Après les événements extraordinaires qui se sont produits en Tunisie puis en Egypte, qui ont vu chasser du pouvoir où ils s’accrochaient depuis des lustres les autocrates Zein Al Abedeen Bin Ali et Hosni Mubarak, des mouvements de protestation ont éclaté en Algérie, au Yémen, en Jordanie et même à Bahrein. En Palestine, les premières voix se font entendre, qui appellent surtout à mettre fin à la division politique entre le Hamas et le Fatah, mais il semble que le gouvernement de Cisjordanie ne veut prendre aucun risque.
Le 13 février, le Premier ministre, Salam Fayyad, a annoncé qu’il allait remettre la démission de son cabinet. Le Président Mahmoud Abbas a ensuite renommé Fayyad et lui a demandé de former un nouveau cabinet, ce qui devrait prendre deux semaines. Selon des responsables de l’ANP, le remaniement va entraîner des “changements majeurs”.
Quelques jours plus tôt, le 10 février, le négociateur en chef palestinien Saeb Erekat a surpris les Palestiniens en démissionnant, disant qu’il se sentait personnellement responsable des « Palestine Papers », car les fuites sont venues vraisemblablement de son propre bureau.
La vitesse effarante à laquelle les événements bougent dans le monde arabe a pris tout le monde de court, y compris l’Autorité palestinienne. Après des semaines d’appréhension et d’incertitude qui ont d’abord amené à interdire les manifestations palestiniennes de soutien aux soulèvements tunisien et égyptien, il semble que la direction a décidé de mettre la charrue avant les boeufs, en quelque sorte. Opérer des changements maintenant plutôt que d’être confrontée à des foules en colère qui appellent à des réformes.
Il est certes trop tôt pour dire avec certitude si ce mouvement nous englobera, mais ça vaut la peine de se demander si ce changement est positif en tout cas.
A première vue il semble que le président Abbas prend des mesures similaires à celles de Moubarak, le président égyptien déchu, après la première semaine de la révolution populaire. Encore toutes fraiches dans nos mémoires, les scènes où Moubarak présente à la nation ce qu’il prend pour des réformes susceptibles de calmer la fureur qui avait éclaté dans les rues de sa nation. Lui aussi défit son gouvernement, il nomma de nouveaux ministres et puis, dans un pari désespéré pour se maintenir au pouvoir, finit par déléguer un peu de pouvoir à son premier ministre. A la fin les réformes montrèrent leur vraie nature -des bandages cosmétiques qui tentaient de cautériser une profonde blessure sanglante.
Est-ce cela que fait la direction palestinienne maintenant ? Essaie-t-elle d’éviter une répétition de l’Egypte ? Pour être juste, il faut dire que les rumeurs de remaniement du cabinet courent depuis des mois. Et les élections, nous le savons tous, n’ont rien de nouveau. En soi elles ne sont jamais une mauvaise idée. Une démission non plus, quand la durée de péemption est dépassée. En ce sens c’était la seule solution honorable pour Erekat au vu du scandale des « Palestine Papers ». Et, alors qu’il continue à affirmer que la plupart des documents qui ont filtré ont été trafiqués, on peut espérer que sa démission mettra fin à ce fiasco.
Pour un remaniement imminent du cabinet et la tenue d’élections locales et nationales dans les mois qui viennent, les perspectives sont pleines de problèmes. D’une part, le Hamas, le rival du Fatah dans la bande de Gaza, a rejeté la proposition de participer à une telle élection tant que la réconciliation nationale n’est pas achevée. Cela serait une condition raisonnable si le Hamas était prêt à des compromis sur les termes de cette réconciliation. Mais l’histoire témoigne de bien des tentatives avortées de recoller les morceaux. Il semble aujourd’hui que le Hamas ne cherche pas tant à se réconcilier avec le Fatah qu’à trouver des moyens pour s’accrocher à son « royaume » de Gaza, quel qu’en soit le prix. Il reste malheureusement que, sans Gaza, aucune élection ne sera complète, ce qui signifie bien sûr que nous revenons à la case départ.
Que la décision soudaine de remanier le cabinet et d’appeler à des élections soit le résultat direct de la vague de fond révolutionnaire qui a emporté le monde arabe reste à déterminer. Quoi qu’il en soit, il est temps que la direction fasse le bilan de ce qu’elle a fait et n’a pas fait. L’Egypte nous a appris que le peuple est le test décisif pour juger de la performance d’un gouvernement et c’est peut-être pourquoi la direction est soudain si désireuse d’apporter des changements.
Dans le cas de la Palestine, le problème est double. Non seulement nous sommes toujours sous occupation militaire israélienne, qui continue à nous tenir dans sa poigne de fer, mais les gens sont de plus en plus mécontents de leurs dirigeants, ceux qui sont enfermés à Gaza comme ceux d’ ici à Ramallah. Si le Président Abbas, Salam Fayyad et le cabinet veulent rester légitimes aux yeux du peuple, l’ANP doit changer dans la forme et en substance à la fois.
Les « Palestine Papers » sont une preuve supplémentaire de ce que beaucoup d’entre nous savaient déjà – que près de vingt ans de négociations avec Israël ont été un échec. En tout cas, la direction devrait comprendre qu’il est temps de changer de cap.
On peut tirer de nombreuses leçons des révoltes tunisienne et égyptienne, dont la plus importante est que la direction devrait écouter le peuple, réfléchir et respecter ses besoins et ses aspirations et ne jamais, jamais essayer de le tromper.
Le but commun des directions en Cisjordanie et à Gaza doit toujours être la fin de l’occupation israélienne. Parfois nous laissons filer cet objectif. Si nos dirigeants sont capables de tirer des leçons du passé, s’ils peuvent entendre les voix du changement dont le cri traverse notre monde arabe et reprendre ça à leur compte, alors ils auront non seulement évité pour beaucoup ce à quoi les régimes traditionnels arabes sont confrontés, mais ils seront aussi beaucoup plus forts pour se battre pour l’objectif ultime qui est une Palestine libre et indépendante.