Le lieu clos est bien là : qu’il s’agisse de Gaza où les habitants n’ont ni le contrôle de leurs frontières maritimes, ni celui de leurs frontières terrestres, ni le droit d’utiliser la voie aérienne pour quitter cette bande de terre, ou des enclaves situées entre la Ligne Verte (frontière internationalement reconnue de 1967) et un mur (qu’il soit de béton ou de métal avec des barbelés). Pourtant il manque un des éléments de la définition : en punition de quoi des millions de palestiniens sont privés de leur liberté ? Les punitions collectives sont interdites par la Quatrième Convention de Genève de 1949 dans son article 33 et par les règles de la Hague de 1907 sur le droit dans les pays en guerre qui dans leur article 50 interdisent également les punitions collectives.
Pourtant ce sont actuellement 30 500 personnes qui vivent déjà dans des enclaves entre la Ligne Verte et le Mur (source : B’Tselem). Selon le rapport du Secrétaire général de la CIJ, cité dans la décision de cette dernière, ce sont à terme 320 000 Pourquoi Israël a-t-il créé ces enclaves ? Quelle est la réalité de la vie des Palestiniens dans ces enclaves ?
Des enclaves prémices à l’annexion ?
La création d’enclaves correspond à la décision du gouvernement israélien de construire le Mur sur seulement 20% du tracé de la Ligne Verte (source : rapport de OCHA, février 2005). Si l’on s’interroge sur les raisons de ce choix une simple étude d’une carte de Cisjordanie apporte des réponses : le tracé du mur correspond à la carte des principales colonies. Ainsi la décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ) concernant l’illégalité du Mur déclare : « que le tracé du mur tel qu’il a été fixé par le Gouvernement israélien incorpore dans la « zone fermée » (la partie de la Cisjordanie comprise entre la Ligne verte et le mur) environ 80 % des colons installés dans le territoire palestinien occupé et qu’il a été fixé de manière à inclure dans la zone la plus grande partie des colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est). » Dès lors on se retrouve loin des justifications sécuritaires données par Israël pour légitimer cette construction. La CIJ fait là encore part de ses doutes en affirmant qu’elle « n’est pas convaincue que la construction du mur selon le tracé retenu était le seul moyen de protéger les intérêts d’Israël contre le péril dont il s’est prévalu pour justifier cette construction. Si Israël a le droit, et même le devoir, de répondre aux actes de violence, nombreux et meurtriers, visant sa population civile, en vue de protéger la vie de ses citoyens, les mesures prises n’en doivent pas moins demeurer conformes au droit international applicable ».
La zone ainsi créée est appelée « seam zone » c’est-à-dire la zone fermée. Zone fermée car elle est officiellement une zone militaire (arrêté des autorités militaires israéliennes). Les personnes qui vivaient dans les villages situés dans cette zone sont aujourd’hui tenues d’obtenir un permis pour continuer à vivre dans leurs maisons. Cette procédure est contraire au droit international et au droit humanitaire selon les conclusions du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, M. John Dugard, sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés. Leur situation est en effet totalement dépendante du bon vouloir des autorités d’occupation qui peuvent à tout moment leur refuser l’accès à leurs terres et à leurs maisons. Ce phénomène fait donc craindre seront vidées de leurs habitants palestiniens et annexée à l’Etat d’Israël. Il s’agit donc à travers des mesures administratives et la construction du mur de pratiquer de nouvelles spoliations de propriétés palestiniennes.
La photo ci-contre d’une serre abandonnée dans le village d’Azoun Atmeh montre le risque pour le futur : une désertion des villageois, et notamment des agriculteurs et des jeunes, qui va provoquer une situation de crise démographique et la mise en friche de terres qui seront dès lors annexée.
Le cas d’Azoun Atmeh : un village oublié
Les habitants des villages enclavés se retrouvent coupés du monde. Autour d’eux ce sont massivement des colonies de peuplement israéliennes qui n’attendent que leur départ pour pouvoir s’étendre. Ainsi le village d’Azoun Atmeh, situé dans une enclave, se retrouve encerclé par des colonies (voir photo ci-dessous).
Vue depuis le haut du village de Azoun Atmeh sur les colonies voisines.
Afin d’accéder à ce village il n’y a qu’une porte agricole qui le relie à Beit Amin. Pour passer cette porte il faut être muni d’un permis délivré par les autorités d’occupation (DCO : district coordination office). Pour cela il faut pouvoir justifier de son domicile ou de la propriété de ses terres à l’intérieur du village. Les personnes ayant été en prison sont de fait exclues de ce droit d’entrée. Pour les observateurs ou les organisations souhaitant travailler dans ce village, il s’agit d’un parcours du combattant. Malgré notre titre de travail dans une ONG agricole majeure ayant des programmes dans le village, nous n’avons pas été à même d’entrer. De la même manière une étudiante américaine, pourvue d’un visa d’étudiant et d’une lettre de l’université Stanford, et qui réalise une thèse sur l’agriculture palestinienne s’est vu refuser l’accès à ce village. Pour nous, internationaux, une alternative : passer par l’ouest, par Israël afin d’atteindre ce village. 1h20 plus tard nous pouvons enfin entrer par l’ouest de la ligne verte. Pour les palestiniens c’est impossible, si l’accès leur est refusé à la porte agricole, aucune alternative.
Les résidents d’Azoun Atmeh se sont vus confier des papiers d’identité israéliens nécessaire pour vivre dans cette « zone militaire fermée ». Mais ils ne peuvent aller en Israël et ne peuvent aller en Cisjordanie car craignent - à tort ou à raison - que durant leur absence leur maison ne soit détruite. Mais l’histoire semble leur donner raison, car certains habitants du village partis vivre en Cisjordanie ont vu leurs terres confisquées par des colons voisins.
Ce village a perdu une totalité de 690 dunums (69ha) qui ont été annexés soit aux colonies voisines soit occupés par le mur. Il ne reste que 10% des terres initialement disponibles dans le village. Selon les personnes interrogées, quatre familles auraient acceptées de vendre leurs propriétés aux israéliens, pour un total de 200 dunums (20ha) le reste des propriétés à tout simplement été annexé « pour des raisons de sécurité » selon les autorités israéliennes (source : site du ministère de la défense à propos du mur). Aucune indemnisation n’a été versée à ces familles qui ont parfois perdu avec leurs terres, leur source de revenu.
Mahadiyyeh est une jeune femme de 37 ans. Elle a perdu 5 des 6 dunums qu’elle possédait auparavant, et avec eux un puit et des oliviers. Aujourd’hui elle n’a qu’un petit potager avec lequel elle tente de nourrir sa famille mais qui est peu productif du fait de l’insuffisance en eau pour l’irrigation. Elle dispose aussi de trois moutons, don d’un programme de développement français, qui lui permette une mince entrée d’argent. Elle dit ne rien espérer de l’Autorité Palestinienne car ces zones ne font plus partie ni de la Palestine, ni d’Israël. A la question pourquoi reste-t-elle dans le village elle répond simplement : « Mes ancêtres sont morts ici, je veux mourir ici ».
Abdallah Ahmad Youssef Amra est un vieil homme du village. Il dit pouvoir parler librement, sans peur car « personne ne pourra (le) faire taire même sur Sharon ou Arafat ». Il regrette le temps où la Palestine connaissait l’abondance des terres fertiles alors qu’aujourd’hui elle doit demander de l’aide à l’extérieur. Abdallah a beaucoup perdu dans la colonisation israélienne. Il avait auparavant 33 dunums (3,3ha) de terres à Beit Amil (le village voisin), mais en 1981, la colonisation a confisqué ses terres. « La propriété de cette terre remontait à la période ottomane, pas seulement à mon père ou mon grand-père » raconte-t-il. Il perd par la même occasion la quasi-totalité de ses oliviers. Il n’en sauvera que 9 sur les cent qu’il possédait et pourra les replanter dans une nouvelle terre. Malgré cela Abdallah a eu le courage de racheter de nouvelles terres dans le village (8,5dunum soit moins d’un hectare). Abdallah fait remarquer la logique sournoise de la colonisation : il ne peut avoir de permis pour aller cultiver ses terres de Beit Amil (malgré une procédure en justice), mais peut parfaitement, compte tenu de son âge [1], avoir un permis pour aller travailler dans les entreprises des colonies voisines.
Agriculteur depuis toujours il refuse de devenir une main-d’oeuvre bon marché pour les colonies. Mais il avoue connaître de nombreuses difficultés : tout d’abord parce qu’il a aujourd’hui peu de terres, ensuite parce qu’il ne peut plus vendre ses produits en Israël - comme avant l’Intifada - enfin parce que tous les coûts des intrants (eau, traitements et transport) ont augmenté et que la rentabilité de sa production s’en trouve réduite. Les produits palestiniens ont du mal à s’imposer sur le marché face aux produits israéliens subventionnés. Malgré tout, il ne veut pas quitter sa terre : « Je ne veux pas aller dans les autres pays et devenir réfugié. C’est ma terre, celle où je dois vivre et mourir ». Il regrette que le village soit abandonné des ONG et de l’Autorité Palestinienne qui semblent parfois « oublier » les villages enclavés.
Mas-ha ou comment on les a mis en cage
La famille Hamar est un cas emblématique de l’impact du mur sur la vie des Palestiniens mais aussi du caractère non sécuritaire de la construction du mur. Cette famille de huit personnes vit en effet encerclée par un mur de béton et une barrière de métal, coupée du reste du village de Mas-ha. Lors de la construction du mur autour du village, les Israéliens ont laissé cette seule maison à l’ouest, du côté israélien. Pourquoi isolée cette petite maison et cette famille ? La réponse se trouve sans doute dans la présence d’une colonie, Elkana, à quelques mètres de la maison, et l’on peut comprendre que les colons n’aient pas voulu voir le mur à quelques mètres de leur fenêtre. Sans doute aussi parce que cette maison est du mauvais côté de la route militaire qui traverse la zone. Il était stratégiquement difficile de placer cette route à l’est du mur, du côté palestinien. Enfin la réponse est peut-être à voir dans la volonté d’extension de cette colonie et donc dans le désir de construire de nouvelles habitation sur ce terrain une fois que la famille Hamar l’aura quitté. Les Israéliens ne comptaient sans doute pas alors sur la résistance du chef de famille Hani qui depuis 2 ans vit avec sa famille dans des conditions inhumaines. Malgré les propositions israéliennes de donner de l’argent à la famille pour qu’elle parte de ce terrain, celle-ci a refusé. « Pourquoi je devrai quitter ma maison. Si quelqu’un venait t’expulser de chez toi, tu ferais quoi ? Ce sont plusieurs années d’économies et d’efforts pour construire cette maison, nous ne voulons pas partir » nous affirme Mounira, la femme de Hani.
Quelle est la vie de cette famille ? Lors de notre venue, la femme était à la maison avec une de ses filles. Elle ne quitte presque plus la pièce principale, car lorsque son mari part travailler au champ, il faut que quelqu’un reste constamment à l’intérieur de peur que les israéliens ne viennent pendant leur absence pour détruire la maison et annexée cette terre. Le mari quant à lui doit parcourir de longues distances pour rejoindre ses terres qui sont situées à Azoun Atmeh, il lui faut aujourd’hui parcourir 14km pour rejoindre ses terres là où auparavant 20 minutes de marche suffisaient, et cela a un coût puisqu’il doit prendre un service (bus collectif) pour aller de Mas’ha à Azoun Atmeh. Une seule fois par an, la porte militaire qui relie sa maison aux terres d’Azoun Atmeh est ouverte, lors de la saison de récolte des olives, en novembre. Mais ce n’est que pendant deux semaines et seulement 5heures par jour, avec pour seul moyen de transport de la récolte son âne. A cette occasion il sollicite l’aide de mouvement de solidarité pour l’aider, et constate qu’il s’agit le plus souvent d’israéliens, car les internationaux ne peuvent se rendre dans cette zone qualifiée de « zone militaire fermée ».
Les souvenirs de la première année de vie dans cette enclave sont encore une blessure à vif dans la mémoire de Mounira. En effet lors de cette première année, la porte qui sépare cette maison du reste du village était fermée et seuls les soldats israéliens avaient la clé dont ils décidaient arbitrairement de l’usage. Ainsi Mounira se souvient d’une nuit où un de ses enfants était malade, mais personne n’était là pour leur ouvrir la porte afin qu’ils puissent accéder à un médecin ou à l’hôpital. Des personnes du village se sont relayées pour apporter de la nourriture à cette famille pendant la période de leur isolement. En outre de nombreux groupes de solidarité internationale sont venus soutenir la famille et tenter de lutter contre son enfermement, mais sans que cela n’ait d’impact, autre que médiatique, sur Israël. Ce n’est qu’après trois mois de procédure auprès des autorités d’occupation que la famille a obtenu le droit d’avoir une clé pour accéder au reste du monde.