Fin 2021, le comité ministériel israélien chargé de la législation a approuvé à l’unanimité le projet de loi controversé sur l’incitation sur les réseaux sociaux. Les législateurs israéliens affirment que ce projet de loi, surnommé "loi Facebook", permettra au gouvernement de retirer des plateformes de réseaux sociaux telles que Twitter, Facebook et Instagram les contenus générés par les utilisateurs qui, selon eux, constituent une "incitation" ou "causent un préjudice".
Le projet de loi va plus loin que tout ce qui a été vu dans d’autres pays, et permet aux autorités israéliennes, non seulement de supprimer le contenu des réseaux sociaux mais aussi de bloquer le contenu de tous les sites web, y compris les nouvelles plateformes. Il permettra au procureur général israélien d’utiliser des preuves secrètes devant les tribunaux pour supprimer du contenu et empêchera les créateurs de contenu de se défendre et de défendre leur travail.
Pour les Palestiniens, le projet de loi sur Facebook sera utilisé pour réduire au silence les militants et les journalistes qui dénoncent les violations des droits de l’Homme commises par Israël. En effet, les lois israéliennes vagues sur l’incitation sont déjà utilisées pour porter atteinte à la liberté d’expression et criminaliser les journalistes et les militants palestiniens qui dénoncent les violations d’Israël sur le terrain et en ligne.
Beaucoup s’interrogent sur la nécessité d’une législation aussi ambitieuse et draconienne, alors qu’il est clair que les sociétés de réseaux sociaux se conforment déjà volontairement à la majorité des demandes de suppression de contenu émanant de l’unité cybernétique du gouvernement israélien.
Depuis 2022, le nombre de demandes de retrait de contenu soumises par la Cyber Unit a augmenté de 800%. Selon la Cyber Unit, la majorité des publications ont été faites sur Facebook, 87 % d’entre elles ayant déjà été retirées. Quelque 770 plaintes concernaient des publications sur TikTok, dont 84 % ont été supprimées.
Le projet de loi devrait transformer la relation entre les autorités israéliennes et les entreprises de réseaux sociaux, qui passerait d’une conformité volontaire à une obligation de retirer immédiatement le contenu, sous peine de poursuites judiciaires.
Le contexte
Les Palestiniens et leurs partisans sont depuis longtemps conscients des politiques de contenu biaisées. La top-modèle palestinienne Bella Hadid a connu des restrictions de compte et des suppressions de contenu après avoir publié des messages sur la Palestine sur Instagram, propriété de Meta. Parmi les autres cas, citons la suspension par Facebook de la page d’Al Qastal, un organe de presse palestinien et la suppression de pages gérées par des journalistes palestiniens.
En mai 2021, dans le sillage des violations croissantes des droits humains sur le terrain, les utilisateurs ont signalé qu’Instagram et Facebook ont supprimé des centaines de contenus liés à la Palestine et que des milliers d’autres n’ont probablement pas été signalés. Lorsque ces suppressions de contenu ont fait l’objet d’un appel, il s’est avéré que beaucoup d’entre elles n’avaient pas enfreint les politiques des plateformes.
Dans le même temps, 1 090 000 de commentaires relatifs à la Palestine ont été publiés sur les réseaux sociaux et 183 000 cas de discours haineux à l’encontre des Palestiniens ont été maintenus. Selon 7or, l’Observatoire palestinien des violations des droits numériques , au cours de cette période, les utilisateurs palestiniens ont signalé plus de 1033 violations des droits numériques, notamment des suppressions de contenus et des suspensions de comptes.
La suppression des contenus palestiniens est si répandue que le Conseil de Surveillance de Facebook a recommandé une enquête indépendante sur le traitement partial des contenus en langues arabe et hébraïque par la plateforme. L’organisme indépendant de surveillance des droits de l’Homme, BSR, a été chargé par Meta d’enquêter sur son traitement du contenu palestinien, mais l’enquête est toujours en cours.
Comme l’a démontré l’assouplissement par Meta des règles relatives aux discours de haine à l’égard des Ukrainiens lors de l’invasion russe, les entreprises de réseaux sociaux sont capables de reconnaître le droit à la liberté d’expression des personnes opprimées, en particulier lorsqu’elles sont attaquées, mais ce droit n’est pas universellement reconnu à toutes les personnes marginalisées utilisant la plateforme.
Le projet de loi sur Facebook va aggraver la disparité entre les contenus en arabe et en hébreu. La définition vague de l’"incitation à la violence ou à la terreur" dans le langage juridique du document facilitera la censure gouvernementale de tout contenu qui met en lumière les politiques répressives des autorités israéliennes, montre des violations des droits de l’Homme ou expose la violence des forces de sécurité israéliennes, ainsi que de nombreuses autres formes de contenu critiques de l’appareil de contrôle israélien sur les Palestiniens.
Les mécanismes juridiques du projet de loi
Le projet de loi sur Facebook énumère deux conditions dans lesquelles un ordre de retrait de contenu peut être émis. La première est que la publication du contenu constitue une infraction pénale, et la seconde est que si le contenu devait rester en ligne, il représenterait un risque pour la sécurité personnelle, la sécurité publique ou la sécurité nationale. Ces conditions sont extrêmement larges et vaguement définies dans la législation israélienne.
En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l’"incitation" est définie par la loi militaire israélienne en termes généraux et inclut tout cas dans lequel une personne est soupçonnée d’avoir tenté d’influencer l’opinion publique d’une manière qui "pourrait nuire à la sécurité publique ou à l’ordre public". Les tribunaux militaires israéliens utilisent souvent le "délit d’incitation" pour engager des poursuites judiciaires contre des Palestiniens qui se livrent à des actes tels que la pose d’affiches ou la rédaction de slogans contre l’occupation.
Ceux qui s’opposent à la politique de l’État, en particulier en période d’urgence, sont les premiers à être lésés par le projet de loi sur les réseaux sociaux.
En exigeant du créateur de contenu qu’il se soumette à des procédures juridiques complexes reposant sur des preuves secrètes pour défendre son contenu, le projet de loi sur Facebook cherche à supprimer les possibilités pour les citoyens - qui n’ont peut-être pas les ressources nécessaires - de contester les décisions des autorités israéliennes. Cela aura un effet négatif supplémentaire sur la liberté d’expression des Palestiniens.
Les procédures judiciaires pour les Palestiniens en Israël reposent souvent sur des preuves secrètes et conduisent souvent à une détention administrative indéfinie, les prévenus n’ayant pas la possibilité d’examiner les preuves retenues contre eux. Le projet de loi sur Facebook constitue un moyen supplémentaire d’intimider les Palestiniens et de réduire les espaces de liberté d’expression.
Isoler la population israélienne de la diversité d’opinion
Un autre aspect insidieux du projet de loi est l’intention de bloquer certains sites web qui ne respectent pas les restrictions. Le projet de loi ne fait pas de distinction entre les réseaux sociaux et les sites d’information, par exemple, mais les soumet tous à la même réglementation. La possibilité étendue de bloquer des sites d’information étend les pouvoirs de censure des autorités israéliennes, d’une manière qui va au-delà des principes démocratiques relatifs à la liberté d’expression et à la diversité d’opinion.
Dans le contexte d’Israël et de la Palestine, la manière dont les journalistes et les militants sont pris pour cible sur le terrain, violemment traités et arrêtés pour avoir enregistré ou mis en ligne des contenus montre déjà clairement que la liberté d’expression n’est pas un droit garanti pour les Palestiniens et que les autorités israéliennes n’ont aucune intention de faire respecter ces droits.
Le manque de transparence dans l’élaboration de cette législation et l’imprécision des définitions de l’"incitation" signifient que le projet de loi sur Facebook est ouvert à l’exploitation par les autorités israéliennes.
Lors du Palestine Digital Activism Forum (PDAF) de cette année, organisé par 7amleh - le centre arabe pour l’avancement des réseaux sociaux, des activistes palestiniens, des journalistes, des organisations de la société civile et des organisations internationales se sont réunis pour discuter de la manière de combattre les violations israéliennes dans la sphère numérique, notamment le projet de loi sur Facebook. Au cours des discussions avec les représentants de l’équipe de Meta chargée de la politique des droits de l’homme, 7amleh a demandé des éclaircissements sur la manière dont Meta envisage de traiter le projet de loi israélien sur Facebook et d’autres législations répressives similaires des gouvernements. Malheureusement, Meta n’a pas été en mesure de donner une réponse définitive.
Il est clair qu’un effort international fort est nécessaire pour tirer la sonnette d’alarme sur une législation aussi draconienne que ce projet de loi Facebook, et sur les implications plus larges et mondiales pour la liberté d’expression.
Traduction et mise en page : AFPS /DD