Photo : Une chaise roulante carbonisé après le bombardement de l’hôpital al-Ahli dans la ville de Gaza au cours duquel au moins 500 personnes ont été tuées le 18 octobre 2023 - Crédit : Mohammed Zaanoun (Active Stills collective)
Le masque qui a longtemps masqué la véritable nature et l’objectif du « droit international », fondement supposé de l’ordre mondial actuel, est enfin tombé. Alors que les appels à l’aide des Palestiniens de Gaza restent sans réponse, la sinistre vérité éclate au grand jour : la justice internationale, le plus souvent, est utilisée comme un outil pour faire avancer les intérêts impériaux, et non la justice.
Bien entendu, cette vérité est connue depuis longtemps par tous ceux qui ont examiné, même superficiellement, l’histoire de l’impérialisme, de la ruée des Européens vers l’Afrique aux interventions plus récentes des États-Unis en Amérique latine, et qui ont suivi la manière dont ce sombre passé a contribué à façonner le fonctionnement actuel du monde.
Bien sûr, à première vue, le droit international semble être un concept noble, promouvant la paix, l’application universelle des droits humains, la coopération et la justice entre les nations. Cependant, si l’on gratte un peu la surface, un autre récit émerge, façonné par les fantômes de l’impérialisme passé.
Il suffit de regarder comment le droit international a été utilisé avec empressement, et l’est toujours, pour défendre, soigner et rendre justice au peuple ukrainien face à l’agression russe. Comparez maintenant avec la façon dont les mêmes lois, normes et principes ont été réduits à de simples notes de bas de page et suggestions dans la réponse de l’Occident à l’assaut israélien en cours contre les Palestiniens. Il est clair que l’Occident, sous la houlette des États-Unis, ne défend le respect du droit international et de l’ordre mondial fondé sur des règles que lorsque cela correspond à son agenda.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pendant des siècles, l’expansion et l’exploitation coloniales, motivées par la soif de ressources et la domination géopolitique, ont défini l’histoire de l’Occident. Une poignée d’États européens se sont partagé le monde, conquérant des territoires, volant des ressources, soumettant brutalement et réduisant en esclavage des peuples. Tout au long de cette période de domination coloniale, les États occidentaux ont agi comme si la souveraineté et l’autodétermination étaient leurs droits et privilèges naturels et ceux de personne d’autre.
Les deux guerres mondiales, qui ont dévasté les puissances européennes et accéléré la détérioration de leur contrôle sur la plupart de leurs territoires coloniaux, ont perturbé ce statu quo injuste et intenable.
À la fin des années 1940, alors que les États européens s’efforçaient de se reconstruire et que les mouvements d’indépendance nationale en Afrique et au-delà prenaient de l’ampleur, un nouvel ordre international fondé sur des règles a commencé à prendre forme et des concepts tels que les droits humains et le droit à l’autodétermination des nations ont commencé à être codifiés en droit. Avec la création des Nations unies et la mise en place d’organes tels que la Cour internationale de justice et le Conseil de sécurité de l’ONU, l’illusion a été créée que ces nouvelles règles s’appliquaient à tous - tant aux puissants États occidentaux qu’à leurs (anciennes) colonies - de manière égale et permanente.
Tout en promouvant en apparence l’idée de la souveraineté nationale et des droits humains, les puissances occidentales ont continué à contrôler, à voler et à exploiter les autres nations. Elles ont commencé à utiliser ce nouvel ordre « fondé sur des règles de droit » pour poursuivre secrètement leurs politiques coloniales et entraver les efforts similaires de leurs rivaux. Un premier test du droit international et des institutions établies pour le préserver a eu lieu dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company devant la Cour internationale de justice au début des années 1950. Lorsque les résultats n’ont pas servi les intérêts impériaux, les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé l’opération Ajax.
Les États-Unis ont également semé le chaos en Amérique latine tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, renversant des gouvernements démocratiquement élus, armant des milices meurtrières et soutenant des dictateurs favorables à leur programme. Non seulement ils n’ont jamais été sanctionnés pour ces actions qui violaient de manière flagrante le droit international, ridiculisaient le concept de souveraineté nationale et violaient les droits humains fondamentaux de millions de personnes, comme l’illustre l’opération Condor.
La poursuite du siège de Gaza dans le cadre de l’opération « Sabre de fer » et le soutien que lui apporte le monde occidental constituent le dernier exemple en date - et peut-être le plus évident - de l’hypocrisie qui est au cœur du droit international.
Israël, qui occupe illégalement les terres palestiniennes et soumet les Palestiniens à l’apartheid depuis des décennies, maintient aujourd’hui plus de deux millions de Palestiniens, dont la moitié sont des enfants, sous un blocus total à Gaza et les bombarde sans discernement.
Face à des violations aussi flagrantes du droit international et à l’intention déclarée d’en commettre bien d’autres, comment les dirigeants occidentaux de la communauté internationale, défenseurs autoproclamés des droits humains dans le monde, ont-ils réagi ?
Ils ont annoncé leur soutien indéfectible à Israël.
La situation stratégique de la région, riche en réserves de pétrole et de gaz, a toujours servi d’aimant, attirant l’attention de ceux qui cherchent à sécuriser leurs intérêts énergétiques, et a historiquement influencé les politiques occidentales dans la région. Avant 1948, les intérêts pétroliers de l’Iraq-Petroleum Company s’étendaient de Kirkouk, en Irak, à Haïfa, en Palestine. Aujourd’hui, ce sont les intérêts de Chevron et de British Petroleum dans le développement du gaz naturel en Méditerranée. Ce ne sont peut-être pas les seules raisons, mais ce sont des variables importantes à prendre en considération pour comprendre les positions géopolitiques actuelles. Les parallèles entre les événements historiques et les actions contemporaines sont frappants. La question palestinienne a longtemps servi de frein à ces ambitions impériales et elles y voient aujourd’hui l’occasion de dicter leur propre solution finale.
Aujourd’hui, le masque est tombé.
Les puissances occidentales ne peuvent plus prétendre que le « droit international » est suprême et qu’il s’applique à tous de la même manière. Alors qu’elles donnent sans vergogne le feu vert à un assaut illégal et inhumain contre Gaza, elles ne peuvent empêcher les citoyens consciencieux du monde entier de remettre en question l’intégrité du système juridique international et de contester l’idée qu’il s’agit d’un arbitre impartial de la justice. Ils ne peuvent plus cacher le fait que le droit international est un outil créé pour servir les intérêts impériaux - un outil qui leur permet d’agir en toute impunité.
La lutte des Palestiniens n’est pas seulement une lutte contre l’occupation, l’apartheid et le colonialisme ; c’est une lutte contre l’impérialisme.
Nous avons besoin et méritons un nouvel ordre international, juste et équitable - un ordre qui puisse réellement défendre les principes d’équité, d’égalité et de respect des droits de toutes les nations, indépendamment de leur taille ou de leur importance géopolitique.
Ce n’est qu’en reconnaissant la véritable nature du droit international et sa totale inutilité à rendre justice aux peuples qui tentent de résister à la domination impériale que nous pourrons espérer démanteler l’ordre mondial actuel et commencer à construire un monde où la justice l’emportera sur le pouvoir et où l’humanité triomphera de la politique. C’est une tâche ardue, mais essentielle si nous voulons créer un avenir où les droits et la dignité de chaque individu, quelle que soit sa nationalité, sont respectés et protégés - un avenir où le droit international s’applique à tous et n’est pas utilisé comme une arme par des États puissants contre leurs rivaux.
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À propos de l’auteur
Wesam Ahmad est Palestinien et un défenseur des droits humains au sein l’ONG Al-Haq à Ramallah, en Palestine.
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Traduit par : AFPS