TANDIS QU’OBAMA se fait le héraut du 21ème siècle, le gouvernement d’Israël retourne au 19ème.
Un seul homme a parlé au monde, et le monde a écouté.
Il s’est avancé sur la scène au Caire, seul, sans escorte et sans assistants, pour adresser un discours à un auditoire de milliards de gens. Les Égyptiens et les Américains, les Israéliens et les Palestiniens, les Juifs et les Arabes, les Sunnites et les Chiites, les Coptes et les Maronites – et ils ont tous écouté avec attention.
Il a déplié devant eux la carte d’un nouveau monde, un monde différent dont il a énoncé les valeurs et les lois dans une langue claire – un mélange d’idéalisme et de politique concrète, vision et pragmatisme.
Barack Hussein Obama – comme il a pris la peine de se présenter – est l’homme le plus puissant de la terre. Chaque parole qu’il prononce est un fait politique.
“UN DISCOURS HISTORIQUE”, ont déclaré les commentateurs dans une centaine de langues. Je préfère un autre adjectif :
Le discours était juste.
Chaque mot était à sa place, chaque phrase précise, chaque tonalité en harmonie. Le chef-d’œuvre d’un homme qui apporte un message nouveau au monde.
Dès le tout premier mot, chaque auditeur dans la salle et dans le monde ressentit l’honnêteté de l’homme, que son cœur et sa langue étaient en harmonie, que ce n’était pas là un politicien de la vieille espèce familière – hypocrite, moralisateur, calculateur. Le langage de son corps était éloquent, comme les expressions de son visage.
Voilà pourquoi le discours était si important. L’intégrité morale nouvelle et le sentiment d’honnêteté accroissait l’impact du contenu révolutionnaire.
Et c’était assurément aussi un discours RÉVOLUTIONNAIRE ;
En 55 minutes il a non seulement balayé les huit années de Georges W. Bush, mais aussi beaucoup des décennies précédentes depuis la seconde guerre mondiale.
Le navire américain a viré de bord – non pas avec la lenteur que tout un chacun aurait imaginé, mais avec l’agilité d’un hors-bord.
C’est là beaucoup plus qu’un changement politique. Cela touche aux racines de la conscience nationale américaine. Le président s’adressait autant aux centaines de millions de citoyens américains qu’à un milliard de musulmans.
La culture américaine est fondée sur le mythe de l’ouest sauvage avec ses bons et ses mauvais garçons, sa justice violente, s’affrontant sous le soleil de midi. Du fait que la nation américaine est composée d’immigrants du monde entier, son unité semble exiger un ennemi menaçant, malfaisant au plan mondial, comme les nazis et les Japs ou les cocos. Après l’effondrement de l’empire soviétique, ce rôle a été repris par l’Islam.
Un Islam cruel, fanatique, sanguinaire : l’Islam comme religion du meurtre et de la destruction, assoiffé du sang des femmes et des enfants. Cet ennemi a captivé l’imagination des masses et fourni de la matière à la télévision et au cinéma. Il a fourni des sujets de conférences à de savants professeurs et une inspiration nouvelle à des romanciers populaires. La Maison Blanche était occupée par un idiot qui déclara une “guerre au terrorisme” à l’échelle du monde.
Quand Obama entreprend maintenant de déraciner ce mythe, il est en train de révolutionner la culture américaine. Il efface l’image d’un ennemi sans la remplacer par l’image d’un autre ennemi. Il prêche contre l’attitude violente, l’attitude d’opposition elle-même, et commence à travailler à son remplacement par une culture du partenariat entre les nations, les civilisations et les religions.
Je vois en Obama le premier grand messager du 21ème siècle. Il est le fils d’une ère nouvelle, où l’économie est mondiale et où l’humanité entière fait face à une menace contre l’existence même de la vie sur la planète Terre. Une ère qui voit internet mettre en relation un garçon de Nouvelle Zélande avec une fille de Namibie en temps réel, où une maladie dans un petit village mexicain se répand en l’espace de quelques jours dans le monde entier.
Ce monde a besoin d’un droit mondial, d’un ordre mondial, d’une démocratie mondiale. Voilà pourquoi ce discours était réellement historique : Obama a dessiné les contours fondamentaux d’une constitution mondiale.
TANDIS QU’OBAMA annonce le 21ème siècle, le gouvernement d’Israël est en train de retourner au 19ème siècle.
Ce fut le siècle où un nationalisme étroit, égocentrique, agressif prit racine dans de nombreux pays. Un siècle qui sacralisa la nation belliqueuse qui opprime ses minorités et soumet ses voisines. Le siècle qui donna naissance à l’antisémitisme moderne et à sa réponse – le sionisme moderne.
La vision d’Obama n’est pas antinationale. Il a parlé avec orgueil de la nation américaine. Mais son nationalisme est d’une autre nature : un nationalisme intégrateur, multi culturel et non sexiste, qui intègre tous les citoyens du pays et respecte les autres nations.
Voilà le nationalisme du 21ème siècle qui progresse inexorablement vers des structures supranationales, régionales et mondiales.
En comparaison de cela, qu’il est misérable l’univers mental de la droite israélienne ! Qu’il est misérable le monde violent, fanatico-religieux des colons, le ghetto chauvin de Netanyahu, Lieberman et Barak, le monde clos de leurs alliés kahanistes !
Il est nécessaire de comprendre cette dimension spirituelle et morale du discours d’Obama avant d’en examiner les implications politiques. Non seulement Obama et Netanyahu sont sur des positions antagonistes dans la sphère politique. L’antagonisme sous-jacent est celui de deux univers mentaux qui sont aussi éloignés l’un de l’autre que le soleil et la lune.
Dans l’univers mental d’Obama, il n’y a aucune place pour la droite israélienne ou ses équivalents ailleurs. Ni pour leur vocabulaire, ni pour leurs “valeurs”, et encore moins pour leurs actions.
DANS LA sphère politique, aussi, un énorme fossé s’est creusé entre les gouvernements d’Israël et des États-Unis.
Au cours des quelques années récentes, les gouvernements israéliens successifs ont chevauché la vague de l’islamophobie qui s’est répandue à travers tout le monde occidental. Le monde islamique était considéré comme l’ennemi mortel, l’Amérique s’acharnait à courir vers le clash des civilisations, chaque musulman était un terroriste en puissance.
Les dirigeants de la droite israélienne pouvaient se réjouir. Après tout, les Palestiniens sont des Arabes, les Arabes sont musulmans, les musulmans sont des terroristes – en sorte qu’Israël était assuré d’occuper une position centrale dans la guerre des Fils de Lumière contre les Fils des Ténèbres.
C’était un jardin d’Éden pour les démagogues racistes. Avigdor Lieberman pouvait plaider pour l’expulsion des Arabes d’Israël, Ellie Yishai pouvait promulguer des lois pour la révocation de la citoyenneté des non-juifs. D’obscurs membres de la Knesset pouvaient faire les titres des journaux avec des lois qui auraient pu être conçues à Nuremberg.
Ce jardin d’Éden n’est plus. Que les implications en deviennent claires de façon rapide ou lentement – la direction est évidente. Si nous continuons à suivre la même trace nous allons devenir une colonie de lépreux.
LA TONALITÉ fait la musique – et cela s’applique aussi aux mots du président sur Israël et la Palestine. Il a parlé enfin de l’Holocauste – des mots honnêtes et courageux, pleins d’empathie et de compassion, qui ont été accueillis par les Égyptiens en silence mais avec respect. Il a insisté sur le droit d’Israël à l’existence. Et, dans la foulée, il a parlé des souffrances des réfugiés palestiniens, de la situation intolérable des Palestiniens à Gaza, des aspirations des Palestiniens à un État à eux.
Il a parlé avec respect du Hamas. Non plus du tout comme d’une “organisation terroriste” mais comme d’une composante du peuple palestinien. Il a exigé qu’il reconnaisse Israël et qu’il mette un terme à la violence, mais il a aussi laissé entendre qu’il accueillerait favorablement un gouvernement palestinien d’unité.
Le message politique était clair et sans équivoque : la solution à deux États sera mise en pratique. Il y veillera personnellement. L’activité de colonisation doit s’arrêter. À la différence de ses prédécesseurs, il ne s’est pas contenté de parler des “Palestiniens”, mais il a prononcé le mot décisif : “Palestine” – le nom d’un État et d’un territoire.
Et non moins important : la guerre contre l’Iran a été retirée du programme. Le dialogue avec Téhéran, comme élément du monde nouveau, n’est pas limité dans le temps. Désormais, personne ne peut même rêver d’un OK américain à une attaque israélienne.
QUELLE A ÉTÉ la réponse officielle d’Israël ? La première réaction fut une réaction de rejet. “Un discours sans importance”. “Il n’y avait rien de nouveau”. Les commentateurs des milieux dirigeants ont extrait du texte quelques phrases pro-israéliennes en ignorant toutes les autres. Et après tout, “ce ne sont que des mots. C’est une façon de parler. Il n’en sortira rien.”
C’est absurde. Les mots du président des États-Unis sont plus que de simples mots. Il s’agit de faits politiques. Ils modifient la perception de centaines de millions de gens. Le public musulman était à l’écoute. Le public américain était à l’écoute. Il se peut qu’il faille du temps pour que le message pénètre. Mais, après ce discours, le lobby pro-israélien ne sera plus jamais le même que par le passé. L’ère des “foile shtik” (coups tordus en Yiddish) est révolue. La malhonnêteté sournoise d’un Shimon Peres, les duperies astucieuses d’Olmert, les gentils bavardages d’un Bibi Netanyahu – toutes ces choses appartiennent au passé.
Le peuple israélien doit maintenant décider : soit suivre le gouvernement de droite vers un affrontement inévitable avec Washington, comme le firent les Juifs il y a 1940 ans lorsqu’ils ont suivi les zélotes dans une guerre suicidaire contre Rome – ou se joindre à la marche d’Obama vers un monde nouveau.