Photo : Huwwara, au sud de Naplouse, attaquée par des colons israéliens le 27 février 2023, par Hisham K. K. Abu Shaqra - Anadolu Agency]
En laissant Israël passer à la vitesse supérieure en matière de colonisation de peuplement et d’apartheid, les États-Unis ouvrent la voie à une violence horrible contre les Palestiniens.
En faisant cela, Washington pourrait également accélérer la fin de l’impunité totale qui permet à Israël de "décimer" épisodiquement les Palestiniens qui contestent sa domination coloniale.
Les événements de ces derniers jours vont rendre plus difficile pour Washington et ses alliés de traiter la situation d’extrême injustice en Palestine comme quelque chose de gérable indéfiniment.
Cette approche de la gestion du conflit - selon laquelle les Palestiniens colonisés sont considérés comme des partenaires à part égale de leur oppresseur tout en étant tenus de faire le sale boulot de l’occupant - a prévalu pendant le quart de siècle qui a suivi la signature des accords d’Oslo par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine, au milieu des années 1990.
C’est au cours de cette période, bien sûr, qu’Israël s’est emparé des sommets des collines de Cisjordanie et a accéléré la construction de ses colonies de peuplement en violation du droit international, fragmentant encore davantage la terre et la société palestiniennes.
Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a illustré cette approche lors de la conférence de presse qui a suivi le raid sanglant mené par Israël dans la journée de mercredi, à Naplouse, en Cisjordanie.
Onze Palestiniens, dont un enfant et trois hommes de plus de 60 ans, ont été tués et des dizaines d’autres blessés par des tirs à balles réelles lors de ce raid, qui a débuté lorsque les forces israéliennes, déguisées en civils palestiniens, ont ouvert le feu sur un marché aux légumes très fréquenté.
M. Price a déclaré : "Nous sommes profondément préoccupés par le fait que l’impact du raid d’aujourd’hui pourrait faire reculer les efforts visant à rétablir le calme, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens", sous-entendu, que ce n’est pas le raid violent lui-même qui a repoussé le retour au calme.
Price a souligné "le besoin urgent pour les deux parties de travailler ensemble pour améliorer la situation sécuritaire en Cisjordanie", suggérant de manière absurde que les Palestiniens sont responsables du maintien de la sécurité du régime israélien de colonisation, d’apartheid et d’occupation militaire.
The US position is literally that the occupier and the occupied should work together to stabilize the occupation. That’s like telling Black America in the 1950s to work with the KKK cops to stabilize Jim Crow https://t.co/IP135TBMTn
— Tony Karon (@TonyKaron) February 23, 2023
Au cours de la même conférence de presse, les journalistes ont demandé à M. Price si les préoccupations affichées par le département d’État seraient suivies de conséquences matérielles afin de sanctionner Israël pour ses actions.
Il a évoqué "l’arrangement auquel Israéliens et Palestiniens" sont parvenus au cours du week-end précédent, durant lequel l’Autorité palestinienne a subi des pressions de la part de Washington pour qu’elle renonce à faire adopter une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui condamnait l’annonce par Israël de l’officialisation des avant-postes de colonies et de la construction de nouvelles unités de peuplement.
En d’autres termes, les États-Unis ont fait pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle abandonne ses efforts visant à contraindre Israël à respecter le droit international à l’ONU car, comme l’a déclaré Vedant Patel, adjoint de Price, aux journalistes il y a deux semaines, l’administration Biden considérait cette intervention comme "inutile."
A la question de savoir si le bain de sang de mercredi à Naplouse signifiait que les efforts des États-Unis étaient un échec, Price a répondu en insistant sur le fait que Washington jouait un "rôle constructif et utile."
"Les États-Unis sont un partenaire. Nous sommes un partenaire d’Israël ; nous sommes un partenaire des Palestiniens", a ajouté M. Price. "Nous sommes, en notre qualité de partenaire, en train de coordonner entre et parmi eux."
Les objectifs de Washington à Aqaba
En cette "qualité", les États-Unis ont fait pression sur les responsables de la sécurité de l’Autorité palestinienne et d’Israël pour qu’ils se rencontrent à Aqaba, dimanche, à l’invitation du roi Abdallah de Jordanie et avec la participation de responsables égyptiens.
Un communiqué conjoint affirme que les Israéliens et les Palestiniens se sont engagés à "la désescalade de la situation sur le terrain et à prévenir toute nouvelle violence."
Selon le communiqué, Israël s’est engagé "à cesser toute discussion sur de nouvelles unités de peuplement pendant quatre mois et à cesser d’autoriser tout avant-poste pendant six mois."
Mais le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rapidement refroidi toute velléité d’arrêt du vol et de la colonisation des terres palestiniennes par Israël.
"Il n’y a pas et il n’y aura pas de gel" a déclaré Netanyahu quelques heures après la publication du communiqué d’Aqaba.
La violence s’est fortement intensifiée avant même que l’encre ne puisse sécher.
Dimanche, certainement en représailles au raid meurtrier de mercredi, deux colons israéliens ont été tués dans ce qui semble être une fusillade palestinienne à Huwwara, un village situé près de Naplouse qui est fréquemment le théâtre de violences liées à l’occupation.
Les colons se sont alors déchaînés, brûlant et vandalisant des maisons et des véhicules palestiniens et attaquant le bétail.
Un Palestinien de 37 ans, Sameh Aqtash, a été abattu par les colons ou l’armée, et des dizaines d’autres ont été blessés.
Voilà pour ce qui est des efforts de "désescalade" de Washington.
The Zionist pogrom taking place in Huwara is a consequence of the Israeli government’s Jewish supremacist political platform. This is what happens when instead of getting a call from the International Criminal Court you enjoy support from @USAmbIsrael & @EUinIsrael pic.twitter.com/2GjPDapBwb
— Sami Abou Shahadeh (@ShahadehAbou) February 26, 2023
Il ne fait aucun doute que le principal objectif du sommet d’Aqaba était de renforcer et de restaurer le rôle de l’Autorité palestinienne en tant qu’exécutant naturel d’Israël, avec la couverture politique et, potentiellement, la formation sécuritaire de l’Égypte et de la Jordanie.
Selon le communiqué, Israël et les Palestiniens "ont affirmé leur engagement à respecter tous les accords antérieurs conclus entre eux et à œuvrer pour une paix juste et durable."
Cela ne peut que faire référence aux accords d’Oslo, qui obligent l’AP à collaborer avec Israël contre la résistance palestinienne à l’occupation.
Alors que les discours sur la paix et la justice ne sont que des paroles en l’air, Washington et ses clients locaux feront pression sur l’AP pour qu’elle réponde à son obligation de protéger Israël et ses colons déchaînés du peuple palestinien.
"Partenariat" américain
Voici à quoi ressemble réellement le "partenariat" américain dans la pratique.
Washington fournit un minimum de 3,8 milliards de dollars d’aide militaire à Israël chaque année, tout en donnant une somme relativement dérisoire à l’Autorité palestinienne, à condition qu’elle serve de bras armé à l’occupation israélienne.
Pendant ce temps, les États-Unis servent d’avocat à Israël devant les instances internationales, sapant les efforts palestiniens à faire établir sa responsabilité juridique. (Au cours de cette même conférence de presse mercredi dernier, le collègue de Price a réaffirmé l’opposition de Washington à l’enquête sur la Palestine de la Cour pénale internationale.)
Et que s’est-il passé après que Washington, indéfectible partenaire « constructif » ait contrecarré le vote du Conseil de sécurité sur les colonies israéliennes ?
Israël a approuvé des plans pour 7 000 nouvelles unités de colonisation - "le plus grand nombre jamais autorisé en une seule séance [du Haut Comité de Planification de l’Administration Civile]", selon The Times of Israel – dont des centaines de maisons sur des avant-postes qui ne sont pas encore officiellement légalisés par le gouvernement et qui sont construits sur des terres palestiniennes.
Tel Aviv s’apprête également à construire des milliers d’unités de logement dans la zone E1 de Jérusalem, ce qui aurait pour effet de couper la Cisjordanie en deux et, selon Peace Now, de porter "un coup fatal à un futur État palestinien."
This is a very big deal ! Consecutive US administrations - Democratic and Republican - have blocked E-1 construction. What will Biden do ? https://t.co/MnWk9NaFMZ
— Ori Nir | اوري نير | אוֹרי ניר (@OriNir_APN) February 23, 2023
Bezalel Smotrich, ministre des Finances israélien d’extrême droite, qui vit dans l’une des colonies destinées à recevoir des constructions supplémentaires, semble assuré que Washington ne s’y opposera pas.
"Il est permis d’avoir des désaccords entre amis, mais, finalement, nous faisons ce qui est bon pour nous, et ils le comprennent" a déclaré Smotrich, comme le rapporte le quotidien Haaretz de Tel Aviv.
La semaine dernière, Smotrich a été couronné gouverneur de Cisjordanie, une décision qui, selon les experts juridiques, constitue une annexion de jure du territoire occupé.
Un accord signé par le ministre israélien de la Défense, transfère les pouvoirs gouvernementaux en Cisjordanie à Smotrich, étendant ainsi la souveraineté israélienne au-delà de la ligne verte.
Michael Sfard, avocat israélien spécialiste des droits de l’Homme, a déclaré que "le transfert de pouvoirs à des civils israéliens est un acte d’annexion de jure car il implique de retirer le pouvoir aux militaires occupants pour le placer directement entre les mains du gouvernement."
Il a ajouté que l’accord "est simultanément un pas de géant vers l’annexion légale de la Cisjordanie et un acte de perpétuation de la nature d’apartheid du régime."
La construction de colonies et l’annexion officielle de territoires occupés sont des violations flagrantes du droit international.
Et pourtant, interrogé à ce sujet jeudi dernier, la seule réponse que le porte-parole du département d’État ait fournie fut le refrain éculé selon lequel il était crucial qu’Israël et l’Autorité palestinienne "s’abstiennent de toute mesure unilatérale susceptible d’exacerber les tensions ou de saper les efforts visant à faire progresser les perspectives d’une solution négociée à deux États."
En réalité, cela signifie qu’il faut éviter les mesures qui remettent en cause le maintien du régime israélien de domination coloniale sous le couvert d’un processus de paix inexistant.
Le communiqué conjoint publié dimanche a salué "l’importance de la réunion d’Aqaba, la première de ce genre depuis des années."
Il annonce la tenue d’une autre réunion en mars, cette fois-ci sous l’égide de l’Égypte, dans la station balnéaire de Sharm al-Sheikh sur la mer Rouge, dans le but de "maintenir une dynamique positive et d’étendre cet accord vers un processus politique plus large menant à une paix juste et durable."
Il s’agit d’un retour à une flopée de sommets, plans de paix et feuilles de route qui a caractérisé l’apogée de l’ère Oslo : un processus sans fin et un travail stérile qui se substituent à tout effort réel de tenir Israël pour responsable et mettre fin à son asservissement des Palestiniens.
Il s’agit d’un effort pour redonner les rênes à Washington.
Mais les événements sur le terrain montrent qu’un conflit colonial a sa propre logique brutale. La fureur et la résistance du peuple palestinien ne peuvent plus être contrôlées ou contenues, ni par la brutalité d’Israël ni par les mascarades diplomatiques et hypocrites de Washington.
L’impunité menacée par "la réforme législative"
Ironiquement, en refusant d’exercer la moindre pression sur Israël, les États-Unis pourraient contribuer à faire éclater la bulle d’impunité qu’ils ont contribué pendant si longtemps à maintenir.
Procureur général adjoint d’Israël, Gilad Noam, a averti les députés au début du mois que les efforts du gouvernement pour éroder l’indépendance et le champ de compétences du système judiciaire, sapent sa meilleure défense contre le contrôle de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice.
Si ces changements sont mis en œuvre, ils altéreront "la perception du système judiciaire comme étant professionnel, indépendant et apolitique" a déclaré Noam.
"Cela pourrait affecter la capacité d’Israël à faire face aux défis du système juridique international", a ajouté Noam, précisant que "tout ne peut être élaboré dans un tel débat public."
Une discussion confidentielle sur les implications internationales de la "réforme" législative aurait eu lieu à huis clos la semaine dernière.
3// Following the Feb 12 open hearing, the Committee today (Feb 21) is to be convened in a *confidential* discussion on the "international implications" of the proposed legislation.
— Hagai El-Ad חגי אלעד حجاي إلعاد (@HagaiElAd) February 21, 2023
Les réservistes israéliens, y compris ceux de l’armée de l’air, menacent de refuser "d’obéir aux convocations ou à certaines directives" alors que le public israélien proteste contre ce que beaucoup appellent un "coup d’État judiciaire", a-t-on dit aux députés, comme le rapporte le quotidien Haaretz de Tel Aviv.
"Les pilotes et navigateurs de réserve disent que les membres d’équipage cherchent de plus en plus à repousser le moment de se présenter aux journées d’entraînement dans leurs escadrons" selon le journal.
Parmi les groupes WhatsApp des escadrons de l’armée de l’air "les appels au refus de servir se répandent comme une traînée de poudre."
Les réservistes craignent "que les nouvelles lois ne rendent les pilotes de réserve plus vulnérables à des actions en justice à l’étranger" ajoute Haaretz.
Lors de cette réunion à huis-clos, les conseillers juridiques du ministère israélien de la défense ont déclaré aux députés que, "si le système judiciaire est affaibli... la prétention de l’État à disposer de mécanismes d’enquête et juridiques solides, qui rendent inutile toute intervention extérieure, sera également affaiblie."
Les pilotes de l’armée de l’air israélienne pourraient donc "être les premiers dans le viseur du tribunal de La Haye" comme l’a précisé Haaretz.
Si la justice internationale n’était pas un jeu de dupes, les politiciens américains, dont les empreintes se trouvent partout sur les scènes des crimes israéliens, serait sans doute les prochains à comparaître.
Traduction : AFPS