L’atout de la sincérité
Elle y aura fait entendre, pendant plus de vingt ans, de Paris à Bruxelles, une voix singulière. Au sens littéral du terme : petite voix forte, incisive, faisant chaleureusement rouler les "r" dans ses interventions en français et/ou anglais, parfaits tous les deux. Au sens politique du terme, surtout : Leïla Shahid, ou l’anti-langue de bois. « C’est pour moi la raison essentielle de la grande estime dont elle jouissait, témoigne Dominique Vidal, journaliste spécialiste de la question palestino-israélienne : elle a fait de sa sincérité son atout principal et cela lui a rapporté du crédit auprès de tous ceux qui suivaient de près la question palestinienne mais aussi de ceux qui en étaient plus éloignés. Chacun ayant le sentiment qu’elle disait exactement ce qu’elle pensait. »
Cette sincérité, Leïla Shahid, soixante-cinq ans, l’aura mise au service d’un engagement sans faille pour les droits du peuple palestinien. Installée dès 1989 comme représentante de l’OLP en Irlande, Yasser Arafat la nomme en 1994 déléguée générale en France de l’Autorité nationale issue des accords d’Oslo. En 2005, elle part à Bruxelles. Vingt années durant lesquelles, ne craignant ni l’affrontement des débats, ni le feu des médias, elle va se révéler tout à la fois diplomate pugnace d’un État en construction et porte-parole charismatique d’un peuple sous occupation.
Un sens politique sûr
« Nous l’avons connue avec mon mari lorsqu’elle était en poste à Paris dans les années 90, se souvient Christiane Hessel, veuve de l’auteur d’Indignez-vous !. Son départ aujourd’hui est pour moi une perte immense. C’était une remarquable diplomate, très subtile, toujours nuancée sans jamais renoncer à une expression forte. » Très attachée à la bande de Gaza où elle s’est rendue à plusieurs reprises, Christiane Hessel se plaît à relever que Leïla Shahid « n’a jamais dit un mot de travers à propos du Hamas. »
De fait, en vingt-six ans de représentation officielle de l’OLP puis de Autorité nationale palestinienne puis de la Palestine, son sens politique a rarement été pris en défaut. Dominique Vidal a pu l’observer dans un autre domaine. « Après le déclenchement de la deuxième Intifada, à la suite d’une initiative des amis du Monde diplomatique, elle, Michel Warshawski et moi-même avons tourné en France pour parler du conflit, raconte-t-il. L’idée c’était un peu Taayoush (vivre ensemble) là-bas, Taayoush ici... On a imposé à ceux qui nous invitaient de passer systématiquement dans les banlieues pour permettre aux jeunes de ces quartiers de s’exprimer. Et Leïla a totalement adhéré à cet aspect des choses, elle avait bien conscience des enjeux en France, autour de cette jeunesse des quartiers, à une époque où on ne parlait pas encore d’islamophobie. »
Des projets pour la suite
Dans l’entretien qu’elle a accordé au quotidien belge Le Soir, Leïla Shahid parle d’une fin de cycle dans sa vie personnelle. Difficile d’ignorer, cependant, que son départ (qu’elle avait annoncé de longue date) coïncide avec la fin de la séquence Oslo. Le peuple israélien a donné mardi 17 mars la majorité des voix à Netanyahou qui, la veille de l’élection, assurait qu’il n’y aurait pas d’État palestinien s’il était réélu. Mahmoud Abbas semble usé et « on ne sait pas ce qui va arriver ensuite », résume Christiane Hessel.
Leïla Shahid, elle, a des projets pour la suite. Entre Beyrouth, sa ville natale, le Sud-est de la France où elle possède une demeure et le Maroc, pays de son mari l’écrivain Mohamed Berrada, elle entend désormais s’« investir dans des actions qui peuvent contribuer (...) à renforcer la résilience, la créativité, l’humanisme et la vitalité extraordinaire de la société civile palestinienne où qu’elle se trouve, en Palestine comme dans la diaspora », a-t-elle confié au Soir. Elle part avec « un sentiment de douleur et de colère » face au sort de son « peuple qui ne mérite pas d’être traité de cette manière par la communauté internationale ». Mais ne désarme pas et on devrait bientôt ré-entendre sa voix dans d’autres arènes.
En attendant, l’une de ces dernières interventions médiatiques au cours de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, l’été dernier :