de la famille éparpillés sur le sol.
Traduction et mise en page : AFPS / DD