"Nous devons continuer à rêver de paix", a déclaré le président israélien Isaac Herzog lors d’une cérémonie d’allumage de bougies marquant la première nuit de Hanoukka, dimanche après-midi, "et condamner tout type de haine ou de violence." Ce noble message aurait pu être plus crédible sans le lieu choisi par Herzog pour marquer la fête juive : un événement organisé par des colons à l’intérieur du Tombeau des Patriarches/Mosquée Ibrahimi à Hébron, ville occupée de Cisjordanie qui incarne de manière frappante le régime israélien de ségrégation et de suprématie juive.
Le bureau de M. Herzog a annoncé la semaine dernière que le président assisterait à la cérémonie de Hanouka dans la vieille ville d’Hébron, où une population de colons juifs d’environ 800 personnes réside sous la garde d’un nombre presque égal de soldats israéliens et de la police des frontières. La tombe/mosquée serait le lieu de sépulture d’Abraham et des membres de sa famille, vénérés par les religions monothéistes.
La vieille ville abrite également environ 35 000 Palestiniens, dont la liberté de mouvement dans les zones de colonisation juive est sévèrement limitée depuis que Baruch Goldstein, un colon juif, a ouvert le feu à l’intérieur de la mosquée en pleine prière musulmane il y a 27 ans, tuant 29 fidèles et en blessant plus d’une centaine d’autres. La tombe de Goldstein se trouve dans la colonie voisine de Kiryat Arba, dans un parc portant le nom de son idole, le leader extrémiste Meir Kahane. Le lieu saint a depuis été divisé en deux halls séparés pour les visiteurs juifs et musulmans.
Lorsque Herzog est arrivé dimanche après-midi, la présence de centaines de soldats israéliens lui a caché la vue de la rue Shuhada, l’une des nombreuses routes fermées à la circulation palestinienne afin de garder la zone "stérile" pour les colons juifs. Ce qui était autrefois un centre ville palestinien animé de vie est maintenant une ville fantôme, nettoyée de tous ses habitants palestiniens, à l’exception de quelques-uns parmi les plus fidèles.
Les seules boutiques encore en activité dans la rue Shuhada, juste en face de la tombe dans laquelle Herzog a été escorté, étaient cachées derrière des véhicules militaires et avaient reçu l’ordre de fermer plus tôt en l’honneur des festivités du jour. S’il avait fait le tour du coin, Herzog aurait pu voir les graffitis sur les murs indiquant "gazez les Arabes".
Rien de tout cela n’a semblé déranger le président, qui s’est embarqué dans une visite spéciale du tombeau, conduite par Eliyahu Libman, chef du conseil régional de Kiryat Arba, et Hillel Horowitz, chef de la communauté juive d’Hébron. Ce faisant, Herzog est devenu le premier président en exercice à être accueilli à l’intérieur du tombeau/mosquée lui-même depuis qu’Israël a occupé la ville en 1967. Les dirigeants locaux des colons ont eu du mal à contenir leur joie de recevoir une approbation aussi élevée. Horowitz, par exemple, a déclaré au public que la visite de Herzog "nous rappelle que nous n’avons pas pris la terre des étrangers", ajoutant "Votre visite ici renforce notre mission".
La petite communauté juive d’Hébron compte deux membres de la Knesset issus de partis d’extrême droite - Itamar Ben-Gvir et Orit Strook - qui se trouvaient tous deux à l’intérieur de la salle de réunion lorsque Herzog s’est rendu à la cérémonie d’allumage des bougies. Ben-Gvir, qui avait jusqu’à récemment une photo de Baruch Goldstein accrochée dans sa maison, prenait des selfies avec des soldats israéliens pendant qu’il attendait. Shmuel Meidad, directeur de l’ONG d’extrême droite Honenu, qui assure la représentation juridique des terroristes juifs et a déjà soutenu financièrement leurs familles, était également présent.
Dans un bref discours, M. Herzog a d’abord noté que le lien juif avec Hébron est "au-delà de toute controverse". Il a évoqué le massacre d’Hébron de 1929, un violent soulèvement de masse palestinien en opposition à la colonisation sioniste croissante sous le mandat britannique, au cours duquel la petite mais historique communauté juive de la ville a été chassée. Le parent de Herzog, a-t-il raconté, a réussi à survivre en faisant le mort. Le président n’a rien eu à dire sur le massacre plus récent de Goldstein, qui a eu lieu à quelques mètres seulement de l’endroit où il a allumé les bougies de la hanoukiah.
"Notre ennemi est l’occupation, pas la religion"
Badee Dwaik, chef de l’Association des défenseurs des droits de l’homme à Hébron, est un résident palestinien de la vieille ville d’Hébron, où, le mois dernier, Israël a commencé la construction de 31 nouvelles unités de logement qui constitueront le "quartier Chabad" - le premier nouveau quartier juif à être construit dans la ville depuis 2001.
M. Dwaik avait son propre message pour le président israélien : "Vous utilisez les occasions religieuses pour intensifier l’oppression et les abus contre les Palestiniens, enflammant la situation comme s’il s’agissait d’un conflit religieux. Notre ennemi est l’occupation, pas la religion juive. Ni vous ni votre occupation n’êtes les bienvenus à Hébron ou en Palestine", a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique. "Nous continuerons à résister à votre occupation et à exposer vos crimes jusqu’à ce que le régime d’apartheid que vous avez construit soit renversé."
Plus tôt dans la journée, des résidents palestiniens d’Hébron se sont rendus à l’entrée de la mosquée pour manifester contre la venue d’Herzog. La police des frontières israélienne a dispersé par la force la petite foule, saisissant les drapeaux palestiniens qu’elle tenait et arrêtant certains des manifestants.
Pendant ce temps, trois bus remplis d’Israéliens de gauche de Jérusalem et de Tel-Aviv - organisés par des groupes anti-occupation comme Breaking the Silence, Peace Now et Mehazkim - se sont dirigés vers la vieille ville pour protester contre la visite de Herzog. Mais, fait rare, la police israélienne a émis un ordre empêchant les militants d’entrer dans la vieille ville, les obligeant à manifester au poste de contrôle situé à l’extérieur de la colonie de Kiryat Arba, sous le regard, et parfois les poings, de plusieurs dizaines de policiers des frontières et d’agents en civil.
En détournant la manifestation, la police a détourné l’attention des manifestants vers la police elle-même et les colons voisins, qui sont arrivés en brandissant des drapeaux israéliens et en diffusant de la musique hébraïque par haut-parleurs pour étouffer les chants des manifestants.
Moshe Butavia, le coordinateur civil de la sécurité (ou "ravshatz" en hébreu) de Kiryat Arba - la personne désignée par l’armée dans chaque colonie pour les questions de sécurité, qui, dans la pratique, donne souvent des ordres aux soldats - a tenté d’éloigner Hazem Bader, un photojournaliste palestinien de l’Agence française de presse (AFP), de l’entrée de la colonie. "Il a une carte d’identité verte", entend-on Butavia dire dans une vidéo de l’incident (filmée par Ori Givati de Breaking the Silence), en référence à la carte d’identité palestinienne de Bader.
Le député Meretz Mossi Raz, qui était présent à la manifestation, a déclaré : "Nous sommes venus ici aujourd’hui pour nous opposer au fait qu’à Hébron, il y a des endroits uniquement pour les Juifs. Ce n’est pas un endroit où le président d’Israël doit se rendre - en dehors d’Israël - le premier jour de Hanoukka."
Eran Nissan de Mehazkim, un mouvement de campagne numérique actif sur diverses luttes progressistes en Israël, a fait écho à ce sentiment : "S’il y a bien un endroit où le mot "apartheid" est pertinent pour le cas israélien, c’est Hébron. Nous sommes venus pour protester contre la décision honteuse d’Herzog, et nous avons été accueillis par des restrictions militaires antidémocratiques et des violences policières."
Traduction : AFPS