Sommaire :
Quelques points de repères
1948-1966 : le régime militaire
Leur dépossession foncière
Leur lutte politique pour le respect des droits acquis
Après 1967, des retrouvailles difficiles avec les Palestiniens des territoires occupés
Leur statut actuel)
Des citoyens de seconde zone
Les événements sanglants d’octobre 2000
La détérioration de la situation après l’élection d’Ariel Sharon
La vie des Palestiniens d’Israël (ou des Arabes
israéliens selon la terminologie israélienne officielle) est
un sujet rarement abordé parce qu’on les a oubliés pendant très longtemps et que, d’une certaine manière, cela
continue encore aujourd’hui. Ce sont les Palestiniens
(environ 160 000) qui vivaient et qui sont restés sur le
territoire devenu celui de l’État d’Israël après la guerre
de 1948. Tous les autres, contraints de partir pour nulle
part, sont devenus des réfugiés au Liban, en Syrie, en
Cisjordanie, à Gaza, en Égypte et ailleurs. Les
Palestiniens d’Israël sont aujourd’hui environ un million,
soit 18 à 20 % de la population totale du pays.
Pour situer les choses on peut commencer par une
citation extraite d’un article paru dans le journal israélien
Haaretz, écrit par un journaliste palestinien à propos de
l’affaire Bichara, ce député arabe israélien qui a vu son
immunité parlementaire levée. En quelques phrases
simples, il résume, avec une évidente amertume, la trajectoire difficile de toute cette communauté : « Nos
parents qui habitaient en Israël dans les années 1950-60 nous faisaient célébrer le jour de l’indépendance d’Israël et votaient pour les
partis sionistes ; pour autant ils n’ont pas obtenu l’égalité des droits
et, en plus, ils ont eu à souffrir l’humiliation d’être considérés comme
des traîtres par le monde arabe... Aujourd’hui notre génération
continue d’affirmer que notre État est l’État d’Israël, et que nous
voulons donc les mêmes droits que les autres citoyens, mais aussi
que notre peuple est le peuple palestinien. »
Ce bref exposé est construit en deux temps : d’abord quelques éléments d’histoire, puis une analyse du statut actuel des Palestiniens d’Israël.
Quelques points de repères
Dans les années 1950, ils sont environ 250 000, soit à
peu près 12 % de la population globale, dans un pays où
l’immigration juive est alors très importante. Si la grande
majorité des Palestiniens est musulmane, il existe une
minorité chrétienne importante et, à côté, il y a les
Druzes qui constituent environ 10 % de cette communauté arabe. Cette minorité dans la minorité a un statut à part
lié à leur très forte identité qu’on retrouve aussi au Liban
et en Syrie. Ils affirment leurs différences sur le plan culturel par leurs croyances et leurs pratiques religieuses qui les éloignent des autres courants de l’islam, comme
sur le plan politique où leurs positions ont été souvent hostiles au nationalisme arabe. En Israël, cette spécificité a été reconnue dans les années cinquante avec un statut à part qui leur donne une complète autonomie en
matière religieuse et familiale ; ainsi, par exemple, ils ont leurs propres autorités religieuses et leurs propres
tribunaux ; comme l’ensemble des Arabes israéliens, ils ont la citoyenneté israélienne, mais avec cette différence essentielle qu’ils peuvent faire leur service militaire
qu’ils accomplissent souvent dans des unités spéciales
comme les gardes-frontières. Ce passage par l’armée est
très important car l’accomplissement du service militaire
est une condition indispensable pour pouvoir exercer un
certain nombre de métiers. C’est donc une possibilité
d’intégration sociale que n’ont pas les autres Arabes
israéliens. Globalement donc ils sont à part. Récemment
le leader de la communauté druze au Liban, Walid
Joumblatt, a appelé les Druzes d’Israël à se battre au
côté des Arabes israéliens au lendemain des événements de l’automne 2000 durant lesquels plusieurs
d’entre eux avaient été tués par les forces de l’ordre au
cours de manifestations organisées notamment à
Nazareth et il n’a guère été suivi.
1948-1966 : le régime militaire
En dehors des Druzes qui forment donc cette communauté très particulière, les Palestiniens d’Israël ont eu la
citoyenneté israélienne en vertu d’une loi de 1952. Pour
en bénéficier, il fallait prouver qu’on résidait dans le
pays en juillet 1952 ; ce qui impliquait que tous ceux qui
avaient été obligés de quitter leurs foyers, dans des conditions souvent tragiques, n’avaient plus aucune
existence juridique puisqu’ils n’existaient plus au regard
de la loi ! Cet octroi de la citoyenneté permet à ceux qui
l’ont obtenue d’exercer normalement leur droit de vote
sans qu’il y ait de système de quotas liés à des communautés d’appartenance, comme cela existe, par exemple,
au Liban. Dans le système politique israélien, la citoyenneté est donc formellement la même pour tous : chacun
peut voter pour la liste qu’il choisit sans entrave et donc
aussi bien pour des candidats arabes que pour des candidats juifs.
Au lendemain de la création de l’État, alors même
qu’on leur a attribué la citoyenneté, les Arabes d’Israël
(comme on les appelait à l’époque) sont considérés
comme des ennemis potentiels, comme une sorte de
cinquième colonne dont il faut se méfier et qu’il faut
donc surveiller de près. C’est ainsi qu’ils vont être soumis à un régime militaire très comparable à ce qui se
passait dans les territoires palestiniens avant Oslo
(1993) et qu’Ariel Sharon a réimposé, depuis 2001, dans
les territoires réoccupés de Cisjordanie et de Gaza. Ce
régime militaire s’appuyait sur l’arsenal répressif des
ordonnances que les Britanniques avaient utilisées en
Palestine à l’époque du mandat dans les années trente
et au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Ces
ordonnances constituaient en fait une forme de légalisation de l’arbitraire puisque l’autorité répressive avait
tous les droits et que les victimes n’avaient pas la
moindre possibilité de se défendre. Autant dire que
l’armée avait alors tous les pouvoirs. L’idée à la base de
l’instauration de ce système tenait donc au fait que les
Israéliens considéraient la population arabe comme
leur étant hostile. Ce régime militaire se traduisait surtout par l’instauration de zones de sécurité à l’intérieur desquelles de multiples contrôles interdisaient
toute forme de libre circulation. Au moins jusqu’en 1963,
pour pouvoir se déplacer il fallait donc un laissez-passer
octroyé par les militaires. Au début, ces documents
n’étaient donnés que pour quelques semaines, puis ils
le furent pour quelques mois ; à partir de 1963 ils furent
supprimés et, en 1966, le régime militaire fut complètement aboli.
Dans ces zones de sécurité, qui concernaient tous les
espaces où vivaient les Palestiniens d’Israël, tout était
quadrillé par des barrages et des systèmes de surveillance régulant l’accès à toutes les villes et à tous les
villages ; et, bien sûr, la moindre forme de résistance ou
de contestation aboutissait à des arrestations arbitraires
et à des détentions sans jugement. Un des instruments
répressifs les plus utilisés fut l’instauration d’interminables couvre-feux qui condamnaient toute la population d’une ville ou d’un village à rester cloîtrée chez elle
vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour des périodes
indéterminées. Méthode qui là aussi a été couramment
utilisée en Cisjordanie et à Gaza avant Oslo et qui l’est à
nouveau depuis la réoccupation des territoires palestiniens par l’armée israélienne.
Cela a conduit à des drames terribles dont le plus
connu fut celui subi par les habitants de Kafr Kassem, en
octobre 1956 ; Kafr Kassem est un village dont le couvrefeu avait été décrété pour dix-sept heures alors que les
villageois n’en avaient pas été tous avertis. Un certain
nombre d’entre eux qui rentraient tranquillement chez
eux furent ainsi assassinés parce qu’ils étaient encore
dans la rue après dix-sept heures. Les militaires présents ont froidement exécuté les ordres pour faire respecter le
couvre-feu par tous les moyens, y compris en ouvrant le
feu sur les civils ; le bilan a été terrible (une quarantaine
de morts) et cela est resté gravé dans les mémoires
palestiniennes comme le symbole tragique de leur
situation de « citoyens » israéliens. Il est vrai qu’en
octobre 1956 il y avait la guerre contre l’Égypte mais ce
contexte ne peut en rien excuser ce massacre commis de
sang froid d’autant que ces paysans ne représentaient
évidemment aucun danger pour les militaires.
Cette affaire dramatique a beaucoup marqué les
Palestiniens d’Israël qui déjà, il faut essayer de le comprendre, étaient, pour la plupart, déstabilisés par le choc
de l’irruption d’un État qui n’était pas le leur sur un espace qui, par contre, était bien à eux depuis des générations. Les premières années ont été particulièrement
mal vécues par cette population complètement démunie des ressources politiques nécessaires pour faire face
à une telle situation, inédite et, au sens propre du terme,
impensable. Comment, en effet, pouvait-elle imaginer
un tel bouleversement alors que jusque-là elle vivait
dans un monde familier marqué par le respect de traditions elles-mêmes ancrées dans une culture ancestrale ?
Comment pouvait-elle retrouver ses repères dans une
société si brutalement désarticulée ?
Leur dépossession foncière
C’est dans ce contexte, que les Israéliens ont aussitôt
mis en oeuvre une politique systématique de dépossession foncière en récupérant toutes les terres de ceux qui
avaient fui (les « absents » dans le langage juridique consacré) et en confisquant une grande partie des terres
de ceux qui étaient restés. Pour atteindre leur objectif,
les Israéliens vont utiliser un arsenal juridique très
sophistiqué qui va donner à cette dépossession les
apparences de la légitimité en enrobant de formes
légales les expropriations, les réquisitions et les confiscations organisées de manière systématique qui se sont
accompagnées de multiples expulsions. Le point de
départ arbitraire est en quelque sorte camouflé par des
normes, des références et des décisions juridiques qui
lui donnent un aspect présentable au moins pour tous
ceux qui sont disposés à « oublier » le point de départ...
Les logiques juridiques de ces techniques seront
reprises pour confisquer la terre en Cisjordanie et à Gaza
essentiellement pour pouvoir y construire des colonies.
Cet arsenal normatif est issu des différents systèmes juridiques que la Palestine a connus : celui des Ottomans
comme celui des Britanniques.
Parmi les textes les plus significatifs, il faut citer celui
de 1950 sur la notion d’absence, une loi assez perverse
qui sera reprise et adaptée pour les territoires palestiniens occupés en 1967. L’idée est simple : l’État a le droit
de confisquer les terres d’un propriétaire foncier qui
n’est pas physiquement présent ; dans ce texte, est
considéré comme absent toute personne, citoyen palestinien avant le 1er septembre 1948, ayant quitté son
domicile habituel. Bien entendu la loi ne dit rien des raisons du départ et ne prend évidemment pas en compte
le fait que beaucoup de ces départs ont été forcés, pas
plus qu’elle n’évoque les conditions du retour puisque
précisément tout est conçu pour empêcher toute éventualité d’un retour.
Encore plus pervers : le texte frappe d’absence ceux
qui sont partis au-delà des frontières pour se réfugier au
Liban, en Syrie ou en Jordanie mais aussi ceux qui sont
partis ailleurs en Palestine et qui sont alors soupçonnés
d’avoir été en rapport avec une des armées étrangères... Bref, la notion d’absence ainsi conçue est une
forme très sophistiquée d’épuration ethnique par application de la loi !
Cette loi revient en fait à frapper d’une interdiction de
séjour définitive tous ceux qui, vivant sur les terres
désormais passées sous contrôle israélien, ont eu le malheur de ne pas pouvoir rester chez eux au moment des
hostilités. Ainsi débarrassées « légalement » de leurs
habitants, les terres laissées à l’abandon deviennent des
terres d’État ; le gouvernement peut alors en faire ce
qu’il veut : des colonies agricoles, des villes ou des infrastructures ; une fois encore il faut souligner qu’on retrouvera la même logique juridique en Palestine dans les
territoires occupés après 1967 ; la même logique fondée
sur la notion de propriétaire absent, notamment pour
ceux qui ont traversé le Jourdain parmi lesquels se trouvaient d’ailleurs bon nombre de réfugiés de... 1948.
Cette notion de terres d’État est fondée sur un autre
texte dont la base juridique se trouve dans le code ottoman de 1858 qui prescrivait que le sultan était le maître
des terres laissées en jachère ; en d’autres termes le sultan pouvait faire entrer dans son domaine foncier, confondu avec celui de l’État, toute parcelle de terre, qui pour
une raison ou une autre, paraissait ne pas être exploitée.
Concrètement cela signifiait que les terres non cultivées
pouvaient passer sous le contrôle de l’État qui en devenait ainsi définitivement le légitime propriétaire. Là encore ce principe a été transposé pour être appliqué en
Cisjordanie et à Gaza où, par dérision, les Palestiniens
désignent l’administration militaire qui confisque leurs
terres comme « le nouveau sultan ».
Autre règle du même type qui a frappé les
Palestiniens d’Israël dans les années 1950 : pour pouvoir
établir son titre de propriété sur une terre dont on se
prétendait propriétaire, il fallait démontrer à l’administration qu’on l’avait cultivée de manière ininterrompue
pendant de nombreuses années. Compte-tenu de ce
qu’était le cadastre ottoman, très peu de Palestiniens
étaient en mesure de réussir cette démonstration. La
sanction était implacable : celui qui ne pouvait apporter
la preuve de cette propriété n’était donc pas le propriétaire ; la terre devenait alors une terre d’État.
Pouvant ainsi inventer les procédures juridiques
comme il le voulait en se parant de surcroît d’une volonté de continuité juridique avec le système de droit ottoman, Israël pouvait alors prétendre que toutes ces
formes d’expropriation et de confiscation étaient parfaitement légales...
Autre redoutable concept juridique, cette fois lié au
système du mandat mis en place par les Britanniques :
les zones de sécurité ; quand l’État estime que tel ou tel
secteur est important pour sa sécurité ou plutôt pour la
conception qu’il se fait de sa sécurité entendue au sens
large, il peut décider de le transformer en une zone militaire qui tombe alors sous son contrôle exclusif ; les personnes qui y habitent se retrouvent alors dans une zone
de non-droit où tout devient possible à tout moment :
leur expropriation comme leur expulsion.
En résumant il y avait donc trois notions essentielles :
l’absence, les terres d’État et les zones de sécurité. Ces
notions continuent d’être au coeur du système répressif
qui frappe les Palestiniens d’Israël comme ceux de
Cisjordanie, de Jérusalem et de Gaza. Elles sont parfois
« revisitées » mais les logiques à l’oeuvre jusqu’à aujourd’hui sont analogues.
Derrière tout cela, il y a un enjeu absolument déterminant : faire en sorte que le maximum de terres soit
contrôlé par des Israéliens au détriment des Palestiniens
avec évidemment l’autre dimension fondamentale qui
est celle du nombre : qu’il y ait un minimum d’Arabes ou,
en tout cas, qu’ils soient partout en minorité par rapport
à la population juive... D’où le principe consistant à renforcer la présence juive partout où les Palestiniens sont
en majorité. L’idée qu’il fallait « judaïser » (c’est le terme
officiel) la Galilée et le Triangle a vraiment été une
obsession des gouvernements israéliens successifs, tous
travaillistes de 1949 à 1977 ; et dans cette perspective,
de nombreux plans, présentés comme des projets
« d’aménagement du territoire », ont été mis en oeuvre.
Tous impliquaient de favoriser systématiquement l’installation de populations juives en construisant de nouvelles villes, de nouveaux villages et de nouvelles infrastructures : parmi d’autres exemples on peut citer la ville
nouvelle de Nazareth construite juste au-dessus de
Nazareth, la plus grande ville arabe d’Israël. Cet effort a
été aussi accompagné tout au début, dans les années
1948, 1949, 1950, par de « discrètes » expulsions de
populations palestiniennes : des milliers de Palestiniens
ont ainsi été expulsés de leurs villages ou des zones où
ils s’étaient réfugiés parce qu’il fallait céder la place. Par petits groupes, l’armée israélienne forçait les gens à franchir la ligne d’armistice ; ce qui les condamnait à ne plus
jamais pouvoir revenir.
Cet affrontement démographique est sans doute une
des explications permettant de comprendre pourquoi le
taux d’accroissement naturel des Palestiniens d’Israël a
toujours été très élevé comme si on se battait pour l’avenir en faisant beaucoup d’enfants.
Leur lutte politique pour le respect des droits acquis
Au-delà du fait que les Palestiniens d’Israël ont obtenu le droit de vote, la question fondamentale est de
savoir s’ils pouvaient s’exprimer comme ils le souhaitaient sur le plan politique.
Pendant des années, leur action politique s’est réduite à l’expression de suffrages en faveur des partis sionistes et principalement en faveur du parti travailliste qui
avait su capter les voix des Arabes israéliens en jouant
sur le système traditionnel arabe fondé sur les clans et
les chefs de famille. Comme la société palestinienne
avait alors complètement perdu ses repères et n’avait
donc plus la capacité d’avoir une conscience politique
autonome, elle s’est laissée logiquement instrumentaliser par le parti dominant qui négociait les ralliements et
les votes à travers ces structures sociales traditionnelles.
Pour comprendre cette situation il faut essayer d’imaginer ce que fut l’immense bouleversement que ces gens
ont subi en 1948 et en 1949. Ils se sont retrouvés soudain
dans un système politique qui leur était complètement
étranger auquel ils étaient sommés de participer.
À la fin des années cinquante, la situation a évolué et,
lentement, une conscience politique a commencé à
émerger. Une première génération de militants animés
d’une volonté de contestation et de résistance est apparue autour du Parti communiste israélien. En 1958, une
petite organisation liée au Parti communiste, le Front
arabe, est créée pour tenter de faire valoir les droits des
Palestiniens d’Israël. Aussitôt interdite et réprimée, elle
a resurgi quelques mois plus tard sous le nom de Front
populaire qui était un rassemblement de militants
arabes et juifs soutenus par le Parti communiste israélien. Leurs revendications se focalisaient sur les grands
thèmes de leur dépossession : la terre, les discriminations et le droit au retour. Ils demandaient l’arrêt de la
confiscation des terres et leur restitution à leurs propriétaires ; l’abolition du système discriminatoire qui avait
été mis en place et le droit de retour pour les réfugiés.
Pour l’État d’Israël, ces exigences avaient un caractère
éminemment subversif puisqu’elles s’attaquaient au
coeur même de la doctrine sioniste de conquête et de
contrôle des terres. Le Front populaire a donc été dissous et ses dirigeants assignés à résidence.
Au début des années soixante, en partant de l’expérience, des difficultés et des échecs du Front populaire,
un autre mouvement a tenté de s’imposer : Al Ard (la
terre). Ce mouvement a repris les mêmes revendications
focalisées autour de la lancinante question de la terre
tandis que sur le conflit israélo-palestinien, il se prononçait pour des solutions politiques fondées sur le plan de
partage de 1947. Al Ard a connu le même sort que les
précédentes formations : la liste qu’il avait tenté de présenter aux élections législatives de 1965 fut dissoute et
il fut déclaré illégal par la Cour suprême d’Israël.
Les quelques tentatives d’expression politique autonomes, pourtant très pacifiques, furent donc interdites.
Ils étaient bien des citoyens israéliens de seconde zone,
des citoyens tolérés par le système à condition qu’ils
l’acceptent et ne le contestent pas. Devant l’impossibilité de soutenir des formations directement issues de leur
communauté, beaucoup d’entre eux se sont tournés vers
la formation politique israélienne qui les soutenait le
mieux : le Parti communiste. Celui-ci est secoué par une
grave crise qui aboutit, en 1965, à une scission à l’issue
de laquelle un nouveau parti, le Rakah, à majorité arabe,
va devenir le pôle autour duquel beaucoup se regroupent, d’autant qu’il est animé ou accompagné par des
personnalités particulièrement appréciées comme l’écrivain Émile Habibi ou Tawfik Zayad, longtemps maire de
Nazareth. L’étude des résultats du vote arabe montre
qu’au fil des années, le Rakah obtient de nombreux suffrages au détriment des listes présentées par des partis
sionistes : 22 % du vote arabe se porte sur lui en 1961 ;
37 % en 1973 ; 50 % en 1977.
Dans les années 1980 il y a eu un autre courant qui
s’est imposé au moins au niveau local dans les élections
municipales : celui des islamistes qui ont réussi à s’emparer de la seconde ville arabe d’Israël, Oum al Fahm. Et
par ailleurs, d’autres formations issues de la communauté palestinienne ont su s’affirmer et avoir des représentants à la Knesset.
Après 1967, des retrouvailles difficiles avec les Palestiniens des territoires occupés
Dans l’histoire des Palestiniens d’Israël, comme évidemment pour l’ensemble du peuple palestinien et plus
largement pour tous les peuples de la région, la guerre
de juin 1967 a constitué un tournant décisif. C’est à partir de cette époque que les Palestiniens d’Israël vont
enfin pouvoir renouer des contacts avec ceux de
Cisjordanie et de Gaza, même si les circonstances de ces
retrouvailles sont liées à une nouvelle défaite qui
conduit à l’occupation par Israël de toute la Palestine. Au
début ces retrouvailles sont particulièrement difficiles
parce qu’ils sont considérés comme des Israéliens ou au
moins comme des habitants d’Israël qui ont quelque
part accepté l’État dont ils sont ressortissants. Ils eurent
même parfois à souffrir de l’humiliation d’être considérés comme des traîtres par le monde arabe...
L’ambivalence de leur statut en faisait alors des gens
rejetés à la fois par les autres citoyens israéliens parce
qu’ils n’étaient pas juifs et par les Palestiniens parce
qu’ils étaient citoyens israéliens ! Pour résumer ce
déchirement, l’un d’entre eux a raconté dans l’un de ses
livres qu’on le traitait de sale juif à Naplouse et de sale
arabe à Tel-Aviv... Il a fallu du temps, beaucoup de
temps, pour que les perceptions et les représentations
que le monde arabe avait des Palestiniens d’Israël changent et il n’est pas certain que les choses soient si claires
aujourd’hui encore. Ces contradictions expriment bien
l’immense difficulté de leur itinéraire : s’ils ont eu la
chance de ne pas connaître l’exil, ils ont vu leur société
se désarticuler complètement, l’espoir d’avoir leur État
s’effondrer et leur identité vaciller de toutes parts.
Leur statut actuel
Après avoir vu ces points de repères dans l’histoire
des Palestiniens d’Israël, je voudrais faire quelques
remarques sur leur statut et leur situation politique
aujourd’hui.
Des citoyens de seconde zone
Première question qu’on peut formuler au moins de
deux manières : les Palestiniens d’Israël sont-ils désormais des citoyens israéliens comme les autres ? Les discriminations dont ils ont été l’objet ont-elles disparu ?
Les discriminations ne sont plus celles des années
cinquante ou soixante puisqu’à l’époque leur statut était
officiellement fondé sur elles dans le cadre particulièrement contraignant d’un régime militaire. Depuis 1966, ce
système a été supprimé et surtout un certain nombre de
mesures ont été prises pour tenter d’intégrer les
Palestiniens à la société israélienne. Depuis les années
1970 et 1980 une partie d’entre eux a réussi à se faire une
place dans cette société notamment grâce à l’université ;
on pourrait citer, par exemple, des Palestiniens d’Israël
très à l’aise en hébreu qui ont suivi des études de droit
assez poussées et qui sont devenus d’excellents avocats ;
beaucoup d’entre eux n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser
leur expérience du système juridique israélien pour
aider leurs collègues avocats palestiniens de Ramallah,
de Gaza ou d’ailleurs. Au-delà de cet exemple, il existe
dans bien des métiers des hommes et des femmes qui
ont connu une réelle réussite sociale et qui paraissent
donc assez bien intégrés.
Cette réalité ne doit cependant pas cacher le fait que
les discriminations subsistent de manière explicite ou
latente dans de nombreux domaines au point qu’il est
légitime d’affirmer que les Palestiniens d’Israël demeurent des citoyens de seconde zone dont les différents
gouvernements - surtout ceux formés par le Likoud -
continuent de se méfier.
Le fait qu’un citoyen arabe ne fasse pas son service
militaire peut paraître tout à fait logique puisque dans
une configuration où la guerre entre Israël et ses voisins
arabes perdure, on évite ainsi à ces citoyens de se
retrouver dans des situations impossibles où ils seraient
déchirés entre deux appartenances. Pour ces raisons, la
hiérarchie militaire ne veut pas avoir des hommes dont
elle douterait de la loyauté. Si cet aspect du problème
paraît assez évident il ne faut pas pour autant oublier les
conséquences de l’absence du service militaire pour la
vie professionnelle car certains emplois importants ne
sont accessibles qu’à ceux des citoyens qui ont servi
dans l’armée. Cette disposition revient donc à légitimer
une discrimination systématique sur le marché de l’emploi, surtout en ce qui concerne un certain nombre de
postes de responsabilité.
Les discriminations existent sur les plans économique
et social où les clivages entre citoyens palestiniens et
citoyens juifs sont patents. Il suffit pour s’en rendre
compte d’étudier les statistiques [1] et les sondages qui
portent sur ce sujet : ainsi dans les catégories sociales
les plus favorisées, à métier équivalent, sur cent
Palestiniens, dix-huit sont dans cette catégorie alors qu’il y en a trente-six chez les Israéliens. Inversement, si on
prend les catégories professionnelles les moins favorisées (ouvriers et employés), 57 % des Palestiniens s’y
retrouvent contre seulement 27 % des Israéliens juifs.
Quand on regarde le détail des professions, cette inégalité dans la structuration sociale des deux catégories de
citoyens se confirme avec évidemment ses conséquences en matière de revenus.
Ces déséquilibres se retrouvent par ailleurs dans bien
d’autres domaines ; ainsi dans le domaine de l’éducation :
la scolarité est beaucoup plus courte en moyenne chez
les Arabes israéliens puisque 7 % des enfants de
Palestiniens sont encore scolarisés après seize ans alors
que 18 % des enfants de citoyens juifs le sont ; l’accès à
l’université est beaucoup plus important chez les Juifs
israéliens que chez les Arabes israéliens, etc.
En matière de santé, le taux de mortalité infantile,
par exemple, est de 9,6 pour mille chez les enfants
palestiniens contre 5,3 pour mille chez les enfants de
citoyens juifs.
Quelles que soient les statistiques, le constat est pratiquement toujours le même : être citoyen arabe constitue
un handicap par rapport à la situation d’un citoyen juif.
Autre indicateur intéressant de ces discriminations :
les subventions allouées par l’État aux collectivités
locales. Comme en France, les communes reçoivent de
l’État des dotations de fonctionnement ou des subventions pour accompagner tel ou tel projet dans un secteur
particulier comme la santé, le transport ou l’éducation ;
or là encore de manière quasi systématique, à population équivalente, les municipalités arabes reçoivent beaucoup moins que les autres municipalités. Et la différence est très importante puisqu’en globalisant à partir des chiffres officiels les municipalités arabes reçoivent entre 3 et 10 % des subventions (selon les secteurs)
alors que les Palestiniens d’Israël constituent près de
20 % de la population du pays.
Dernier exemple où la discrimination est toujours
aussi criante : le domaine foncier
Les logiques des années 1950 ou 1960 que nous avons
évoquées dans la première partie sont toujours à l’oeuvre
même si les procédures et les problèmes ne se posent
plus de la même façon. Aujourd’hui, s’il n’y a plus beau-
coup de confiscations de terres c’est parce qu’il n’y a pratiquement plus rien à confisquer. Le processus d’expropriation des terres palestiniennes a duré très longtemps,
bien au-delà des années 1950, au point d’ailleurs que
c’est à partir de l’expérience traumatisante vécue par les
Palestiniens d’Israël (et non par ceux de Cisjordanie et de
Gaza comme on le croit souvent) que la journée de la
terre, le 30 mars, est commémorée par l’ensemble du
peuple palestinien. Pour protester contre de nouvelles
saisies des terres par les autorités israéliennes dans le
but de construire une ville pour des citoyens juifs, les
Palestiniens organisèrent, le 30 mars 1976, une importante manifestation de protestation. Elle fut très brutalement réprimée au point qu’il y a eu plusieurs morts et de
nombreux blessés.
Sur un espace foncier qui s’est donc considérablement réduit au fil du temps, les Palestiniens ont des
besoins toujours plus importants en matière de logement puisqu’ils forment actuellement une population de
l’ordre d’un million d’habitants. Il n’est pas exagéré de dire que dans ce domaine la bataille entre eux et le gouvernement israélien est acharnée. Comme les autorités
ont une politique extrêmement restrictive en matière de
permis de construire demandés par des Palestiniens il y
a une constante augmentation du nombre de constructions illicites ; alors que dans les années 1970, on évaluait à six mille ou sept mille par an le nombre de logements construits sans permis, il y en a eu près de trente
mille en l’an 2000. Face à ce phénomène, les différents
gouvernements israéliens (en fonction de leurs orientations politiques) hésitent entre deux types d’attitude et
donc de politique : ou bien assouplir la législation pour
que les Arabes israéliens puissent se loger, ou bien, au
contraire, refuser de tolérer ces constructions illicites en
procédant à la démolition des habitations et à la pour-
suite pénale de ceux qui ont ainsi enfreint la loi. Sous le
gouvernement Sharon, la dernière commission officielle
qui a rendu un rapport sur le sujet a préconisé une politique essentiellement répressive : pour elle, il faut
détruire toutes les constructions illégales, punir les responsables, infliger des amendes, etc. Une telle
approche est évidemment très cohérente avec les positions des différentes formations constitutives de ce gouvernement pour lesquelles, d’une manière générale, les
Arabes - où qu’ils soient et quels qu’ils soient - sont
les ennemis... Inutile de dire que pour les citoyens
juifs, s’il peut y avoir des problèmes de logement, ils
sont d’une toute autre nature. Jamais on n’aura de politique systématique consistant à refuser des permis de
construire ; bien au contraire, les procédures sont ici
grandement facilitées surtout quand il s’agit d’accueillir
de nouveaux immigrants.
La situation extrême de ces inégalités se manifeste
dans le problème récurrent des villages arabes qui ne
sont pas reconnus par l’administration israélienne. Cela
touche une population évaluée à près de cent mille personnes dont soixante-dix mille dans le Neguev chez les
bédouins et trente mille dans le nord du pays.
Bref, dans ce domaine crucial, les discriminations
entre les citoyens juifs et les citoyens arabes sont particulièrement graves. Et, plus généralement donc, il n’est
pas vrai de prétendre, comme on l’entend souvent dans
le discours officiel israélien, que les discriminations entre
ces deux catégories de citoyens n’existent plus même si
il y a eu des progrès dans l’intégration des citoyens
palestiniens à la société israélienne.
Les événements sanglants d’octobre 2000
S’il fallait encore démontrer que les citoyens palestiniens ne sont pas considérés par le gouvernement
comme des citoyens à part entière, il suffirait de rappeler le traumatisme le plus récent qu’ils ont subi et qui est
en soi particulièrement révélateur.
Le 28 septembre 2000 à la suite de la visite d’Ariel
Sharon sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, les
Palestiniens ont voulu manifester leur réprobation en
protestant vivement contre ce qu’ils considéraient
comme une provocation. La police israélienne a aussitôt
réprimé très brutalement ces manifestations ; plusieurs
Palestiniens ont été tués par balles et de très nombreux
autres ont été blessés dont certains très grièvement.
Suite à ces événements qui allaient entraîner une seconde Intifada, chez les Palestiniens israéliens, en Israël
même, il y a eu aussitôt un appel à la grève générale et à des manifestations en signe de solidarité avec les
Palestiniens des territoires occupés. Ce mouvement qui
a démarré quelques jours plus tard, début octobre, a été
très suivi car la mobilisation fut particulièrement forte.
Dans plusieurs villes, il y a eu des heurts violents avec la
police. Celle-ci n’a pas hésité à tirer sur la foule faisant
treize morts au total : tous de jeunes Palestiniens israéliens. Ces morts, et la brutalité de la répression dont
elles témoignent, ne sont pas dues à une configuration
isolée dans laquelle des policiers auraient perdu leur
sang froid face à une foule hostile puisqu’elles sont le
résultat tragique d’événements qui se sont déroulés en
plusieurs endroits à plusieurs jours d’intervalle. Cela
signifie que les forces de l’ordre avaient reçu des instructions précises les autorisant à faire usage de leurs
armes, ce qui aurait été absolument impensable si les
manifestants avaient été des citoyens juifs. Et d’ailleurs
le gouvernement (celui d’Ehoud Barak en l’occurrence,
avec Shlomo Ben Ami comme ministre de la Police) les a
aussitôt couverts.
Les réactions des Palestiniens d’Israël furent très
révélatrices de l’immense et profond malaise qu’ils ont
ressenti. Beaucoup ont dit en substance que le gouvernement Barak ne faisait plus la distinction entre les
populations palestiniennes des deux côtés de la ligne
verte. Et, pour prendre une déclaration très significative
notamment parce qu’elle émane du fils du grand écrivain arabe israélien Émile Habibi, qui fut pendant toute
sa vie le défenseur des droits des Arabes israéliens dans les années 1950, 1960 et 1970, Salad Habibi : « Ces sanglants événements nous ont fait retourner un demi-siècle en arrière ;
la classe dirigeante et une partie de la société israélienne nous ont
fait comprendre qu’elles ne nous considéraient pas comme des
citoyens à part entière. Cinquante-deux ans après la création de
l’État, nous restons des ennemis qu’il faut détruire. »
Après ce drame, on aurait pu croire que les autorités
israéliennes allaient prendre des initiatives pour tenter
d’apaiser la communauté palestinienne afin de la soulager de ce traumatisme qui risquait de déstabiliser aussi,
par réaction, l’ensemble de la société israélienne. Non
seulement rien n’a été fait en ce sens, mais la situation
a encore empiré puisque dans les semaines qui ont
suivi de véritables pogroms ont été organisés contre la
population palestinienne par des groupes de jeunes
israéliens. À Nazareth en particulier, des centaines
d’Israéliens venus de Nazareth Illit (la ville nouvelle
habitée exclusivement par des citoyens juifs située audessus de la vieille ville arabe) ont agressé des passants et incendié des magasins. Et il a fallu beaucoup de
temps pour que la police se décide à intervenir. Il y a eu
encore des morts et des blessés. Ce commentaire du
journal israélien Haaretz, au lendemain de ces événements, se suffit à lui-même : « Les pogroms de cette semaine
ont renforcé le sentiment que notre police est devenue une police
raciste engagée seulement dans la défense des Juifs. Elle n’a tiré
que sur les émeutiers arabes. »
Ces attaques sont loin d’avoir été soutenues par l’ensemble de la population juive ; des Israéliens juifs sont
allés dans les municipalités les plus touchées par ces
violences pour affirmer leur solidarité, rencontrer les victimes et dire l’importance qu’ils accordaient au maintien de bonnes relations de voisinage entre les communautés. Pour aller plus loin dans cette volonté d’affirmer
l’importance de la convivialité sociale entre Juifs et
Arabes, des familles juives ont invité leurs voisins arabes
sur le balcon où l’on aménage symboliquement une
tente à l’occasion de la fête de la Soukot.
Malgré ces gestes forts, ce malaise est resté et le restera certainement encore très longtemps parce qu’il
touche à l’essentiel.
Rien d’étonnant dans ces conditions que ces événements aient alors beaucoup pesé sur l’attitude des
Palestiniens israéliens au moment des élections décisives de février 2001 où il fallait choisir entre deux candidats : Ehoud Barak et Ariel Sharon. En général le pourcentage de leur participation électorale est de l’ordre de
70 %. Et là il est tombé à 18 %. Cet effondrement était d’autant plus significatif que les Palestiniens d’Israël
étaient parfaitement lucides sur l’enjeu et donc sur le risque de voir Ariel Sharon accéder au pouvoir. La presse arabe le disait clairement. Malgré cela, seuls 18 % des
électeurs se sont déplacés ; en 1999, avec une participation normale, l’immense majorité des Arabes israéliens
avait voté pour Ehoud Barak contre Benjamin Netanyaou. Déjà ils avaient été très déçus par sa politique à leur égard mais après les événements d’octobre,
il n’était plus question de le soutenir et comme ils ne voulaient pas voter pour Ariel Sharon, il ne restait plus
que l’abstention qui d’ailleurs signifiait peut-être plus profondément qu’ils ne se sentaient plus concernés par le système politique de l’État d’Israël...
La détérioration de la situation après l’élection d’Ariel Sharon
Après l’arrivée d’Ariel Sharon, la situation des
Palestiniens d’Israël s’est encore détériorée car toutes
les mesures prises à leur encontre vont dans le même
sens : celui d’une marginalisation fondée sur l’idée que
cette communauté reste potentiellement dangereuse
pour l’État d’Israël surtout dans une période marquée
par les attentats suicides du Hamas et une répression
systématique de la résistance palestinienne dans les
territoires réoccupés de Cisjordanie et de Gaza. Outre ce
qu’on a évoqué plus haut à propos des constructions illicites de logements, parmi de nombreux exemples de
cette attitude du gouvernement actuel on peut citer la
levée, en novembre 2001, de l’immunité parlementaire
d’Azmi Bichara, député arabe très écouté et influent,
parce qu’il avait tenu des discours publics sur la légitimité de la résistance à l’occupation ou encore le vote
d’un texte de loi à la Knesset interdisant à toute person-
ne de se présenter aux élections législatives dès lors
qu’elle aurait pris position en faveur d’un soutien à l’action de résistance des Palestiniens ; ce qui évidemment
ne pouvait viser que des candidats arabes.
Cette suspicion systématique à l’égard de la communauté arabe d’Israël, consubstantielle aux idéologies de
la droite et de l’extrême droite actuellement au pouvoir
en Israël, est encore avivée par le fait que quelques
Palestiniens d’Israël ont pu servir de soutien logistique
au Hamas. Le gouvernement n’hésite pas ensuite à pratiquer l’amalgame en stigmatisant une communauté
d’où sont venus des terroristes même s’ils ne sont
qu’une poignée.
Tout ceci montre à quel point la situation des rapports
entre la communauté arabe israélienne et le reste de la
société israélienne est très préoccupante ; et d’ailleurs
comment pourrait-il en être autrement dans une période
aussi tendue et aussi dramatique où chaque jour apporte son cortège de morts ?
Pourtant les Palestiniens d’Israël ne cessent, dans leur
majorité, de dire leur appartenance à l’État d’Israël. Tous
les sondages le confirment : leur volonté dominante est
d’affirmer leur désir d’intégration à la société israélienne, ce qui passe évidemment par une très forte revendication portant sur l’égalité des droits ; pour eux tous les
citoyens du pays doivent avoir les mêmes droits, ce qui
est loin d’être le cas comme on a pu le rappeler.
Par ailleurs, bien sûr, et surtout dans les circonstances
présentes, ils entendent affirmer leur sentiment de solidarité vis-à-vis des Palestiniens des territoires occupés avec
cependant une limite difficile à repérer et à tenir : que
cette solidarité ne puisse nuire à leur propre situation.
Cet équilibre complexe entre postures et contraintes
différentes se retrouve dans leurs appréciations sur
l’Intifada et les grandes questions concernant les solutions politiques envisageables dans le conflit israélopalestinien. Ainsi, selon les sondages les plus récents,
2/3 des Palestiniens d’Israël se déclarent en faveur d’un
arrêt de l’Intifada ; 15 % souhaitent qu’elle continue.
Dans l’hypothèse où cette Intifada devrait continuer, 80 %
d’entre eux souhaiteraient qu’elle soit non-violente.
Si un État palestinien était créé, une très nette majorité des Palestiniens d’Israël souhaite conserver sa nationalité israélienne et refuse l’idée de quitter ses lieux de
résidence et ses maisons pour aller y vivre. Dans la même perspective, plus de 70 % ne veulent pas que leur
village soit annexé à l’État palestinien dans le cas où il se trouve proche de la ligne verte. À l’inverse, il existe donc
une minorité, entre 18 % et 30 %, qui répond différemment en acceptant la perte de la nationalité israélienne
et le rattachement à l’État palestinien (par déplacement de leur famille ou par l’annexion de la parcelle de territoire sur laquelle ils vivent).
C’est vrai que 18 % sont d’accord avec cette idée qui
impliquerait de renoncer à la nationalité israélienne, 18 %
accepteraient de passer du côté palestinien d’une manière ou d’une autre, et donc de perdre la nationalité israélienne. Même si cette minorité est loin d’être négligeable
il n’en reste pas moins qu’une très nette majorité demeure déterminée à rester vivre dans le cadre israélien et il
n’est donc pas surprenant que 70 % des Palestiniens israéliens souhaitent participer à des activités communes avec
des citoyens juifs, en disant que ce serait une façon d’améliorer les relations judéo-arabes. Quant aux appréciations
sur le gouvernement Sharon (qui au moment de ces sondages comportait encore des ministres travaillistes), elles
sont très négatives : 75 % l’estiment mauvais ou très mauvais pour eux ; 20 % médiocre et 4% l’estiment bien.
Cette situation, particulièrement grave, est lourde de
drames à venir. À vouloir tant marginaliser les Palestiniens
d’Israël et si violemment réprimer la volonté d’indépendance des Palestiniens des territoires, le gouvernement
Sharon prend le risque de déstabiliser durablement la
société israélienne et de s’éloigner pour longtemps de
toute perspective de paix juste dans la région.
Éléments de bibliographie
Doris Bensimon et Egal Errera,
Israéliens : des Juifs et des Arabes, Complexe, 1989.
Sabri Geries,
Les Arabes en Israël, 1948-1967, Maspéro, 1969.
David Grossman, Les exilés de la terre promise,
Conversation avec des Palestiniens d’Israël, Seuil, 1995.
Émile Habibi, Les aventures extraordinaires
de Sa’id le peptimiste, roman, Gallimard, 1987.
Claude Klein, La démocratie en Israël, Seuil, 1997.
Laurence Louër, Les citoyens arabes d’Israël, Balland, 2003.
Sites d’ong de palestiniens d’Israël
The Arab association for human rights : www.arabhra.org
Mossawa Center : www.mossawacenter.org
Documents
Liste des villes et villages arabes
La minorité palestinienne arabe en Israël statistiques choisies