Alors que les tractations ont commencé en Israël pour la constitution du prochain gouvernement, la publication des résultats définitifs a mis en évidence l’une des surprises des élections législatives israéliennes : l’augmentation de la participation électorale des Arabes israéliens. Certes, la progression est faible, puisque 56% d’entre eux (ils sont 1,64 million en Israël et représentent 20,6% de la population) ont participé au scrutin du 22 janvier, contre 53,4% en 2009, mais elle infirme les prévisions qui annonçaient un taux de participation inférieur à 50%.
Le désintérêt des "citoyens palestiniens d’Israël" (selon la définition qu’ils préfèrent) pour le système parlementaire israélien s’était jusque-là régulièrement amplifié depuis vingt ans, la participation se situant à 77% en 1996, puis à 62% en 2003. Les appels concertés des trois partis arabes en faveur de la mobilisation électorale expliquent sans doute ce léger rebond.
"Un homme, une voix"
Ahmed Tibi, député du Mouvement arabe pour le renouveau, l’une des principales figures arabes de la Knesset, le Parlement israélien, a parcouru longuement la Galilée avec un message simple : "Si vous ne votez pas, vous donnez une voix de plus à Benyamin Nétanyahou [le premier ministre] et Avigdor Lieberman [le chef de la formation ultranationaliste Israel Beitenou ("Israël, notre maison")]. En Afrique du Sud, les gens se sont battus pour obtenir le principe d’"un homme, une voix". Vous avez ce droit en Israël, utilisez-le !"
M. Tibi n’est cependant pas satisfait du taux de participation. "S’il avait été supérieur de 10%, assure-t-il, nous aurions pu mettre fin à la domination de Nétanyahou et Lieberman ; c’est une occasion manquée." Selon Amnon Beeri-Sulitzeanu, codirecteur d’Abraham Fund Initiatives (une ONG israélienne qui promeut la coexistence entre juifs et Arabes israéliens), cité par le Jerusalem Post, il s’agit cependant d’un "signal montrant que la communauté arabe veut être engagée dans le système politique".
Apathie
Peut-être est-ce aller un peu vite en besogne : avec 4 sièges pour la formation de M. Tibi, 4 sièges pour Hadash (formation socialiste juive et arabe) et 3 sièges pour Balad, on obtient un total de 11 sièges, un score identique à 2009. Ahmed Tibi estime que le peu d’engouement des Arabes israéliens à participer aux élections législatives "est un mélange de frustration et d’apathie". Il assure que 8 % seulement d’entre eux refusent de voter pour des raisons politiques et reconnaît que l’incapacité traditionnelle des partis arabes à s’unir pour présenter une liste commune explique en partie cette indifférence.
D’autres facteurs entrent en jeu : outre qu’aucun gouvernement israélien ne s’est jamais ouvert à un parti arabe, la capacité de leurs élus à peser sur l’agenda parlementaire est très limitée. A part Ahmed Tibi, la seule autre "voix" arabe à la Knesset est celle de la pasionaria de Balad, Hanin Zoabi, dont certains caciques du Likoud, le parti de M. Nétanyahou, prônent régulièrement l’interdiction parlementaire.
M. Tibi s’agace lorsqu’on lui fait remarquer que beaucoup d’Arabes israéliens ont le sentiment que leurs élus au Parlement s’intéressent davantage au processus de paix israélo-palestinien qu’à leurs problèmes concrets : "C’est un stéréotype ! 80% de mon activité à la Knesset est consacrée aux questions économiques et sociales et à la vie quotidienne des gens !"
FAILLITE DU "MODÈLE DE 1948"
Il assure qu’il a réussi à faire adopter "cinq motions" par la Knesset et se déclare convaincu qu’"on peut obtenir des résultats en étant dans l’opposition". Le militantisme parlementaire d’Ahmed Tibi est loin de faire l’unanimité. La plupart des Arabes israéliens dénoncent la multiplication des législations qui leur sont hostiles et dressent la liste des discriminations dont ils pâtissent, lesquelles s’ajoutent à la pauvreté structurelle de leur communauté (53,2% des familles arabes israéliennes vivent sous le seuil de pauvreté).
Dans l’ensemble, et même si 21% d’entre eux ont voté lors de ce scrutin pour des partis israéliens non arabes, les "Palestiniens d’Israël" éprouvent un sentiment croissant de marginalisation et de découragement et ne font pas confiance au gouvernement. Certains experts israéliens s’inquiètent de ce phénomène, qu’ils analysent comme la faillite du "modèle de 1948" sur lequel a été fondé, selon eux, l’Etat israélien.