Ramallah, le 14 octobre 2020—« J’étais terrifié à l’école », a dit Amir H., âgé de 15 ans à Defense for Children International - Palestine. « Chaque fois que je voyais des soldats, en étant en route pour l’école, j’étais terrifié et j’essayais de m’éloigner d’eux le plus possible parce que j’ai été bloqué auparavant, plus d’une fois ».
Retourner à l’école en septembre signifie, pour les élèves palestiniens qui habitent près de colonies israéliennes illégales, que les trajets vers l’école et les journées de classe vont être une fois encore gâchées par la violence entre les mains des soldats et des colons israéliens.
Amir, actuellement en classe de 9ème à l’Ecole Secondaire pour Garçons de Tuqu, située à l’Est de la ville de Bethléem au Sud de la Cisjordanie occupée, a été l’objet de nombreuses tentatives d’arrestations par l’armée israélienne en allant ou en revenant de l’école.
« J’étais terrifié au plus haut point, je me suis mis à crier et j’avais l’impression que les soldats israéliens voulaient m’attraper et me frapper », a témoigné Amir à propos d’un incident antérieur. « Ils m’effrayaient beaucoup. » Ses professeurs, le principal de l’école, et d’autres étaient intervenus pour le protéger.
L’histoire de Amir n’est pas unique. En poste dans toute la Cisjordanie occupée, les soldats israéliens, la police, et les personnels de sociétés privées de sécurité protègent les populations de colons. A la différence des autres civils israéliens, beaucoup de colons israéliens sont armés. Ceci crée un environnement hyper-militarisé, ce qui a pour conséquence l’imposition à l’encontre des enfants palestiniens d’une violence physique et psychologique disproportionnée.
Les élèves vivant sous occupation militaire israélienne en Cisjordanie occupée sont couramment confrontés aux arrestations, à la détention, aux violences et au harcèlement entre les mains des soldats israéliens et des colons. Des obstacles supplémentaires tels que les points de contrôle, les routes utilisées par les forces et les colons israéliens, et les autres infrastructures militaires dans ou près des villages palestiniens représentent des obstacles supplémentaires à la jouissance de leur droit à un environnement d’apprentissage sûr conformément à la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant (CDE), qui a été ratifiée par Israël en 1991.
Pendant l’année scolaire 2019–2020, qui a été écourtée en raison des restrictions dues au confinement contre la COVID-19, DCIP a été informée de 134 incidents violents perpétrés par les forces israéliennes entre le 20 août 2019 et le 6 mars 2020, affectant au moins 9.042 élèves et enseignants.
L’école de Amir se situe à proximité immédiate des colonies illégales voisines, peuplées uniquement de juifs, de Teqoa, de Noqedim, et de Ma’ale Amos, qui encerclent Tuqu au nord, au sud et à l’est, dans le sud de la Cisjordanie occupée. Une route principale régionale, utilisée par les forces israéliennes et les colons, coupe à travers Tuqu et le village voisin de Khirbet Ad-Deir.
A l’Ecole Secondaire de Garçons de Tuqu, DCIP a été informée de 15 incidents impliquant les forces israéliennes, dont cinq incidents entre le 4 février et le 4 mars 2020. Lors de ces incidents, les soldats israéliens ont tiré de nombreuses grenades lacrymogènes sur les élèves à l’extérieur de l’école le matin. Beaucoup d’élèves ont fait état de difficultés respiratoires à la suite du gaz lacrymogène et, dans un cas, au moins trois élèves ont perdu connaissance, selon les renseignements rassemblés par DCIP.
Auparavant, le 31 janvier 2019, trois soldats israéliens dans un véhicule militaire près de la route de passage ont tiré des grenades assourdissantes et des grenades de gaz lacrymogène sur des élèves de Tuqu qui sortaient de leurs classes et les ont poursuivis, selon les renseignements rassemblés par DCIP. Un soldat israélien a tiré quatre balles réelles, en atteignant deux enfants. Mohammad A., 17 ans, a été blessé par balle à l’abdomen, et Mazen S., âgé de 16 ans, a été blessé par balle à la cuisse. Leurs camarades de classe ont été laissés dans un état de peur et de panique.
Malgré le trajet dangereux vers l’école, Amir a déclaré à DCIP qu’il se sent en sécurité une fois qu’il est à l’intérieur. « Je suis excité et je me lance un défi pour la nouvelle année scolaire », a dit Amir.
Un autre élève, Baha A., âgé de 16 ans, élève de la classe de 11ème à l’Ecole Secondaire de Garçons de Tuqu, a exprimé la même sensation d’être en sécurité une fois qu’il est arrivé à l’école, bien que le chemin qu’il doit faire implique fréquemment une confrontation avec les soldats.
« A chaque fois que je vois des soldats israéliens, la première chose qui me vient à l’esprit c’est quelque chose de mauvais est sur le point de se produire. Soit ils nous fouillent, soit il nous arrêtent », a déclaré Baha à DCIP. « Je ne me sens pas en sécurité quand je suis en route vers l’école. Mais, je me sens en sécurité quand j’arrive à l’école. Je me sens en sécurité dans la salle de classe parce que je suis entouré par beaucoup d’élèves et d’enseignants ».
Zain, 12 ans, élève en 7ème classe de l’Ecole Elémentaire de Garçons de Hébron, qui est située dans le secteur H2, sous contrôle israélien, de la ville de Hébron en Cisjordanie occupée, sent que la présence continuelle des soldats israéliens sur sa route pour aller ou pour revenir de l’école a affecté sa capacité de concentration en classe.
« Je pense à la manière de m’enfuir, et je me sens effrayé d’être victime du tir par derrière d’une balle enrobée de caoutchouc », a dit Zain à DCIP. « Je pense que je suis sur le point de perdre la vie. Je ne me sens pas bien et je me sens somnolent et incapable de me concentrer sur le professeur et sur la leçon ».
Interrogé sur la façon dont il se sent après avoir rencontré des soldats, Zain a dit, « je me sens comme si je m’étouffais, et j’ai le coeur qui se met à battre plus vite. Je me sens étourdi et je ne peux pas bouger quand je vois des soldats prés de moi ».
Abdullah R., 9 ans, de l’Ecole Ziad Jaber dans la ville de Hébron au Sud de la Cisjordanie, a dit, « j’aime l’école et je suis heureux d’avoir fait la rentrée ». Mais lui, aussi, a fait la remarque qu’il n’est pas capable de se concentrer après des épisodes de violence.
Alors qu’il allait à l’école en novembre 2019, les soldats israéliens ont utilisé deux chiens de l’armée pour poursuivre et et effrayer Abdullah, selon les renseignements rassemblés par DCIP. Les soldats israéliens ont fouillé son cartable et ont retenu Abdullah pendant une heure environ. Abdullah habite à proximité immédiate de la colonie peuplée uniquement de juifs de Kiryat Arba, si bien que les soldats israéliens sont constamment présents et déployés près de chez lui.
« Je ne prends plus le chemin sur lequel j’ai été agressé par l’armée israélienne », a déclaré Abdullah. « A chaque fois que je m’y trouve, je me souviens de ce qui m’est arrivé ».
Entre 1967 et 2017, plus de 200 colonies illégales israéliennes ont été construites en Cisjordanie, Jérusalem-Est comprise, selon B’Tselem. Ces colonies sont illégales selon le droit international et sont protégées par les soldats israéliens, par la police et par les sociétés de sécurité privées, en exposant les enfants palestiniens à de fréquentes violences.
Dans un tel environnement hyper-militarisé, une violence physique et psychologique fréquente et disproportionnée est infligée aux enfants palestiniens qui font état, entre autres violations, d’un harcèlement constant de la part des soldats et des colons israéliens, lorsqu’ils vont à l’école, et d’attaques contre les écoles.
Le Bureau des Nations Unies de Coordination des Affaires Humanitaires (UN OCHA) a rapporté 547 incidents d’attaques et d’intrusions contre les Palestiniens de la part des colons israéliens entre le 1er janvier et le 13 octobre 2020. Pendant cette période, les colons israéliens ont blessé 100 Palestiniens et vandalisé 5.650 oliviers et 166 véhicules palestiniens.
L’Ecole Elémentaire Mixte Al-Khansa et l’Ecole Elémentaire de Filles Al-Jarmaq à Tuqu ont été attaquées en mars 2019 par un groupe de 25 colons israéliens armés. L’administration scolaire et les enseignants ont déclaré à DCIP que les colons israéliens ont essayé de se faufiler dans les écoles mais ont été arrêtés par les enseignants et les parents, qui sont accourus à l’école pour aider à arrêter l’attaque. Les forces israéliennes sont arrivés pour soutenir et protéger les colons israéliens, en tirant des grenades assourdissantes, qui ont terrifié les enfants. Une journée entière d’enseignement a été perdue pour un ensemble de 569 élèves et enseignants.
« La premiere fois que les colons nous ont attaqués, j’ai été très inattentif le jour suivant et je n’ai pu me concentrer dans la classe », a dit Baha à DCIP. « Tout ce à quoi je réussissais à penser était quel chemin j’allais prendre pour rentrer à la maison ».
Selon Baha, lui et ses camarades de classe ont été harcelés en septembre 2019, chaque mercredi après la classe, par un colon israélien dans un véhicule blanc avec trois chiens, le long de la Route de Khirbet Ad-Deir à Tuqu.
« Nous nous attendions à ce que ce colon nous tire dessus parce qu’il nous montrait son arme de poing », a expliqué Baha. « Même si nous changions de route vers l’école chaque mercredi, nous rencontrions toujours le colon, où que nous allions. Il était là tout le temps, et nous étions terrifiés ».
En suivant les incidents de violence des colons, DCIP a conclu que le manque de justice et l’impunité sont la norme et non l’exception. Au centre du problème il y a le traitement différent par le gouvernement israélien des Palestiniens et des Israéliens habitant en Cisjordanie occupée. Bien qu’ils habitent dans le même territoire, tous les Palestiniens sont soumis au droit militaire, tandis que les colons israéliens relèvent du système juridique civil et pénal israélien.
Les colons israéliens, y compris les enfants, attaquent souvent les Palestiniens à coups de pierres ou d’autres objets, mais ils sont rarement tenus de rendre des comptes étant donné que l’armée israélienne n’a pas le pouvoir d’arrêter les colons israéliens de Cisjordanie.
Malgré les violences persistantes des colons contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée, Jérusalem-Est comprise, les autorités israéliennes ont systématiquement manqué d’enquêter de manière adéquate sur les plaintes déposées contre les colons. Yesh Din, une association israélienne des droits de l’homme, a publié en janvier 2020 une fiche technique montrant que plus de 90% des enquêtes entre 2005 et 2019, portant sur des crimes, perpétrés pour des motivations idéologiques par les forces israéliennes et les colons, contre des Palestiniens en Cisjordanie, ont finalement été abandonnées sans inculpation.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS