Tomer Persico [1] a cité les remarques qu’a faites récemment le député Bezalel Smotrich (Habayit Hayehudi / le Foyer Juif) à une conférence de Sionistes religieux, où il a présenté son plan pour proposer trois options aux Palestiniens : quitter les territoires [palestiniens occupés], continuer à y vivre avec un statut de second rang, ou continuer à résister, auquel cas “les Forces de Défense d’Israël sauront ce qu’il y a à faire.” Ce sont des mots terrifiants qui sont susceptibles de conduire Israël à perpétrer le crime horrible de génocide.
Il est difficile de croire qu’un représentant élu d’un parti membre de la coalition de gouvernement puisse évoquer l’option du génocide si les Palestiniens n’acceptent pas les termes qu’il est prêt à leur proposer : soit l’émigration, soit vivre sous un régime d’apartheid fondé sur les principes du droit juif, qui pourrait même être pire que celui qui a existé en Afrique du Sud. Smotrich, un des vice-présidents de la Knesset, est la plus importante personnalité gouvernementale à ce jour à déclarer sans hésitation que l’option du génocide est envisagée si les Palestiniens n’acceptent pas nos conditions – et il est évident qu’ils ne les accepteront pas.
Smotrich adopte comme modèle le Livre de Josué dans la Bible. Les chercheurs sur le génocide dans le monde antique ont déjà établi que le Livre de Josué est un document important dans l’étude des caractéristiques du génocide dans le monde antique. Certaines de ses composantes sont différentes des génocides du 20ème siècle, mais le Livre de Josué décrit des actions qui ont été de façon explicite définies comme un génocide dans la Convention de l’ONU de 1948 sur la Prévention et le Châtiment du Crime de Génocide. La convention définit toute personne qui commet de tels actes comme quelqu’un qui a commis des crimes contre l’humanité et qui doit en conséquence être mis en jugement.
C’est ainsi que le Livre de Josué décrit la prise de la ville de Aï (Joshua 8, 24-29) : “Et, quand Israël eut fini de tuer tous les habitants de Aï dans la campagne et dans le désert où ils les poursuivirent, et que tous furent tombés jusqu’au dernier sous le tranchant de l’épée, tout Israël revint à Aï, et en passa la population au fil de l’épée. ... Enfin Joshua incendia Aï, et il en fit pour toujours une ruine, un lieu désolé, jusqu’à aujourd’hui. Et le roi de Àï il le pendit à un arbre, jusqu’au soir ; mais au coucher du soleil Josué ordonna qu’on descendit de l’arbre son cadavre. On le jeta ensuite à l’entrée de la porte de la ville, et on amoncela sur lui un grand tas de pierres, qui existe encore aujourd’hui.”
Le massacre de 1995 à Srebrenica, une atrocité un peu moins terrible que celle de la Bible, a été considérée comme un génocide par l’Organisation des Nations. L’article 2 de la convention sur le génocide déclare que “génocide veut dire l’un quelconque des actes ci-après perpétrés dans l’intention de détruire, totalement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.” Ces actes comprennent “le fait d’assassiner des membres du groupe”, “ le fait de causer de graves dommages corporels ou mentaux à des membres du groupe”, “le fait d’infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculées pour provoquer sa destruction totale ou partielle”, et “le fait d’imposer des mesures ayant pour but d’empêcher les naissances dans le groupe.”
Si la prise de Aï avait eu lieu aujourd’hui, Josué ben Nun aurait été amené menotté devant un tribunal et jugé sous l’inculpation de génocide. Et voilà le modèle de Smotrich.
L’article 3 de la convention déclare que les actes punissables relevant du génocide comprennent le génocide, le complot pour perpétrer un génocide, “l’incitation directe et publique à commettre un génocide” et “la complicité de génocide.” Il serait intéressant d’entendre ce qu’un expert en droit international dirait des remarques de Smotrich.
L’admiration de Smotrich pour le génocidaire Josué ben Nun le conduit à adopter des valeurs qui ressemblent à celles des SS allemands. Naturellement, il n’a pas pris la peine de faire de telles comparaisons, puisque quelqu’un qui encourage le génocide n’essaie pas de comprendre la vision du monde des génocidaires qui l’ont précédé.
De la bouche de Dieu aux oreilles de Himmler
Voici comment Dieu explique à Josué pourquoi Israël a été vaincu dans l’une de ses batailles contre l’ennemi (Josué 7, 11-12) : “Israël a péché, oui, il a violé l’alliance que Je lui avais imposé ; Oui, on a pris de ce qui était anathème, on l’a dérobé, on l’a aussi dissimulé, et on l’a même mis dans ses bagages. Et les enfants d’Israël ne pourront pas tenir devant leurs ennemis, ils tourneront le dos devant leurs ennemis, parce qu’is sont devenus anathèmes. Je ne serai plus avec vous, si vous ne faites disparaître du milieu de vous l’objet de l’anathème.”
Ou en d’autres mots, la conquête et l’anéantissement doivent être effectués selon les instructions précises venant de Dieu. Quand les enfants d’Israël violent ces instructions en s’emparant des biens et en pillant sans permission, ils sont châtiés.
La ressemblance entre le texte biblique et ce que Heinrich Himmler déclarait à Poznan, en octobre 1943, aux officiers supérieurs des SS, est glaçant. Voici ce que Himmler a dit : “Je veux parler ici de l’évacuation des Juifs, de l’extermination du peuple juif. … Les richesses dont ils étaient propriétaires nous les leur avons prises. J’ai donné un ordre strict … à savoir que ces richesses seront bien sûr remises dans leur intégralité au Reich. Nous n’en avons pris aucune pour nous-mêmes. Les individus qui ont fauté seront punis conformément à l’ordre que j’ai donné au départ, avec la menace que quiconque prendra ne serait-ce qu’un seul Mark de cet argent est un homme mort.”
Dans chaque génocide, l’autorité suprême met l’accent sur l’ordre et la discipline de la part de ceux qui sont responsables de son exécution, conformément aux critères qu’elle a établis. Les membres de la SS étaient convaincus qu’ils étaient des hommes d’une haute intégrité, aux mains propres, qui ne pillaient pas les biens de leurs victimes. Smotrich croit-il que l’éthique du Livre de Josué puisse servir d’exemple sur la façon dont les Palestiniens devraient être traités aujourd’hui ?
Smotrich a la réputation d’être raciste et homophobe. Maintenant il se révèle qu’il est susceptible d’être favorable au meurtre collectif. Dans toute société éclairée, on peut trouver des gens comme ceci dans des bars douteux, à Münich ou dans le Mississippi, ils sont fréquentés par des gens au crâne rasé, tatoués de svastikas. Mais en Israël, la personne qui dit ceci est un représentant de l’état.
On peut évidemment attendre du Premier Ministre Benjamin Netanyahu qu’il fasse quelque chose à ce sujet. Mais le vrai danger pour Israël vient des centaines de députés et de personnalités d’autres partis – parmi lesquels le Likud [2], Yesh Atid [3] et même l’Union Sioniste [4] – qui comprennent très bien où Smotrich et ses collègues du parti Habayit Hayehudi [5] sont en train d’entraîner l’état, mais qui ont peur de se lever, de former un front uni avec la gauche israélienne et de dire la vérité à la population : le Smotrichisme, comme avant eux l’ Hitlérisme, le Stalinisme et Maoïsme, est une idéologie qui mène à la perpétration d’un génocide.
Si ceux qui comprennent ceci ne se lèvent pas pour éliminer maintenant ce danger, ce sera la fin tragique du peuple palestinien. Mais ce sera aussi la fin de l’idéal d’une existence souveraine juive en Israël.
Le Professeur Blatman est historien de l’Holocauste et du génocide à l’Université Hébraïque de Jérusalem.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers