Au cas où de futurs historiens chercheraient un document d’un genre ou d’un autre témoignant du tempérament et de la perspicacité du Premier ministre Olmert, il serait difficile d’imaginer plus approprié que le discours qu’il a adressé cette semaine aux dirigeants des autorités locales.
C’était à l’évidence un discours bien préparé. Il n’était semé d’aucune de ces bougonneries si caractéristiques d’Ehoud Olmert, connu pour son incapacité à contrôler ses déclarations verbales. C’est pour cette raison, à cause de la méticulosité de ce discours et de sa préparation, que le vrai caractère d’Olmert s’y révèle ; celui d’un transparent manipulateur des mots et des faits ; un fonceur qui a fait son chemin par erreur jusqu’au sommet. Et bien que chacune des phrases de son allocution incarne cet argument, le manque de place ne permettra d’en discuter qu’une petite partie.
Il conviendrait de commencer par la phrase d’ouverture du Premier ministre : « La décision de partir en guerre, y compris la responsabilité de son issue, est entièrement la mienne ». Mais nous la laisserons plutôt pour la fin. Nous commencerons dès lors par la seconde phrase : « L’arrière civil israélien était la cible principale de l’ennemi, et pas incidemment. »
L’unique intention du Hezbollah
Incidemment, c’est le contraire qui est vrai. Le Hezbollah a dit dès le début, explicitement et avec beaucoup d’audace, qu’il avait une seule et unique intention : enlever des soldats israéliens dans le but d’entamer une transaction sur un échange de prisonniers. C’est ce que Nasrallah a dit le jour de l’enlèvement et il l’a redit dans son discours de « remords » que le Premier ministre prend tellement de plaisir à citer. Cette fois, malheureusement, l’arrière civil n’était pas la première cible de l’ennemi, et ce n’était pas incidemment. Passons à la phrase suivante : « La cible du Hezbollah était... de porter atteinte à l’arrière, de tuer, de terroriser, pour essayer de semer la peur, la panique et de susciter un tollé général qui aurait paralysé les opérations militaires. » George Orwell n’aurait pas pu imaginer mieux. Parce que telle était, en réalité, la tactique ouvertement déclarée d’Israël : frapper l’arrière, tuer, terroriser et ainsi de suite, ou pour le mettre plus communément dans le jargon officiel israélien : « Mettre la pression sur le gouvernement libanais ».
En outre, et contrairement à une croyance répandue, le premier à avoir amené les combats à l’intérieur de l’arrière civil de l’autre camp, c’est Israël. C’est seulement après les bombardements israéliens visant Beyrouth et les infrastructures libanaises que les tirs de roquettes sur l’arrière israélien ont commencé. Le Premier ministre a déclaré dans le même discours que lorsqu’il a décidé de partir en guerre, « nous savions très bien que des tirs de roquettes prendraient pour cibles des populations civiles. » Effectivement. Les premières roquettes Katioucha ont atterri à l’intérieur du territoire israélien seulement le jeudi 13 juillet avant l’aube, quelques heures à peine après qu’Israël ait attaqué l’arrière libanais. Ce fait ne lave pas le Hezbollah de sa responsabilité pour avoir démarré la guerre ; cependant, même en des temps de frustration et de rage, nous ferions bien de nous attacher aux faits.
Nous les avons surpris
La phrase suivante est un échantillon spectaculaire d’Olmertisme : « Nous les avons surpris. L’arrière a persévéré. » Le Premier ministre sait trop bien que l’arrière n’a pas persévéré. L’arrière est parti vers le sud, ce qui était légitime. Ceux qui ont persévéré, ce sont ceux qui n’avaient nulle part où aller. D’une manière générale, l’arrière a persévéré à la manière dont n’importe quel arrière persévère, dans n’importe quel pays, n’importe quelle guerre, que ce soit ici, au Liban, en Irak, à Londres, Hambourg, Sarajevo ou Tyr. Que peut-il faire d’autre, l’arrière ? Ceux qui peuvent fuir le font et ceux qui ne le peuvent pas « persévèrent ». Le Premier ministre sait trop bien aussi que personne n’a fait le moindre effort pour évaluer le degré de préparation de l’arrière à la « persévérance » à laquelle il s’est vu forcer. Mais maintenant, au lieu de demander pardon à l’arrière, il essaie de recourir à des doses exagérées de flatterie.
Poursuivons. Dans l’idée d’étayer son argument de victoire, le Premier ministre a cité son ennemi : « Nasrallah dit simplement : si j’avais su que telle en aurait été l’issue, je n’aurais pas donné l’ordre de démarrer la guerre. » N’est-ce pas merveilleux ? A l’heure où le Premier ministre tirait vanité de ces paroles, des dizaines de milliers de soldats et de civils espéraient qu’Olmert soit celui qui dirait simplement : « Si j’avais su que telle aurait été l’issue de la guerre, je n’aurais pas donné l’ordre de la démarrer ». Mais il semble qu’Olmert abandonne ces simples mots à Nasrallah, préférant davantage de circonlocutions.
La partie la plus amusante est assurément celle où Olmert tente d’expliquer pourquoi une commission d’enquête officielle était inappropriée : elle sera longue, paralysante, elle va accaparer des procureurs, c’est un luxe, c’est effectivement une « solution séduisante » mais ce n’est « pas ce dont le pays a besoin... ».
Pas depuis Louis XIV
Depuis Louis XIV, qui a dit « L’Etat, c’est moi », aucun chef d’état n’a manifesté monarchie si absolue. Autrement dit, ce dont il n’a pas besoin, l’Etat n’en a pas besoin non plus.
Puis est arrivé l’ultime sensiblerie de ‘procureur’, la marque d’une manipulation pathétique : « Chacun d’entre vous, la main sur le cœur, sait en son for intérieur que ce n’est pas cela qui arrangera les défauts ». Chacun - qu’il mette ou non la main sur le cœur - sait parfaitement bien que lorsqu’un procureur recourt à de si maigres astuces, c’est un signe de la grande détresse où il se trouve.
Une dernière phrase pour la fin - et elle ne pourrait être plus révélatrice : « L’armée devrait être contrôlée à la manière dont une société civile démocratique contrôle son armée. Il en va de même pour nous, l’échelon politique ». Selon le Premier ministre, une commission d’enquête officielle n’est pas civile et n’est pas non plus démocratique. D’après lui, seules des commissions d’examen aux dents émoussées, sans la moindre autorité et financées par ceux-là même qui font l’objet de l’enquête, conviennent à l’examen d’une « société civile démocratique ».
Pour résumer, nous reviendrons comme promis à la première phrase : « La responsabilité de la guerre est toute entière la mienne ». Mais alors, nul besoin d’enquête. La personne responsable a été trouvée. Et pour respecter la tradition juive qui veut que « celui qui avoue (des péchés) et y renonce, obtiendra miséricorde », il faudrait lui dire : vous avez avoué ? Très bien. Maintenant démissionnez. Après, seulement, vous aurez droit à la clémence.