Photo : un homme a perdu tous ces enfants le 13 décembre 2023 à Gaza. Source : Eye on Palestine.
Une version de cet article de l’historien palestinien Saleh Abdel Jawad a d’abord été publiée en arabe dans Al-Akhbar et a été republiée ici avec l’autorisation de l’auteur.
Quelle que soit l’issue politique, militaire et démographique de la guerre génocidaire menée par Israël contre la bande de Gaza, Gaza restera dans l’histoire comme le lieu où ont été perpétrés le plus grand nombre de massacres de l’histoire, presque exclusivement contre des civils et par le biais de bombardements aériens.
Il existe des villes dans lesquelles un plus grand nombre de civils ont été tués par des bombardements aériens qu’à Gaza (par exemple Hambourg, Dresde, Hiroshima et Nagasaki), mais ces villes ont été bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale, qui était une guerre totale. Hiroshima a été bombardée en une seconde, Hambourg en une semaine. Ces quatre villes abritaient également des armées, des infrastructures militaires et des usines directement liées à l’effort de guerre. Pour ce qui est de Gaza, la majorité des victimes sont des civils. En fait, Gaza est la seule ville de l’histoire où le pourcentage d’enfants et de femmes tués est de 68 %. Si l’on ajoute à ce pourcentage les hommes âgés, les résultats sont horribles.
Le nombre de ces massacres, qui constituent des crimes contre l’humanité, restera dans l’histoire comme les premiers massacres qui se poursuivent 24 heures sur 24 pendant près d’un mois, retransmis en direct sur les ondes. Pendant le célèbre siège de Sarajevo, qui a duré 1 425 jours, les Serbes ont bombardé le marché de Sarajevo (Markali Market) le 28 août 1995 avec cinq obus de mortier, tuant 43 personnes. Le monde a regardé en direct les images des morts et des blessés, comme il le fait à Gaza. Mais en Europe, les atrocités ont directement conduit l’OTAN à lancer une guerre aérienne contre les forces serbes jusqu’à ce qu’elles soient vaincues. En revanche, lors d’un seul massacre, Israël a largué une énorme bombe sur l’hôpital arabe Al-Ahli, tuant près de 500 civils. La réaction de l’Occident a été de tenir le Hamas pour responsable, tout en sachant que ses roquettes improvisées (que le président palestinien a qualifiées d’"absurdes") pouvaient à peine tuer une seule personne.
Ces massacres sont aussi les premiers de l’histoire à recevoir le soutien total des grandes "démocraties occidentales" (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie) sans aucune compassion pour les victimes, alors qu’ils sont retransmis en direct et qu’il n’y a aucun doute sur l’identité des auteurs. Ce soutien n’est pas seulement politique, diplomatique et médiatique, mais aussi militaire. Dans la plupart des cas, il viole également les désirs de ses propres citoyens qui manifestent dans la rue contre les massacres à Gaza en opposition à leurs dirigeants. Pendant la guerre du Vietnam, après la fuite d’un seul massacre perpétré par l’armée américaine (My Lai), le monde entier s’est soulevé contre elle. Dans le cas de Gaza, Biden, Macron, Schultz, Sunak et Meloni présentent les massacres dans les médias occidentaux comme un cas de légitime défense.
Lors du célèbre siège de Sarajevo, qui a duré 1 425 jours, 13 952 personnes ont été tuées, dont 5 434 civils, soit environ quatre morts civils par jour. À Gaza, le taux de mortalité est de 355 civils par jour. Ce chiffre n’inclut pas les personnes sous les décombres, soit plus de 2 000 personnes. Pendant le siège de la ville de Stalingrad elle-même, qui a duré 162 jours et est devenue une icône de la résistance à la brutalité nazie, 40 000 civils ont été tués dans la ville, qui était bondée de soldats - une moyenne de 247 civils par jour, c’est-à-dire moins que le taux de mortalité à Gaza. Lors de la deuxième bataille de Falloujah, considérée comme l’événement le plus sanglant de la guerre d’Irak, la ville a été soumise à 46 jours de tueries et de siège. Au total, 1 400 civils ont été tués, soit 31 morts par jour. Quant au siège et aux combats de la ville de Mossoul, qui ont duré neuf mois et sont considérés comme l’épisode le plus violent de la série de conflits avec le mouvement ISIS, près de dix mille civils ont été tués, à raison de 37 civils par jour.
Ce n’est que pendant le long siège de la ville de Leningrad, qui a duré des années, que le taux de décès de civils par jour a été supérieur à celui de Gaza, mais la plupart de ces décès étaient dus à la faim, au froid et à la maladie.
Même les Russes en Ukraine, qualifiés de barbares, ont permis un passage sécurisé pour les civils en fuite et des livraisons de nourriture, contrairement à Gaza, qui est privée d’eau, de nourriture, de voies d’évacuation sûres et d’électricité, y compris l’énergie nécessaire pour alimenter les générateurs des hôpitaux.
En conclusion, la tuerie de Gaza, qui prend la forme d’un génocide, ne peut être attribuée à des lacunes dans le professionnalisme de l’armée israélienne, à une identification imprécise des cibles ou à des ambiguïtés quant à la nature d’un massacre. Il apparaît plutôt comme le résultat d’actions délibérées de trois acteurs principaux : le gouvernement et l’armée israéliens, en quête de vengeance pour restaurer leur "image de force" ; la passion du public israélien, hanté par l’idée de la supériorité juive ; et la complicité des dirigeants corrompus des "démocraties occidentales".
Depuis 1948, l’histoire a montré qu’Israël ne respecte pas les règles de la guerre telles que définies par le droit international, et qu’il fait ce qu’il veut en fonction de ses calculs, de ses intérêts et de ses objectifs, parce qu’il a le sentiment, grâce au soutien inconditionnel des Américains, d’être une exception qui échappe à toute responsabilité et à toute punition dans le système international.
Traduction : AFPS