Après un siège de plusieurs jours au cours duquel cinquante-six Palestiniens ont été tués, l’armée israélienne a bombardé ce 8 novembre au matin un quartier résidentiel de Beit Hanoun au nord de la bande de Gaza. Au moins dix-huit Palestiniens -dont huit enfants, selon le porte-parole du ministère palestinien de la Santé- ont péri durant ce bombardement. Quatre des maisons touchées appartiennent à des membres d’une même famille, dont onze sont morts. Ce carnage a eu lieu au lendemain du retrait officiel de l’armée israélienne de cette ville palestinienne de la bande de Gaza. Le 7 novembre, huit autres Palestiniens ont été tués dans le nord de ce petit territoire.
Qu’Israël plaide aujourd’hui « l’erreur » ne change rien au fait qu’il s’agit d’un crime de guerre au sens de la Quatrième Convention de Genève. Ses auteurs doivent être jugés et condamnés.
De tels crimes de guerre ne sont pas nouveaux, ni dans la bande de Gaza, ni en Cisjordanie, en particulier depuis cette seconde Intifada. Les organisations palestiniennes de défense des droits humains ont recensé plus de 3100 Palestiniens tués depuis le début de la seconde Intifada, plus de 13.000 blessés. Sans compter les dizaines de milliers de Palestiniens passés par les geôles israéliennes et y ayant subi la torture, dont quelque 10.000 sont toujours captifs. Parmi eux, plus de 300 enfants. Sans compter non plus les dizaines de milliers d’arbres arrachés, les milliers de maisons et de commerces détruits au profit, notamment, de la construction des colonies illégales et du mur de l’annexion qui poursuit sa course en Cisjordanie occupée en dépit des recommandations de la Cour internationale de Justice et des résolutions des Nations unies.
Vendredi 9 juin, jour de repos palestinien, à l’heure où les bords de mer se peuplent de badauds, l’armée israélienne a bombardé une plage de Gaza. Les tirs sont venus de la mer dont les berges sont enfin accessibles aux habitants, la mer sillonnée par les navires de guerre israéliens qui en barrent l’horizon. Bilan : huit morts. Parmi eux, un couple et ses trois enfants, laissant une fillette au traumatisme de la perte de tous les siens. Les dirigeants israéliens ont d’abord annoncé une enquête interne, réfuté toute enquête internationale, annoncé que le carnage proviendrait de l’explosion d’une roquette palestinienne, puis qu’il s’agirait peut-être d’un ancien obus israélien non explosé, annoncé que l’armée israélienne était la plus éthique du monde, plaidé quoi qu’il arrive la « légitime défense » fût-ce au détriment de la vie de civils...
La colère a submergé des Palestiniens, exaspérés de subir, depuis des semaines, quelque 300 tirs d’obus journaliers dans ce petit territoire évacué par l’armée mais transformé en prison à ciel ouvert, dans le silence du monde, et de voir, toujours et encore, couler le sang. Fatalement. Sans l’ombre d’une condamnation ni encore moins d’une intervention de la communauté internationale.
Mercredi 28 juin, l’armée israélienne a lancé une vaste offensive dans la bande de Gaza. Les raids de l’aviation ont détruit des ponts et des routes, ainsi que la principale station électrique de ce territoire. Un million et demi de Palestiniens en ont été privés de courant ; 830.000 d’eau potable. La fermeture du terminal de Karni, le blocus imposé, empêchent les vivres de passer, comme le carburant indispensable au fonctionnement des groupes électrogènes et de toute pompe à eau. Les chars. Et 5000 soldats postés aux frontières, pour enfermer, contrôler, pouvoir bombarder depuis le ciel ou la mer en attendant de nouvelles incursions, de nouveaux sièges. Fin juin, l’armée israélienne appelait les habitants du nord de Gaza à quitter leurs maisons menacées de bombardements. La soif, la faim, le manque criant de médicaments, l’absence de sommeil imposée par les bombes sonores larguées toutes les nuits. La vie au quotidien dans la bande de Gaza. La vie au quotidien dans la Cisjordanie occupée, hérissée de checkpoints militaires qui transforment le territoire en enclaves dans une prison à vie.
Qui croira un instant que ces crimes de guerre à grande échelle visent à libérer un caporal tankiste israélien enlevé le 25 juin par un groupe de combattants palestiniens de la bande de Gaza (des brigades Ezzeddine al-Qassam, des comités de la résistance populaire et de l’armée islamique), qui est parvenu à mener une attaque contre un fortin juste de l’autre côté de la frontière, au sud de ce territoire étouffé ?
En fait, ces crimes de masse répondent à la fois aux desseins politiciens du gouvernement israélien et à une stratégie à long terme israélienne en Palestine, qui n’en est pas moins une politique à courte vue.
C’est ainsi qu’à l’issue d’un mois de guerre dévastatrice au Liban, qui a fait plus de mille morts, des dizaines de milliers de blessés, plus d’un million deux cent mille réfugiés et détruit nombre de villages, de quartiers et d’infrastructures, le gouvernement israélien est contraint à un constat d’échec. Pour préserver son pouvoir, il choisit la fuite en avant vers l’ultranationalisme. Car ce n’est pas tant la guerre d’agression qui a été remise en cause au sein de la société, que sa gestion infructueuse. Et, alors que le Premier ministre Ehud Olmert se voit impliqué dans plusieurs enquêtes pour corruption et que le président Moshé Katzav est soupçonné de viol, le gouvernement a choisi de faire face à l’érosion de sa popularité par le ralliement du segment le plus raciste du spectre politique du pays.
Il a ainsi nommé Avidgor Lieberman, le chef du parti d’extrême droite « Israël Beitenou », vice-Premier ministre et ministre pour les « Affaires stratégiques ». Le Parlement israélien a approuvé cette nomination lundi 30 octobre par 61 voix, contre 38 autres (sur 120 députés). Le gouvernement israélien de coalition entre le parti Kadima et le parti travailliste avait, lui, voté en faveur de cet élargissement par 22 voix pour contre une, celle du travailliste Ofir Pinès-Paz, lequel a dénoncé une « plateforme raciste ». Il a du reste annoncé son intention de briguer l’an prochain la direction du parti travailliste, afin de « le ramener sur le droit chemin ». Mais le gouvernement n’en a cure qui pourra s’appuyer sur une majorité de 78 députés sur 120 (puisque le parti d’extrême droite compte 11 députés à la Knesset), une assise parlementaire parmi les plus larges de l’histoire d’Israël. Le gouvernement a donc choisi de se maintenir au pouvoir en ralliant la droite raciste la plus extrême.
Avigdor Lieberman, en effet, qui vit dans la colonie de Nokdim, ne s’en cache pas : il a fait de la séparation et de la « purification » ethniques son credo. Il le dit et l’écrit (dans son livre Ma vérité publié en 2004) : il prône le transfert des Palestiniens citoyens d’Israël, en même temps que l’annexion de la majeure partie des territoires palestiniens occupés et en particulier des colonies. Pour lui, le dossier des Palestiniens d’Israël dont il réclame le transfert est même prioritaire sur celui des territoires occupés. Il en appelle à exécuter les députés arabes de la Knesset qui rencontrent les élus palestiniens du Hamas. Ministre des Transports du précédent gouvernement, il en appelait à noyer les prisonniers politiques palestiniens dans la mer morte, et n’hésitait pas pour cela à offrir de fournir les bus. En 2002, année de l’offensive « Remparts » dans les territoires palestiniens, il déclarait qu’il n’hésiterait pas à détruire les fondations de l’infrastructure militaire palestinienne, à tout détruire. Il suggérait aussi de bombarder systématiquement les centres commerciaux ou les banques dans les territoires palestiniens... Propos sans conséquence ? Ce pourrait être le cas si Avigdor Lieberman n’avait été bel et bien nommé vice-Premier ministre avec l’approbation du parlement.
Ministre pour les « Affaires stratégiques », Avigdor Lieberman a aussi fait du « dossier iranien » une priorité. Or, alors qu’Israël est jusqu’à ce jour la seule puissance militaire nucléaire du Moyen-Orient, c’est lui qui, en 2001, s’était prononcé en faveur d’attaques contre l’Iran et le barrage d’Assouan en Egypte.
Alors que le peuple palestinien, singulièrement dans la bande de Gaza, subit depuis des mois une véritable guerre, meurtrière, des forces militaires israéliennes, une telle nomination ne pouvait présager aucun apaisement ni aucun avenir de négociation et de paix. Au contraire, la nomination d’Avigdor Lieberman ne peut que faire craindre une course vers la guerre.
Mais la multiplication des crimes de guerre israéliens contre le peuple palestinien s’inscrit dans une stratégie plus globale.
– Les dirigeants israéliens ne cachent pas leur objectif prioritaire : définir les frontières à l’horizon 2010, en violation du droit international. Il s’agit en effet d’annexer une partie substantielle de la Cisjordanie, notamment les blocs de colonies illégales et la vallée du Jourdain, et de refuser toute restitution de la partie orientale de Jérusalem. Une telle stratégie vise dans le même temps à rendre impossible la naissance d’un Etat palestinien. Rappelons les propos de Dov Weisglass, conseiller d’Ariel Sharon alors Premier ministre, lors du « redéploiement » de la bande de Gaza : il s’agissait de « geler dans le formol » toute perspective de négociation avec la partie palestinienne.
– Une telle stratégie s’accompagne d’une méthode : celle de l’unilatéralisme. C’est ainsi de façon unilatérale qu’a été opéré ce « redéploiement ». Les dirigeants israéliens se refusent à reconnaître toute légitimité à l’Autorité nationale palestinienne. Ce refus de la négociation n’est pas nouveau lui non plus. Il a présidé au siège du Président Yasser Arafat à la Muqata’a jusqu’à sa mort, en France, voici deux ans ce 11 novembre. Il s’est exercé contre le Président Mahmoud Abbas, qui a pourtant fait de la négociation l’oméga de sa stratégie. Les élections démocratiques qui ont porté le mouvement de résistance islamique Hamas au pouvoir au début de cette année n’est qu’un prétexte de plus de cette stratégie.
– Dans ce contexte, nul ne peut croire aux hasards de calendriers.
Le massacre du 9 juin est intervenu en effet alors que, moins de trois mois après l’installation du gouvernement palestinien dirigé par le Hamas et quelques semaines à peine après la publication, fin mai, par les dirigeants palestiniens de tous les courants politiques emprisonnés par Israël, d’un « document de conciliation nationale des prisonniers », Fatah et Hamas semblaient s’être rapprochés d’un accord sur une plateforme politique et stratégique commune. Le texte en appelle à l’unité nationale, à la libération des prisonniers politiques, et trace les grandes lignes d’un projet et d’une stratégie politiques : il assure que l’OLP est la seule représentante légitime du peuple palestinien, il affirme les droits du peuple palestinien à la liberté, au retour de ses réfugiés, à l’indépendance et à l’autodétermination, à commencer par celui d’établir un Etat indépendant dans tous les territoires occupés par Israël depuis 1967 avec Jérusalem-est pour capitale, et il rappelle le droit des Palestiniens à la résistance par tous les moyens, dans ces mêmes territoires occupés depuis 1967.
– L’offensive entamée fin juin, elle, est intervenue au lendemain de ce qui apparaît comme un bouleversement politique et stratégique majeur au sein du Hamas. En quelques semaines, sur la base d’un document élaboré par les dirigeants de tous les courants palestiniens emprisonnés, il en est venu à reconnaître la représentativité et la légitimité de l’OLP qu’il s’agit pour lui, dès lors, d’intégrer, à entériner le principe d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, à envisager l’articulation entre résistance et négociation.
– C’est précisément ce dont ne veulent surtout pas les dirigeants israéliens : l’unité palestinienne autour d’une stratégie politique clarifiée. Car il s’agit de tout faire pour délégitimer et d’isoler « l’autre », de détruire son unité et, si possible, de provoquer l’effondrement de l’Autorité nationale palestinienne. C’est ainsi qu’à la désolation provoquée par la guerre contre un peuple s’ajoute la capture, en Cisjordanie occupée et colonisée, de soixante-quatre responsables politiques palestiniens du Hamas dont huit ministres sur les treize que compte le gouvernement et de vingt députés. Ces enlèvements, alors que les ministres israéliens menaçaient leurs homologues palestiniens depuis plusieurs semaines, sont intervenus précisément au lendemain même de l’accord historique négocié durant plus d’un mois entre les forces nationales et islamiques de la résistance palestinienne.
Une telle politique meurtrière israélienne, alors que les organisations palestiniennes de résistance respectaient une trêve unilatérale décidée début 2005, ne peut aboutir, faute d’intervention de la communauté internationale pour protéger le peuple palestinien et sanctionner le gouvernement d’Israël, qu’à la radicalisation de la résistance.
La responsabilité de la communauté internationale est engagée. Celle de l’Union européenne et de la France en particulier, et ce notamment après les élections partielles aux Etats-Unis qui ont sanctionné la politique de guerre et d’occupation américaines en Irak. Or la politique de deux poids et deux mesures de la communauté internationale au Proche-Orient ne cesse d’effarer.
Le Canada, les Etats-Unis, l’Europe, ont décidé de sanctionner le peuple palestinien et ses institutions. Pour pérenniser son aide économique au peuple palestinien à travers ses institutions légitimement issues des urnes, la communauté internationale a exigé du gouvernement Hamas le respect de trois conditions : la reconnaissance de l’Etat d’Israël dans les frontières de 1967, le respect des accords signés et l’arrêt de la violence. Cela aurait pu être normal si les mêmes conditions avaient été et étaient imposées à Israël, qui continue en toute impunité à ne pas reconnaître le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à un Etat indépendant dans les frontières de 1967, à violer tous les accords signés, et à user de la violence et de la terreur d’Etat comme moyen de chantage sur la population civile palestinienne.
Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’une politique de deux poids et deux mesures vis-à-vis de deux parties égales : l’une des parties continue à occuper l’autre. Tenter de renverser artificiellement l’équation ne change rien à la réalité de la situation, et ne peut que contribuer à transmettre aux deux sociétés, israélienne et palestinienne, le pire des messages : celui du non engagement de la communauté internationale en faveur d’une solution au conflit fondée sur le droit, celui du mépris de la démocratie pourtant vantée dans les discours officiels.
En imposant des sanctions économiques au peuple palestinien, en inventant des mécanismes qui contournent ses institutions légales et légitimes, en imposant un véritable siège à l’occupé, en refusant toute sanction contre la puissance occupante, colonisatrice et assassine, en exigeant des dirigeants palestiniens ce qu’elle ne demande en aucun cas aux dirigeants israéliens, l’Europe, de facto, apporte son aide à la stratégie israélienne.
En toute connaissance de cause.
La même communauté internationale oublie non seulement le droit international, mais aussi la feuille de route elle-même qui, au moins, se fondait la réciprocité et la simultanéité des exigences vis-à-vis des parties et réclamait la fin de la colonisation. Au contraire, la France et l’Europe perpétuent la collaboration économique scientifique et stratégique avec Israël, et Paris encourage les contrats économiques avec Tel-Aviv, y compris pour la construction d’un tramway illégal reliant Jérusalem aux colonies.
L’AFPS demande au gouvernement français :
– d’intervenir d’urgence au sein du conseil de sécurité des Nations unies pour exiger la mise en place d’une force internationale de protection du peuple palestinien
– de décider de sanctions économiques contre Israël tant que cet Etat ne reconnaîtra pas le droit du peuple palestinien à un Etat indépendant dans les frontières de 1967, ne reconnaîtra pas le droit international, ne reconnaîtra pas les accords signés, ne renoncera pas à la violence, ne renoncera pas à la colonisation
– de lever immédiatement les sanctions économiques imposées au peuple palestinien et à ses institutions
– d’intervenir auprès de ses partenaires européens et au sein des Nations unies pour des décisions internationales de même nature.
– d’œuvrer en faveur de la tenue urgente d’une conférence de paix fondée sur le droit international.