Photo : © ICJ/Frank van Beek. Audience à la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye (photo d’archives).
Le Royaume-Uni est accusé de deux poids deux mesures après avoir officiellement présenté des arguments juridiques détaillés à la Cour internationale de justice de La Haye il y a six semaines en soutien aux allégations selon lesquelles le Myanmar a commis un génocide à l’encontre du groupe ethnique des Rohingyas en maltraitant massivement les enfants et en privant systématiquement les gens de leur maison et de nourriture.
Le Royaume-Uni a rédigé sa "déclaration d’intervention" de 21 pages conjointement avec cinq autres pays, mais il ne soutient pas l’Afrique du Sud, qui s’apprête à tenter de convaincre la CIJ, jeudi, qu’Israël risque de commettre un génocide à l’encontre du peuple palestinien.
La communication du Royaume-Uni sur le Myanmar plaide qu’il existe un seuil plus bas pour caractériser un génocide si les dommages ont été infligés à des enfants plutôt qu’à des adultes. Elle soutient que d’autres actions qui pourraient être définies comme génocidaires si elles sont systématiques, comprennent le déplacement forcé hors du foyer, la privation de services médicaux et l’imposition de régimes alimentaires de survie.
Il affirme, qu’étant donné que les déclarations d’intention de commettre un génocide sont rares, le critère de la Cour ne devrait pas être uniquement les déclarations explicites ou le nombre de personnes tuées, mais une déduction raisonnable tirée d’un modèle de comportement et de preuves factuelles.
Israël se défendra devant la CIJ, créée par les Nations unies, en insistant sur le fait qu’il a cherché à protéger sa population civile en tentant de détruire le Hamas, mais pas le peuple palestinien. Il affirme que ses plans d’après-guerre pour Gaza, qui prévoient une gouvernance par les Palestiniens, prouvent l’absence d’intention génocidaire.
Tayab Ali, responsable du droit international chez Bindmans, a déclaré que l’importance de la soumission du Royaume-Uni sur le Myanmar "tenait au fait qu’elle montrait l’importance que le Royaume-Uni attache à l’adhésion à la convention [des Nations unies] sur le génocide et qu’elle montrait que le Royaume-Uni adoptait une définition large, et non pas étroite, des actes de génocide et de l’intention de commettre un génocide". Elle a également précisé que la Cour devrait prendre en compte les risques vitaux après un cessez-le-feu, causés par les handicaps, l’incapacité à résider dans leurs maisons et les injustices plus larges.
"Il serait tout à fait hypocrite que le Royaume-Uni, six semaines après avoir avancé une définition aussi importante et large du génocide dans le cas du Myanmar, en adopte une plus étroite dans le cas d’Israël."
L’Afrique du Sud mettra probablement en avant les arguments du Royaume-Uni concernant le Myanmar, présentés conjointement avec le Canada, l’Allemagne, le Danemark, la France et les Pays-Bas, lorsqu’elle lancera son accusation de génocide à l’encontre d’Israël.
La soumission conjointe de novembre était à l’appui d’une requête initiale déposée auprès de la CIJ par la Gambie en novembre 2019, selon laquelle des actes génocidaires ont été commis lors d’une campagne militaire menée en 2017 par le Myanmar, qui a poussé 730 000 Rohingyas vers le Bangladesh voisin.
Le Myanmar a toujours nié l’existence d’un génocide, rejetant les conclusions de l’ONU comme étant "partiales et erronées". Il affirme que sa répression visait les rebelles rohingyas qui avaient mené des attaques terroristes dans l’État de Rakhine.
La CIJ a accepté à l’unanimité la demande de mesures conservatoires de la Gambie en décembre 2020 et a émis contre le Myamar l’ordre juridiquement contraignant de mettre fin à ses actes de génocide et de rendre compte à la Cour des mesures qu’il prend pour s’y conformer.
En décembre 2022, la CIJ a également rejeté l’affirmation du Myanmar selon laquelle la Gambie n’était pas habilitée à introduire cette requête, et elle étudie actuellement l’affaire sur le fond, en permettant à des États-nations tels que le Royaume-Uni d’intervenir en présentant des arguments juridiques à l’appui. Les groupes de défense des droits de l’Homme ont largement salué l’intervention du Royaume-Uni.
Robert Howse, professeur de droit international Lloyd C. Nelson à l’université de New York, a également extrait aux États-Unis certains des principes clés sur la signification du génocide contenus dans la soumission conjointe et leur pertinence potentielle pour Gaza.
Parmi les passages qu’il souligne figurent : "Une interprétation étroite des actes sous-jacents de génocide masque la manière dont les meurtres et autres actes sous-jacents peuvent être conjugués dans le cadre d’une stratégie coordonnée visant à détruire un groupe protégé. “
“Compte tenu de leur sens ordinaire, les termes ‘destruction physique’ de l’article 11(c) ne sont pas limités aux cas où des membres du groupe meurent immédiatement en raison de des ‘conditions de vie’ infligées au groupe. “
Le document souligne également l’importance des enfants dans l’évaluation d’un génocide. Selon les autorités sanitaires du territoire, près de 10 000 enfants et bébés ont été tués à Gaza, soit environ 40 % des décès.
La soumission concernant le Myanmar affirme : " Le seuil concernant ‘un dommage physique ou mental sérieux’ est plus bas lorsque la victime est un enfant … des actes qui … pourraient ne pas être considérés comme contribuant à la destruction physique ou biologique du groupe lorsqu’ils sont commis sur des adultes, pourraient être considérés comme atteignant ces seuils lorsqu’ils sont commis sur des enfants. "
"Il est important d’adopter une interprétation qui reconnaisse que ce qui signifie pour un enfant ‘un désavantage grave et durable pour [sa] capacité à mener une vie normale et constructive’ peut être différent de celui d’un adulte. "
Le mémoire rappelle également à la CIJ qu’elle a déjà reconnu que "l’article 11(c) de la Convention couvre des méthodes de destruction physique, autres que le meurtre, par lesquelles l’auteur cherche in fine à obtenir la mort des membres du groupe".
Il rappelle que parmi les exemples de tels comportements reconnus par le Tribunal pénal international pour le Rwanda figurent "la soumission d’un groupe de personnes à un régime de survie, l’expulsion systématique des habitations et l’accès aux services médicaux essentiels en deçà des exigences minimales".
Il précise : "Lorsque l’on considère la privation de nourriture ou l’imposition d’un régime de survie, il convient de tenir compte du fait que la quantité de nourriture qui entraînerait la mort d’un adulte est différente de celle qui entraînerait la mort d’un enfant. De même, les besoins médicaux des enfants sont différents de ceux des adultes, et il convient de tenir compte de ces différences pour déterminer si l’absence de certains services médicaux équivaut à l’imposition de conditions de vie qui entraîneraient la destruction de certains membres du groupe."
Selon une fuite du site d’information américain Axios, Israël a déjà ordonné à ses diplomates de susciter une opposition internationale à la plainte sud-africaine, soulignant qu’une décision défavorable "pourrait avoir des implications potentielles significatives qui ne se limitent pas au monde juridique mais qui ont des ramifications pratiques bilatérales, multilatérales, économiques et sécuritaires".
Le gouvernement israélien prend également des mesures pour se dissocier de certaines des remarques les plus extrêmes faites par des ministres et d’autres politiciens élus au sujet du déplacement des Palestiniens de Gaza.
Le ministère des affaires étrangères a été contacté pour un commentaire.
Traduction : AFPS