Photo : Des familles palestiniennes retournent dans des bâtiments lourdement endommagés après des bombardements du camp de Nuseirat, 29 octobre 2023 © UNRWA/Ashraf Amra
« Nous avons entendu de nombreuses histoires de femmes arrivant à l’hôpital mortes ou mourantes, et de nombreuses autres subissant des césariennes post-mortem », explique Tanya Haj-Hassan, pédiatre à Médecins sans frontières, à The New Arab [TNA].
« Dans tous les cas que je connais personnellement, le bébé est mort. »
Le médecin de MSF, qui a travaillé à Gaza en tant que formateur médical pendant plus de 10 ans, a déclaré que les fœtus dans l’utérus sont « condamnés à mort » en raison du stress de la mère lors d’un accouchement prématuré, de la famine et de la déshydratation, et de l’exposition directe au conflit armé.
« Je suis allée à l’hôpital parce que j’étais très malade. Je suis allée voir le médecin qui m’a examinée. Le médecin m’a dit que le fœtus n’avait pas de pouls. Il n’y avait plus d’espoir », a déclaré une femme enceinte de quatre mois à Gaza, qui a perdu son enfant à naître après avoir été terrifiée par le bombardement de sa maison et s’être précipitée à l’hôpital.
« De nombreuses femmes enceintes accouchent en dehors de l’hôpital parce qu’elles ne peuvent pas s’y rendre. L’incidence des accouchements prématurés et des avortements est très élevée, et il y a de nombreux cas de septicémie et de décès néonataux », a déclaré le directeur d’un hôpital de Gaza dans un message adressé à TNA.
Les organisations de santé ont signalé une augmentation de 300 % des fausses couches chez les femmes de Gaza depuis le début de la campagne de bombardement israélienne sur l’enclave assiégée, le 7 octobre.
Cette hausse vertigineuse s’explique par des problèmes tels que la malnutrition et le manque d’accès aux soins de santé et à l’hygiène en raison du blocus israélien sur les fournitures les plus essentielles.
Début novembre, les agences des Nations unies ont alerté sur le fait que les femmes n’étaient pas en mesure d’accoucher en sécurité et que les décès maternels allaient augmenter en raison du manque d’accès à des soins adéquats. Les mêmes agences ont également signalé que le bilan psychologique des combats avait un impact direct sur la santé génésique, avec notamment une augmentation des fausses couches dues au stress, des mortinaissances [enfants nés sans vie après 6 mois de grossesse] et des naissances prématurées.
Plus de quatre mois après le début de l’assaut israélien, la situation n’a fait qu’empirer alors que le système de santé de Gaza s’effondre complètement.
« Les hôpitaux sont assiégés, bombardés, privés de carburant, d’eau et d’électricité. C’est un anéantissement systématique de tout le système de santé », explique Haj-Hassan, un médecin, avec consternation.
Lors de sa récente mission à l’hôpital des Emirats Arabes Unis, le personnel de l’UNFPA a constaté « le peu de soins de santé maternelle » actuellement disponibles pour les futures mères à Gaza … et que les femmes se remettant d’une césarienne sont renvoyées dans la journée en raison d’un manque de moyens, et de ressources très limitées.
L’établissement, qui ne dispose que d’une salle d’opération et qui est conçu pour accueillir 30 à 40 femmes enceintes par jour, traite actuellement 300 à 400 cas par jour.
Gaza : « Mis au monde en enfer »
De retour d’une récente visite dans la bande de Gaza, Tess Ingram, porte-parole de l’UNICEF, a décrit des « mères qui se vident de leur sang », tandis que des bébés sont « mis au monde en enfer ». Elle a également parlé d’une infirmière qui avait pratiqué « des césariennes d’urgence sur six femmes décédées ».
« Il n’y a pas de soins prénataux pour les femmes enceintes. Il n’y a pas de lits, beaucoup de femmes ont accouché sur des matelas dans les couloirs, à même le sol. Notre hôpital est petit. L’autre jour, nous avons fait 23 césariennes et plus de 60 accouchements », a déclaré Haj-Hassan, tout en lisant des messages reçus du chef du service d’obstétrique d’un hôpital de Rafah.
Le médecin pédiatre a évoqué le cas d’une de ses connaissances à Gaza dont la femme enceinte doit subir une césarienne, et qui panique parce qu’il ne sait pas où elle pourra être opérée, tous les hôpitaux étant submergés de blessés.
Si elles ont la chance de parvenir à un centre médical, les femmes enceintes sont souvent refusées parce que les salles d’accouchement sont déjà pleines, alors que leur vie est en danger.
Lorsqu’elles sont admises, elles sont généralement renvoyées quelques heures après l’accouchement, car les centres de soins sont constamment saturés.
Ammal Awadallah, directeur exécutif de l’Association palestinienne pour la planification et la protection de la famille (PFPPA), a parlé de l’anxiété et de la détresse que ses agents de santé à Gaza ont souvent observées chez les femmes enceintes.
« Elles craignent ce qui se passera lorsqu’elles seront prêtes à accoucher. Seront-elles en mesure d’atteindre un centre de soins ou non ? » explique Ammal à TNA.
« Y aura-t-il quelqu’un pour les aider ? Les fournitures médicales nécessaires seront-elles disponibles ou accessibles ? »
Mme Awadallah s’inquiète vivement de l’état physique et mental des mères. « Voir leurs maisons bombardées, pleurer leurs proches tués dans les attaques, vivre dans la peur constante de ne pas connaître le sort de leur famille est bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer », a-t-elle poursuivi.
« À la minute où ces bébés sortent du ventre de leur mère, leur vie est gravement menacée et ils risquent de ne pas voir le jour suivant », a déclaré Ricardo Pires, responsable de la communication à l’UNICEF, à TNA.
Faisant part de quelques faits bouleversants recueillis par l’UNICEF sur le terrain, il a parlé d’une femme au huitième mois de grossesse, Eman, qui a dû fuir une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza et qui a été hospitalisée 46 jours plus tard pour une infection grave. Elle est maintenant « trop faible pour tenir son nouveau-né » et on ne sait pas si elle se remettra de l’infection.
Une autre femme enceinte, Mashael, qui a vu sa maison dans la ville de Gaza frappée par les bombardements israéliens et son mari rester sous les décombres pendant des jours, « a cessé de sentir son bébé à l’intérieur d’elle ».
Au bout d’un mois, elle a déclaré être sûre que son bébé était mort, bien qu’elle attende toujours des soins médicaux.
« Ces enfants sont littéralement nés en enfer », a déclaré M. Pires d’un ton très inquiet. « Chaque jour, ils tentent de survivre sans eau potable, sans médicaments, sans nourriture, sans sécurité aucune. »
On estime à 52 000 le nombre de femmes enceintes à Gaza, dont 183 accouchent chaque jour, 15 % d’entre elles devant faire face à des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement et nécessitant des soins supplémentaires.
Un trop grand nombre d’entre elles sont contraintes d’accoucher dans des endroits dangereux, tels que des salles de classe et des abris surpeuplés et insalubres, des voitures ou dans les rues au milieu des décombres, sans assistance médicale et sous la menace constante des bombardements israéliens.
« Je m’abritais avec de nombreuses personnes déplacées autour de moi. J’étais allongée sur le sol, un drap de lit me séparant des autres », a raconté Aya Deeb, dans une école de l’ONU à Jabalya, qui a donné naissance à un enfant sur le sol d’une clinique deux mois après avoir perdu son mari lors d’une frappe aérienne israélienne.
Seba Fayez Abu Selmi, une mère enceinte sur le point d’accoucher, qui vit dans une école à Khan Younis, a fait part de ses inquiétudes. « Honnêtement, je ne sais pas comment je vais accoucher. Je suis sur le point d’accoucher, mais il n’y a rien pour ce nouveau-né. Mon fils à naître pourrait mourir… il mourra sûrement. »
Une question de vie ou de mort
Les mères sont confrontées à d’incroyables difficultés pour obtenir des soins médicaux adéquats avant, pendant et après l’accouchement. Les bombardements israéliens incessants ont rendu l’accès aux médecins et aux services de santé presque impossible pour la majorité d’entre elles.
En raison du manque de fournitures dû au blocus israélien, de nombreux accouchements et césariennes sont pratiqués sans outils médicaux de base, sans anesthésie et sans aucun soin postnatal, ce qui les expose à un risque élevé d’infections et de décès, et conduit souvent à la mort des nouveaux-nés et à d’autres conséquences mortelles en matière de santé sexuelle et génésique.
« Les femmes en période postnatale sont souvent dangereusement exposées aux infections car elles n’ont d’autre choix que de rester dans des abris surpeuplés, sans soins postnatals, sans fournitures médicales ni prestataires de soins », a expliqué Mme Awadallah. Elle ajoute que l’on s’attend à une augmentation des infections de l’appareil génital et urinaire en raison du manque d’eau et des mauvaises conditions d’hygiène.
Le manque d’accès à l’eau et à la nourriture est à l’origine d’un mauvais état de santé des femmes enceintes et d’une mauvaise santé du fœtus et du nouveau-né, car beaucoup de ces mères ne peuvent plus allaiter leur bébé, ce qui augmente les risques de perte de poids, de maladie et de décès dus à la malnutrition.
Selon l’UNICEF, « les conditions de nutrition de plus de 155 000 femmes enceintes et allaitantes, ainsi que de plus de 135 000 enfants de moins de deux ans » sont particulièrement préoccupantes.
Des médecins de Gaza ont rapporté que plusieurs nouveau-nés dont les mères étaient sous-alimentées n’avaient pas survécu plus de quelques jours.
Ces derniers jours, le ministère de la santé de Gaza a signalé une « augmentation significative » du taux de fausses couches et de naissances prématurées depuis le début de l’agression israélienne.
Les futures mères et les enfants déplacés dans les abris sont confrontés à des problèmes tels que la soif, la malnutrition, l’insuffisance des soins de santé, la déshydratation, les maladies respiratoires et cutanées, les rhumes graves et l’absence de vaccinations.
En raison des bombardements israéliens constants, seuls 14 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnent partiellement, selon le ministère de la santé.
Les soins de santé reproductive et maternelle, qui étaient déjà difficiles d’accès à Gaza avant l’escalade de violence actuelle, se sont détériorés, laissant les futures mères avec un choix très limité d’établissements de santé où accoucher, et pratiquement nulle part où obtenir des soins prénatals et postnatals.
Traduction : Chronique de Palestine