Le sujet est trop complexe et trop vaste pour être traité en une seule conférence. Je me contenterai d’aborder ici quatre ou cinq points parmi les dix à quinze qui mériteraient une réflexion approfondie.
1 - La stratégie d’Ariel Sharon
Contrairement à l’opinion exprimée par la plupart des journalistes, Ariel Sharon n’est pas un impulsif, ni un versatile qui changerait de politique comme de chemise. Au contraire, il est extrêmement cohérent même s’il sait adapter sa ligne de conduite à l’évolution des rapports de forces intérieurs et extérieurs.
Cas singulier dans la vieille classe politique israélienne, Ariel Sharon a été nourri à deux mamelles : d’une part la pensée du Parti travailliste de David Ben Gourion, dont il a été un des chefs militaires à partir de la guerre de 1948, et d’autre part la pensée de Zeev Jabotinsky et de sa « muraille d’acier » (1923), dont il a retrouvé les héritiers au sein du Herout, devenu Likoud, qu’il a rejoint en 1977.
La politique israélienne s’est heurtée, à partir de 1967, à une contradiction insoluble : comment maintenir l’occupation des territoires palestiniens conquis depuis 1967 tout en évitant de s’exposer au risque du différentiel démographique irréversible qui ferait basculer la majorité au bénéfice de la population arabe et au détriment de la population juive ?
Tout un pan de la stratégie des gouvernants israéliens a consisté à tenter de retarder une évolution démographique jugée pourtant inéluctable. En effet, compte tenu des rythmes de l’évolution démographique naturelle observée dans l’ensemble des territoires constitués par les territoires occupés (Cisjordanie + Bande de Gaza) et par l’Etat d’Israël, la population palestinienne sera majoritaire d’ici 2010 et très nettement majoritaire d’ici 2020.
Cette évolution s’avère problématique pour les dirigeants israéliens placés devant l’alternative suivante :
– affirmer le caractère démocratique d’Israël, ce qui conduirait, à moyen terme, à la disparition du caractère juif de l’Etat ; ou
– s’accrocher au caractère juif d’Israël et du coup imposer la domination d’une minorité sur la majorité, autrement dit instaurer un véritable régime d’apartheid qui suscitera des soulèvements de plus en plus durs, auxquels répondront des répressions de plus en plus sanglantes. Au bout de ce scénario se profile une catastrophe : les rapports de force militaires promettent un terrible écrasement aux Palestiniens, mais les rapports de force politiques annoncent la disparition de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif.
Pour sortir de ce dilemme, il n’y a, du point de vue israélien, que deux solutions : - soit la création d’un Etat palestinien souverain à côté de l’Etat d’Israël, qui permette aux deux peuples de coexister pacifiquement ; - soit l’expulsion d’un maximum de Palestiniens, qui préserve la majorité juive dans le « grand Israël », du moins provisoirement. Mais les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de cette seconde option ne sont pas réunies.
Du côté israélien, la population n’est pas - pas encore ? - prête à l’accepter. Du côté des Palestiniens, les leçons de l’exode de 1948 ont été tirées : ils s’arc-boutent sur leur terre, malgré les souffrances endurées du fait de l’occupation. Un ami d’Hébron me disait toujours : « J’hésite à aller acheter un paquet de cigarettes, parce que je sais que quand mon grand-père, en 1948, est allé acheter un paquet de cigarettes et n’est plus jamais rentré chez lui. » Et les Etats arabes (Jordanie, Egypte, Syrie et Liban) n’ont absolument pas l’intention d’ouvrir leurs frontières à de nouvelles vagues de réfugiés.
Quant à la communauté internationale, je ne peux pas imaginer qu’elle accepte passivement un crime de cette ampleur. On le voir déjà aujourd’hui : s’il bénéficie de l’appui inconditionnel des Etats-Unis, première puissance mondiale, Israël n’en reste pas moins très isolé sur le plan diplomatique. Ainsi, lors du vote, le 20 juillet 2004, de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies consécutive à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur le mur, il ne s’est trouvé que quatre pays (en dehors d’Israël et des Etats-Unis) sur 191 Etats membres de l’ONU : l’Australie, la Micronésie, les Iles Marshall et les îles Palau pour s’opposer à cette résolution condamnant l’érection du Mur. En revanche, les vingt-cinq pays de l’Union européenne ont adopté ce texte demandant notamment à Israël de démanteler le mur, de restituer les terres volées pour le construire et de dédommager les Palestiniens des dégâts commis.
Revenons à notre dilemme. Dès sa prise de fonction comme Premier ministre, Ariel Sharon a délibérément exclu la première solution - la création d’un véritable Etat palestinien - et même tout fait pour barrer durablement la voie diplomatique. La seconde solution - l’expulsion, qu’en Israël on dissimule sous le terme de « transfert » -, il en rêve sans doute, mais il sait très bien que les conditions n’en sont pas réunies. Pour surmonter cette contradiction, il a donc conçu une stratégie parfaitement cohérente.
Pour la comprendre, il convient de se référer au livre du sociologue israélien Baruch Kimmerling, publié en 2003, Le Politicide. Le politicide en question n’est pas la destruction des Palestiniens comme entité physique, autrement dit un génocide, mais la destruction de la Palestine comme entité politique capable d’exercer sa souveraineté sur une quelconque partie du territoire conquis par Israël. L’objectif numéro 1, c’est d’empêcher à tout prix que soient jetées les bases d’un Etat palestinien indépendant.
C’est la raison pour laquelle, depuis février 2001, date de sa prise de fonction, Ariel Sharon a tout fait pour :
– en finir avec les accords d’Oslo ;
– réoccuper l’ensemble de la Cisjordanie (sauf la petite zone autonome de Jéricho) ;
– détruire l’Autorité palestinienne, non seulement en marginalisant Yasser Arafat, mais en détruisant les infrastructures indispensables à la vie quotidienne des Palestiniens (routes, canalisations d’eau, bâtiments publics, écoles) ;
– renforcer et accélérer la colonisation, en accroissant le nombre de résidents dans les anciennes colonies et en en créant de nouvelles (ces fameux « avant-postes » destinés à devenir de nouvelles colonies de peuplement) ;
– engager de nouvelles opérations de « transfert ».
Une précision importante : Les dirigeants israéliens savent que le prix politique et diplomatique d’un « transfert » massif, opéré par l’armée, serait exorbitant. S’ils n’écartent pas cette éventualité en cas de guerre ou de situation d’extrême tension, pour l’instant ils se contentent d’un « transfert » progressif. « Le transfert - expliquent deux responsables de l’association pacifiste Taayush (Vivre ensemble), Gadi Algazy et Azmi Bdeir - n’est pas nécessairement un moment dramatique, où les gens sont expulsés et fuient leur ville ou leur village. C’est un processus en profondeur, un processus rampant qu’on ne voit pas. Sa principale composante est la destruction graduelle des infrastructures de la vie de la population civile palestinienne dans les territoires. Et ce que les bouclages de l’armée ne réussissent pas à faire, les colons y parviennent : chaque nouvelle implantation ou avant-poste exige l’expulsion des Palestiniens des zones environnantes et la transformation de terres agricoles en terres de mort. »
La construction du mur et son tracé sont l’expression la plus visible de cette stratégie d’Ariel Sharon. Pour Israël, ce mur :
– offre une sécurité accrue contre les attentats suicides (c’est le prétexte officiel légitimant le mur, mais on ne peut pas nier que le nombre d’attentats suicide a considérablement diminué depuis son érection, ce qui conforte le soutien de la majorité de la population israélienne obsédée par sa sécurité) ;
– lui permet la prise de contrôle direct de la portion de territoire palestinien comprise entre la « Ligne verte » et le mur, en vue de son annexion ;
– englobe les principales colonies et la majorité des colons et les rattache de fait à Israël ;
– procède de facto à l’expulsion progressive des Palestiniens vivant entre la frontière de 1967 et le mur ou cultivant des terres enclavées dans cette portion de territoire ;
– enferme le reste du futur Etat palestinien dans un ensemble de zones réduites fractionnées et sans liaison entre elles. (Le reste de la Cisjordanie, amputé probablement de la vallée du Jourdain, serait au moins coupé en trois grandes zones parfaitement verrouillées).
L’annonce du retrait unilatéral de Gaza pourrait paraître aller à l’encontre d’un tel projet et mettre en cause sa cohérence. Ce n’est pas le cas, car il permet à A Sharon de :
– lâcher un peu de lest par rapport à la communauté internationale, surtout depuis l’avis de la Cour internationale de justice et la résolution de l’ONU du 20 juillet dernier, du moins jusqu’à la prochaine élection présidentielle américaine en novembre ;
– continuer à berner l’opinion publique mondiale et israélienne, en leur faisant croire qu’il s’agit d’un pas vers la paix, qui s’inscrit dans le cadre de la « Feuille de route », dont formellement il se réclame tout en en ayant rejeté 14 des points essentiels ;
– recentrer les efforts politiques et militaires sur la maîtrise du reste de la Cisjordanie. Les avantages l’emportent donc largement sur les inconvénients, d’autant que le retrait :
- repousse de une à deux décennies l’échéance de l’avènement d’une majorité de Palestiniens sur l’ensemble du « Grand Israël » ;
- évite à Israël d’avoir à prendre en charge le million (et plus) de Palestiniens de Gaza après avoir cassé les infrastructures lui permettant de vivre.
La bande de Gaza est d’ailleurs transformée en une véritable prison à ciel ouvert, entièrement verrouillée à l’extérieur et susceptible d’être coupée par l’armée, à l’intérieur, en trois portions, et ce en moins d’une heure. L’opération militaire de destruction de maisons à Rafah, en mai 2004, n’avait rien d’une « bavure » commise par des soldats cherchant à venger leurs morts de la veille. En utilisant ce prétexte, Tsahal entendait surtout verrouiller la frontière de la bande de Gaza avec l’Egypte, pour compléter le verrouillage décrit plus haut.
2 - Une population israélienne schizophrène
Une armée de libération ne peut pas vaincre son adversaire occupant si elle ne connaît pas l’autre, son ennemi, et les ressorts qui animent sa population et ses dirigeants. C’est une des raisons qui ont permis au FLN algérien de l’emporter. Le FLN n’a pas remporté une victoire militaire : il a gagné sur le terrain politique, au niveau international, mais surtout parmi la population française de la métropole.
Une des principales faiblesses historiques du mouvement national palestinien fut sa méconnaissance de la réalité de l’Etat d’Israël et de l’état d’esprit de sa population, mais aussi de l’histoire dont il est issu - et qui explique ce qu’il incarne aussi pour nombre de juifs à travers le monde. A leur décharge, il faut dire que les Palestiniens ont rarement eu l’occasion de recherches et d’échanges sereins avec les Israéliens ! D’où une vision souvent fausse de l’opinion israélienne.
Ainsi, actuellement, on observe chez les Palestiniens deux erreurs courantes :
– une vision idyllique : c’est celle de certains signataires du protocole d’accord de Genève - Israéliens, mais aussi Palestiniens - qui croient que la majorité de la population israélienne, opposée à la politique d’Ariel Sharon, ne rêve que de faire la paix avec le peuple palestinien ;
– une vision désespérée d’un pays dont les habitants, désormais partisans de l’expulsion des Palestiniens, auraient basculé dans le fascisme, ou, du moins, avanceraient dans cette direction.
Or la réalité est plus complexe. La population israélienne est frappée de schizophrénie collective depuis vingt ans (et pas seulement depuis quatre ans), mais depuis la guerre du Liban et la première Intifada. Une nette majorité de la population israélienne ne croit pas que le conflit ait une solution militaire : elle s’est résignée à la nécessité d’un compromis, du retrait de l’armée et des colons des territoires occupés et de l’instauration d’un Etat palestinien indépendant aux côtés d’Israël. (De même qu’une majorité de Palestiniens s’est résignée à l’idée de coexister avec l’Etat d’Israël). Mais, comme le confirment tous les sondages, ce n’est pas par amour de l’ennemi, ni même par attachement à l’idéal de la paix : c’est simplement pour avoir la paix - au sens de « fichez-nous la paix ».
Pour les Israéliens aussi, le conflit est évidemment meurtrier, mais aussi sources de perturbations majeures de leur vie quotidienne : le service militaire dure trois ans, s’y ajoute un mois de réserve (ou plus) chaque année, sans parler de l’impossibilité de voyager dans les pays environnants. Cette évolution ne les empêche cependant pas, attentats kamikazes aidant, de voter pour Ariel Sharon et d’approuver sa politique de force, y compris la construction du mur. Mais pourquoi une telle schizophrénie ? Ariel Sharon, mais surtout avant lui Ehoud Barak (le Parti travailliste porte une lourde responsabilité dans cette situation), ont réussi à convaincre leur opinion publique que :
– les Palestiniens ont refusé l’« offre généreuse » d’Israël à Camp David en juillet 2000 ;
– leur insistance sur le droit au retour était non pas la réaffirmation d’un principe reconnu par la communauté internationale à partir duquel on pouvait négocier des solutions pragmatiques, mais l’expression de la négation du droit à l’existence d’Israël, de la volonté de le détruire et de le submerger démographiquement. Cette thèse a été véhiculée également par de nombreux intellectuels comme Amos Oz, A.B. Yeshoshua et même - un temps - David Grossman ;
– bref, la paix n’est plus possible, car il n’y a plus d’interlocuteur pour la négocier du côté palestinien - formule simpliste, mais adaptée à une opinion volontiers simpliste. Ces thèses ont été martelées par les médias.
Mais elles ont surtout été « bétonnées » par les attentats suicides touchant des civils au hasard dans les rues de Jérusalem, de Tel-Aviv, de Haïfa, etc. Il faut bien sûr réfléchir sur les raisons conduisant de jeunes Palestiniens à se faire sauter pour tuer autant d’Israéliens que possible et se sacrifier dans ces actions suicides. Mais il faut aussi mesurer l’impact de ces attentats, véritables chocs à répétition sur la population civile israélienne et sur les juifs à l’étranger.
Leur retentissement énorme tient aussi au fait qu’ils ravivent le traumatisme du génocide hitlérien, entretenu en Israël par tout un travail de mémoire à caractère souvent obsessionnel -Izkor, le film d’Eyal Sivan, décrypte bien ce phénomène. Quand on parle du bilan de la deuxième intifada, on évoque le chiffre de 1 000 morts israéliens, ce qui est énorme en quatre ans. Mais ce chiffre est encore plus terrible quand on le rapporte à la France, qui compte dix fois plus d’habitants qu’Israël : c’est l’équivalent de 10 000 morts chez nous. De la même manière, les 3 000 morts palestiniens victimes de l’armée israélienne représentent l’équivalent de 60 000 morts en France !
Du côté palestinien, cette saignée explique également l’extrême difficulté dans laquelle se trouve l’Autorité palestinienne : elle n’a plus aucun moyen de protéger sa population contre les attaques de l’armée israélienne et des colons, et tout ce qu’elle avait construit avec l’aide internationale a été démantelé et détruit. D’où une grave perte de crédit vis-à-vis de sa propre population, accentuée par les affaires de corruption. Or les jeunes Palestiniens demandent légitimement à cette Autorité de les défendre, eux et leurs parents, et d’agir. On peut donc comprendre que l’impuissance de la direction palestinienne provoque du désespoir et de la colère, voire le désir de commettre des actes irresponsables, bien qu’ils fassent le jeu de la droite israélienne.
Car Ariel Sharon a su parfaitement tirer parti de ce terrain fertile, qui sert sa stratégie :
– d’abord en écartant résolument toute tentative de relance du processus de paix, de manière à ce qu’on ne parle même plus, en dépit du mirage de la Feuille de route, d’une telle perspective ;
– en poussant les groupes extrémistes palestiniens à commettre des actes terroristes, souvent au moment où il en a besoin (par « terrorisme » j’entends tout acte de violence, d’un individu, d’un groupe et a fortiori d’un Etat à l’encontre de civils pris en otages alors qu’ils n’ont aucune responsabilité directe dans le conflit) ;
– en exploitant systématiquement chaque attentat sur le plan médiatique ;
– si nécessaire, en provoquant lui-même les attentats dont il a besoin.
Ainsi, pour faire échouer la mission du général américain Zini, envoyé spécial de George W. Bush, en novembre 2001, le général Sharon n’a pas hésité à faire assassiner le chef du Hamas en Cisjordanie. Il espérait que ce mouvement riposte en commettant des attentats qui entraîneraient l’avortement de la « médiation » en cours. De fait, le Hamas a frappé brutalement à Jérusalem et Haïfa, M. Zini est reparti aux Etats-Unis et Israël en a profité pour lancer le premier assaut contre l’Autorité palestinienne, avec une réoccupation partielle de la Cisjordanie et un siège de la Muqataa - le second se produira lors de l’opération « rempart » en avril 2002.
Entre 2001 et 2003, cette tragique « partie de ping-pong » entre Ariel Sharon et le Hamas a permis à Israël de démanteler l’Autorité palestinienne et toute ses infrastructures à Gaza et plus encore en Cisjordanie : car Ariel Sharon a toujours - jusqu’à l’été 2003 - répondu aux attaques islamistes en s’en prenant à Yasser Arafat, accusé de laxisme vis-à-vis des groupes extrémistes. Jamais, en revanche, il ne s’en est massivement pris au Hamas, qui pourtant revendiquait bon nombre d’attentats.
Un tel comportement pose question : quel est le degré de complicité - objective, si ce n’est subjective - entre le Premier ministre israélien et les (des ?) dirigeants islamistes. Les historiens le diront dans 20 ou 30 ans. L’attentat le plus révélateur est sans doute celui de Netanya, le 27 mars 2002, commis par le Hamas et revendiqué par Cheik Yassine, fier d’avoir - selon ses propres mots - « fait couler le sang juif ». Il se produit au soir d’un sommet à Beyrouth où, pour la première fois dans l’histoire du conflit, l’ensemble des pays arabes se déclarent partisans d’une normalisation de leurs relations avec Israël si celui-ci se retirait des Territoires qu’il occupe depuis 1967. L’assassinat de 29 membres d’une famille réunie pour la Pâque juive, a un double effet. Il réduit à néant l’impact politique d’une initiative arabe susceptible de toucher profondément l’opinion israélienne. Et surtout, il sert de prétexte au déclenchement de l’opération « Remparts », avec le siège de Ramallah et la réoccupation des principales villes palestiniennes de Cisjordanie, elle-même accompagnée de destructions et de tueries à Jénine, Naplouse, etc.
Tout ce passe comme si Ariel Sharon avait, de facto, passé à l’époque un pacte avec le Hamas pour en finir avec l’Autorité palestinienne et son président élu. Si pacte il y eut, on comprend l’intérêt des deux parties :
– pour Ariel Sharon, il s’agit d’empêcher toute perspective de construction de l’Etat palestinien ;
– pour le Hamas, il s’agit de se débarrasser du principal obstacle à l’islamisation de la population palestinienne, qui, dans sa majorité, y reste réticente.
3 - Le meilleur atout d’Ariel Sharon : l’absence d’alternative
Il y aurait beaucoup d’autres points à examiner pour tirer le bilan d’ensemble de la politique menée par Ariel Sharon. Il faudrait notamment évoquer les fondements du consensus qui unit l’opinion publique israélienne autour de cette politique.
Les succès de la stratégie d’Ariel Sharon mise en oeuvre depuis février 2001 et l’absence de réaction de masse de la population israélienne doivent également beaucoup :
– au verrouillage de la presse écrite israélienne et à la prise en main par la droite israélienne des autres médias ;
– à la propagande des manuels scolaires israéliens qui, contrairement à ceux de la fin des années 1990, ne font plus mention des résultats des travaux des nouveaux historiens israéliens, et donc ignorent l’expulsion dont les Palestiniens ont été victimes lors de la guerre de 1948 ;
– à l’épuration des universités israéliennes, nombre de professeurs et de chercheurs critiques ayant été écartés des postes d’enseignement ;
– mais aussi et surtout à l’absence d’alternative politique en Israël.
Bien sûr, le mouvement pacifiste - le vrai, celui qui lutte pour une paix juste entre Palestiniens et Israéliens - s’est développé, avec Gush Shalom, Taayush, les Femmes en noir et surtout le mouvement des objecteurs de conscience (le Seruv, en hébreu refus). Près d’un millier de soldats et officiers, actifs et réservistes (dont des pilotes de chasse, l’élite de l’armée), ont publiquement exprimé leur refus de servir dans les territoires occupés. C’est l’équivalent de 10 000 en France : on ne sache pas qu’il y ait eu autant de déserteurs pendant la guerre d’Algérie.
De plus, phénomène récent, des organisations plus modérées, comme « La Paix maintenant », ont participé pour la première fois à des manifestations contre le mur. D’anciens généraux, d’ex-chefs du Mossad ont même pris position contre la stratégie d’Ariel Sharon. L’impact réel de ce mouvement sur la société israélienne a provoqué un durcissement de l’Etat. Fait notable, des soldats israéliens ont tiré sur leurs concitoyens juifs qui manifestaient contre le mur. Il faut remonter à 1948 pour retrouver une fusillade entre soldats juifs - lorsque Ben Gourion fit tirer, devant la plage de Tel-Aviv, sur L’Altalena, le bateau que l’Irgoun de Menahem Begin avait affrété pour se ravitailler en armes, alors que la jeune armée israélienne était censée unifier toutes les forces juives.
Il reste que ce mouvement, pour important qu’il soit, n’a pas trouvé de débouché politique. Car le parti travailliste poursuit une dégénérescence entamée, il est vrai, de longue date. Il a longtemps remis son sort entre les mains d’un homme, Ehud Barak qui a saboté le processus de négociation israélo-palestinien initié par Itzhak Rabbin et par Yasser Arafat, puis fait en sorte d’en interdire toute relance. C’est lui qui, le premier, a dit qu’ « il n’y a plus de partenaire pour la paix ».
L’intermède avec Amram Mitzna a tourné court - trop pacifiste, il fut « exécuté » par l’appareil travailliste. Et le parti s’est à nouveau déshonoré en participant au gouvernement d’Ariel Sharon, donc en cautionnant sa politique, de mars 2001 à l’automne 2002. Un homme symbolise ce déshonneur : Shimon Peres. En réalité, c’est lui qui a entraîné le naufrage de la gauche et enterré le processus de paix, en 1996. Le 5 janvier de cette année-là, le successeur d’Itzhak Rabin, assassiné le 4 novembre précédent, autorise le meurtre de Yehia Ayache, l’ingénieur du Hamas. Depuis des mois pourtant, une trêve était intervenue entre Israéliens et Palestiniens, respectée de tous, y compris des groupes extrémistes.
Cette « exécution » donne le signal d’une terrible vague de violences, le Hamas vengeant son martyr et Tsahal imposant un blocus sévère aux Territoires. Le Hezbollah apporte alors à sa manière sa solidarité au peuple palestinien. Et, dans une surenchère infernale, Shimon Peres engage l’opération « Raisins de la colère » contre le Liban, qui culmine avec le massacre de Canaa. Si bien qu’en mai 1996, ce n’est pas Benyamin Netanyahou qui l’emporte, mais Shimon Péres qui perd. Ce suicide politique entraîne celui de la gauche israélienne -alors que, quelques mois plutôt, le chef travailliste avait près de 30 points d’avance sur son adversaire ! C’est le même homme qui, au printemps 2001, décide de faire le jeu de la stratégie d’Ariel Sharon en acceptant d’entrer dans son gouvernement. Pendant dix huit mois, il avale toutes les couleuvres, notamment le sabotage des missions de paix, la reconquête brutale des territoires occupés, l’horreur de Jénine, le siège de l’Autorité palestinienne et d’Arafat.
Shimon Péres n’a d’ailleurs toujours pas tiré les leçons de l’histoire, puisque aujourd’hui encore, il piaffe à l’idée de retrouver un portefeuille ministériel dans un nouveau gouvernement d’union nationale. Or aucun dirigeant du parti travailliste n’ignore qu’une nouvelle cohabitation avec le Likoud sonnerait la mort d’une formation agonisante, parce que pourrie de l’intérieur - sans parler de ses conséquences redoutables sur l’évolution du conflit.
Les germes de cette dégénérescence remontent à des décennies. Ils ne portent pas uniquement sur les options prises quant au conflit, mais tout autant sur l’appréhension des grands problèmes économiques et sociaux de la société israélienne. La politique du parti travailliste vis-à-vis de la population palestinienne est en effet inséparable de son ralliement au néolibéralisme. Les dirigeants successifs du Parti travailliste ont conduit leur parti dans l’impasse :
– en sabotant les négociations au moment où elles aboutissaient à une perspective réelle d’accord israélo-palestinien ;
– en ne traitant pas les graves inégalités qui se sont développées dans une société traditionnellement plutôt égalitaire et même prétendument socialiste ;
– en apportant son leur soutien à la liquidation des services publics et aux privatisations ;
– en laissant les riches s’enrichir et les pauvres s’appauvrir.
Devenu un des partis de la bourgeoisie libérale, le Parti travailliste s’est coupé de la classe ouvrière et des couches populaires. Les « Arabes » de gauche votent pour les différents partis arabes. Les sépharades pauvres (c’est presque un pléonasme) préfèrent le Likoud ou le Shass. Les ultra-orthodoxes, qui figurent aussi parmi les catégories défavorisées, optent pour leurs partis (le parti unifié de la Torah pour les ashkénazes, le Shass pour les sépharades). En menant cette politique contre nature, les travaillistes ont barré la route à toute perspective de changement.
Quelques personnalités ont tenté, en vain jusqu’à présent, de sortir le parti de cette logique vouée à l’échec politique : Amram Mitzna, les dirigeants du Meretz (devenu le Yahad), et notamment Yossi Beilin. L’appareil a soigneusement verrouillé ces initiatives, quitte à fausser les élections primaires internes. Peu après une prise de position publique remarquable sur le conflit, la décision d’Abraham Burg, une des personnalités de gauche les plus respectées, de quitter la vie politique pour entrer dans le monde des affaires symbolise la profonde désespérance quant à la capacité du Parti travailliste à promouvoir une politique alternative crédible.
4 - Quelles perspectives ?
Sans politique alternative crédible, Israël restera pris au piège de la stratégie d’Ariel Sharon. Pour que la politique israélienne change, nous ne pouvons, outre la résistance des Palestiniens, compter que sur deux leviers :
– la pression de la communauté internationale et notamment européenne, sur la base du droit ; et
– la prise de conscience de l’opinion publique israélienne.
Aucun changement radical d’orientation politique ne pourra se faire sans que les Israéliens ne l’entérinent. Malgré toutes les imperfections et les réserves que l’on peut émettre sur l’accord de Genève, les solutions envisagées et sur la représentativité de ses signataires, il représente un des rares atouts pour aboutir à un changement de cap politique. Il a en effet démontré à l’opinion publique mondiale et surtout israélienne, que, contrairement aux affirmations d’Ehud Barak et d’Ariel Sharon :
– qu’un accord de paix est possible sur l’ensemble des points cruciaux du conflit ; et
– qu’il y a un interlocuteur palestinien pour le négocier et le conclure.
Pour sa part, le mouvement de solidarité en France entend faire prévaloir les droits du peuple palestinien. Nous n’avons pas à défendre ou à dénoncer l’accord de Genève : c’est l’affaire du peuple palestinien lui-même et de ses dirigeants. Nous nous battons pour des principes reconnus dans le droit international. Nous n’avons aucune raison de nous en écarter, d’autant qu’il y aura sans doute d’autres initiatives du type de celle de Genève. Pour autant, on ne saurait nier que l’accord de Genève, comme les négociations de Taba, en janvier 2001, qui en constituent la base, marquent une rupture notable avec la politique du Parti travailliste.
Ainsi l’accord de Genève :
– est fondé sur l’application de toutes les résolutions des Nations unies ;
– se fixe pour but la construction d’un Etat palestinien ;
– prévoit le retrait d’Israël de plus de 97,5 % des territoires occupés depuis 1967, les 2,5 % restant faisant l’objet de compensations territoriales équivalentes. (Nous sommes donc bien au-delà des 90 % évoqués par Ehud Barak, sans parler de la situation actuelle) ;
– concernant Jérusalem, il prône l’abandon par les Israéliens de la souveraineté sur l’Esplanade des mosquées/mont du Temple, les Palestiniens abandonnant, eux, à Israël, les quartiers juifs construits à l’est de la ville ;
– exige le démantèlement de toutes les colonies à la seule exception de celles qui seront rattachées à Israël (sur les 2,5 %
– réaffirme la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies du 11 décembre 1948 sur le droit au retour et propose une solution de compromis pour le mettre en oeuvre. Si le retour est libre dans le nouvel Etat de Palestine, en Israël il est soumis à la décision des autorités.
C’est pourquoi Genève a modifié la donne au sein de la société israélienne. Si cette initiative n’a pas encore suscité l’adhésion populaire, c’est - entre autres - parce qu’il subsiste un problème majeur : le caractère global de la politique intérieure et extérieure en Israël.
Nombre d’observateurs du conflit mesurent mal que la solution de celui-ci est inséparable d’une amélioration notable de la situation pour les deux peuples en présence. L’espoir de changement à l’intérieur ira nécessairement de pair avec l’espoir d’une paix durable. C’est évident des Palestiniens. Mais c’est vrai aussi des Israéliens.
L’abandon de la société israélienne aux seules forces du marché a entraîné une paupérisation et un accroissement des inégalités sans précédent. Selon le centre Adva [1] Israël paye lourd la facture de la guerre et de la politique ultra-libérale :
– 18 % à 20 % des familles vivent en dessous du seuil de pauvreté (21,1 % des foyers individuels et 29,6 % des enfants). Et selon les origines ethno-religieuses, sont touchés en premier lieu les Arabes, puis les juifs ultra-orthodoxes et enfin les juifs séfarades ;
– un quart des Israéliens ne mange pas à sa faim (ceci ne signifie pas qu’ils meurent de faim, mais que leurs besoins alimentaires ne sont pas satisfaits) ;
– la réduction de la prise en charge des soins par la sécurité sociale condamne 17 % des Israéliens en 2003 (contre 6 % en 1992) à ne plus se soigner. Et 22 % ne peuvent plus payer d’assurance complémentaire à la sécurité sociale ;
– en matière de salaire, sur une base 100, celui des Palestiniens vivant en Israël est de 70, celui des séfarades de 95 et celui des juifs ashkénazes de 138. Le salaire des femmes ne représente que 61 % de celui des hommes ;
– le taux de mortalité infantile atteint 5,5 pour mille, soit 4 pour les juifs, 9 pour les Palestiniens et pour les Bédouins ;
– 51,5 % des juifs d’Israël sont diplômés, mais seulement 34 % des Palestiniens ;
– 84,7 % des juifs ont un emploi contre 77,7 % des Palestiniens d’Israël.
Telles sont les conséquences - parmi d’autres - de la politique néolibérale menée depuis des années, mais aussi du coût d’une guerre d’occupation sans fin. Toute guerre a un coût direct. Mais il faut aussi apprécier son coût indirect pour la société qui la supporte ou la subit, sur le plan tant social qu’économique. La guerre engendre une croissance négative, d’autant qu’elle fait fuir les investisseurs étrangers (on hésite à s’installer dans un pays où l’on peut sauter à tout moment).
En Israël, la croissance est négative depuis l’échec de camp David. Elle serait légèrement positive à la fin 2004. Mais comment oublier qu’elle atteignait 6 % en moyenne au cours des six premières années de la décennie 1990 ? A l’époque, l’ouverture économique tant espérée par la bourgeoisie « mondialisatrice » et le Parti travailliste israéliens s’était concrétisée notamment par la création de zones franches et de premières délocalisations d’activités dans le monde arabe - donc des pertes d’emplois sur le sol israélien. Si les hommes d’affaires israéliens rêvaient de recourir massivement à la main d’oeuvre des pays arabes, nettement moins chère, les ouvriers israéliens, en revanche, se montraient moins enthousiastes. Si bien qu’ils se disaient : « La paix favorise la concurrence d’une main d’oeuvre à plus bas salaire. » Voilà une contradiction qui mérite réflexion.
Pour conclure, je dirai que la solution politique alternative devra prévoir à la fois de :
– proposer une paix juste, fondée sur des principes conformes au droit international ;
– ouvrir aux Israéliens la perspective d’un changement économique et social radical qui, sans parler de révolution, comporte de très sérieuses inflexions permettant aux catégories plus pauvres de voir leur situation quotidienne s’améliorer.
Ce « duo » me paraît sine qua non.
La gauche israélienne et même le mouvement pacifiste sont frappés de cécité quand ils attendent de la seule politique « extérieure » la résolution du conflit, oubliant qu’elle se joue aussi sur le terrain économique et social.
La situation est bien évidemment encore pire du côté palestinien. La guerre menée par Israël depuis quatre ans a littéralement détruit la société et l’économie palestinienne, plongeant au bas mot les deux tiers des habitants dans une misère noire. On ne saurait, dans ces conditions, reprocher à l’Autorité palestinienne son incapacité à répondre aux attentes de sa population.
Il est certain qu’une nouvelle initiative ne convaincra les Palestiniens que si, outre les conditions d’une paix juste et digne, ils y voient la promesse d’une reconstruction rapide et globale, qui rende leur économie et leur société capables de satisfaire leurs besoins élémentaires. La population palestinienne y croira si elle a la certitude de pouvoir enfin, librement, se loger, travailler, aller à sa terre, se rendre à l’école, sortir et circuler. Beaucoup dépendra de l’aide internationale, et notamment européenne, mais Israël devra aussi y contribuer de manière significative. J’ajoute que, pour les Palestiniens, il sera essentiel que, cette fois, les investissements profitent exclusivement à la population, à l’exclusion de tout détournement et de toute corruption. C’est là aussi un facteur décisif de toute remobilisation.
Faut-il parler d’effet miroir ? Cette incapacité de part et d’autre à prendre en compte des besoins économiques et sociaux des populations dans les tentatives de solution politiques du conflit israélo-palestinien est une des causes fondamentales de la difficulté actuelle à bâtir un authentique mouvement pour la paix. Un mouvement enfin capable de trouver un débouché politique dans les deux sociétés, israélienne et palestinienne.
Questions réponses
Quels liens entre la résolution du conflit et le changement de politique économique et sociale ?
Réponse de D. Vidal : Il ne s’agit pas d’attendre une hypothétique « révolution sociale » pour réaliser la paix. Nous risquerions d’attendre longtemps et la catastrophe se serait déjà produite. Ce que j’ai voulu dire, c’est que la voie à tracer pour aboutir à la paix devra prendre en compte de manière indissociable un ensemble d’inflexions économiques et sociales permettant aux catégories sociales les plus pauvres de part et d’autre de voir leur vie quotidienne s’améliorer avec la paix. Vu de loin, ce lien nous paraît naturel. Or sur place, c’est loin d’être évident comme j’ai pu m’en rendre compte moi-même dans les échanges que j’ai eus avec la population. En 1999, dans le cadre d’une enquête menée pour Le Monde diplomatique j’ai pu observer la communautarisation croissante de la société israélienne. Autrefois cimentée par l’idéologie sioniste, l’affrontement avec les Palestiniens et les pays arabes et son caractère très égalitaire, cette société historiquement constituée de couches successives d’immigrants voit sa mosaïque se disloquer. Les tensions de plus en plus fortes entre juifs et Arabes, ashkénazes et séfarades, laïques et religieux, etc. Et si certains de ces groupes ont des revendications essentiellement défensives, d’autres se battent pour conquérir l’hégémonie dans la société et, à terme, l’Etat : c’est notamment le cas des Russes et des ultra orthodoxes. Une vraie guerre civile potentielle qui peut un jour dégénérer - avec des conséquences tragiques pour les Palestiniens, vu l’extrémisme sans limite de certaines forces israéliennes. Mais la dimension économique et sociale joue un grand rôle dans cette implosion. Dans nombres d’usines où je suis allé, les ouvriers rencontrés m’ont dit qu’à certains égards, la paix était mauvaise pour eux. Pourquoi ? Parce que la main d’oeuvre jordanienne ou égyptienne ou libanaise était moins payée et donc moins chère. La création de zones franches du côté jordanien a permis à des industriels israéliens de délocaliser leurs activités. Les ouvriers israéliens s’inquiètent de cette menace pour leurs emplois, leurs salaires et leurs retraites. Il faut donc impérativement que le processus de paix soit porteur d’une amélioration concrète des conditions de vie de la majorité de la population - de chaque côté. Et pour les Palestiniens, c’est un changement radical qui s’impose.
Pour comprendre la situation en Israël, il faut remonter à l’histoire des vagues d’immigration. De 1950 à 1970, les alyas successives composées majoritairement des juifs arabes ont été mal accueillies, considérées comme de la chair à canon et à surexploitation qu’elles étaient. Les nouveaux immigrants étaient passés au DDT et parqués dans des camps de toiles - souvent, on coupait même les papillotes des religieux. Puis on les envoya dans les zones frontières les plus exposées, ou dans « villes en développement », en réalité des zones sous-développées et qui le resteront durablement : chômage, logement au rabais, éducation insuffisante, désert culturel. Quelque chose comme les pires « quartiers sensibles » de nos banlieues. Or, qui a pris la responsabilité de cette politique discriminatoire aux accents racistes ? Les travaillistes au pouvoir depuis les années 30 dans la communauté juive de Palestine, puis à partir de 1948 en Israël. Des millions d’immigrants juifs arabes avaient ainsi des comptes à régler avec le parti de Ben Gourion, de Peres et de Rabin. Ce qui a largement contribué au basculement de la majorité au pouvoir en 1977, au profit du Likoud de Menahem Begin. Et, 27 ans plus tard, l’immense majorité des « séfarades » continuent à voter, soit pour la droite et l’extrême droite, soit pour les partis religieux. Et pour cause : le fossé avec les ashkénazes ne s’est pas résorbé, i s’est même aggravé - dans tous les domaines : emploi, formation, habitat, culture. Les séfarades forment, avec les Palestiniens, les gros bataillons des couches les plus défavorisées : ouvriers, chômeurs, précaires. Cet enracinement du vote populaire de droite et d’extrême droite fait penser à celui du vote Front national chez nous. Sauf qu’il concerne les quatre cinquièmes des populations concernées. C’est le fruit de 30 ans d’erreur. Et, hélas, la gauche n’a rien compris à ce qui s’est passé. Le Parti travailliste est d’ailleurs resté un parti essentiellement ashkénaze, représentant, non les couches populaires, mais la bourgeoisie moderniste. Celle-là même qui voulu les accords d’Oslo. Pas par amour de la paix et encore moins des Palestiniens, mais pour s’ouvrir les marchés et la main d’oeuvre arabes, afin de prendre toute sa place dans la mondialisation néolibérale. D’autant que la fin du conflit serait le meilleur atout de l’économie israélienne, y compris pour attirer des milliards de dollars supplémentaires d’investissements étrangers - on l’a vu au début des années 1990, quand sa croissance atteignait en moyenne rythme 6 % par an.
Pour mettre un terme à la domination du Likoud, de l’extrême droite et des partis religieux, il faudra arracher à leur emprise une partie importante des classes populaires. Du côté de la population palestinienne, le « processus de paix » a dégénéré au point que beaucoup d’amis palestiniens regrettent le « bon, temps » temps de l’occupation ancienne manière. Ils dénoncent « ceux qui se sont fait berner par les Israéliens, qui se sont construit des villas et s’en sont mis plein les poches », car Oslo s’est concrétisé par une profonde dégradation de leur vie quotidienne. Désormais, deux tiers de la population palestinienne des territoires occupés vit avec moins de 2 dollars par jour et par personne.
Il n’y aura pas de solution durable au conflit israélo-palestinien tant qu’elle ne sera pas portée par la majorité de la population des deux côtés, convaincue aussi que la paix améliorera durablement et radicalement les conditions de vie.
Les nouveaux historiens israéliens, notamment Benny Morris, dans sa récente interview, ont-ils changé d’opinion ?
Réponse de D. Vidal : Benny Morris a joué un rôle positif, dès le début des années 1980, dans l’émergence d’un nouveau regard sur l’histoire du conflit. Il a notamment mis en lumière les conditions dans lesquelles 700 000 à 900 000 Palestiniens ont dû quitter le territoire conquis par les forces juives durant la guerre de 1948. Il a en effet été le premier à plonger dans les archives ouvertes à partir de 1978 et n’a pas hésité à rendre publics les indices qu’il y a trouvés de la politique d’expulsion de la direction israélienne - y compris les massacres qu’il a souvent été le premier à révéler. L’interview que Benny Morris a donné le 8 janvier 2004 à un journaliste de Haaretz a fait scandale. Et à juste titre : il y affirmait son soutien au « transfert » des Palestiniens en 1948 et n’excluait pas qu’il faille en organiser un nouveau dans l’avenir, le tout agrémenté de propos à la limite du racisme. Scandaleux, ces propos n’étaient en revanche nullement surprenants.
En 1998, nous avons invité Benny Morris à un colloque des historiens israéliens et palestiniens organisé par Le Monde diplomatique avec la Revue d’études palestiniennes. J’en ai profité pour lui poser une question qui m’intriguait depuis la lecture de son premier livre, dix ans plus tôt : pourquoi, après avoir multiplié les preuves du rôle majeur de David Ben Gourion dans l’expulsion des Palestiniens en 1948, concluait-il en l’exonérant de toute volonté de nettoyage ethnique ?
Morris me répondit : « Ce que je reproche à Ben Gourion, ce n’est pas d’avoir voulu expulser les Palestiniens, mais de n’avoir pas été jusqu’au bout : s’il avait expulsé les 165 000 Palestiniens qui sont restés sur le sol d’Israël et qui sont aujourd’hui plus d’un million, le problème serait réglé. »
Vous voyez : Benny Morris n’a pas changé d’opinion. En tant que citoyen, il a mis à jour - et c’est son grand mérite - l’existence et les conditions du transfert de 1948, provoquant ainsi une véritable révolution historiographique et à certains égards politique en Israël. Mais on a eu tort d’y voir une prise de position : en tant que citoyen, il estimait et estime toujours que cette expulsion était nécessaire, qu’elle aurait dû être plus complète. Pire : que, le cas échéant, il faudrait en organiser une autre. Qu’il y ait, dans cette attitude, une sorte de schizophrénie, c’est évident. Si Morris l’assume pleinement, c’est sans doute que, comme beaucoup d’intellectuels israéliens, y compris de gauche, il s’est radicalisé depuis le seconde Intifada, avalant - et alimentant - la fable de l’« offre généreuse » d’Ehoud Barak, du déclenchement de l’Intifada par Yasser Arafat et donc de l’impossibilité de la paix, « faute de partenaire ». On peut aussi penser que cette orientation, politiquement très correcte, a l’avantage, après une décennie d’ostracisme et de précarité, de lui garantir une fin de carrière universitaire et médiatique plus confortable.
La complicité entre Ariel Sharon et le Hamas. Jusqu’où ?
Réponse de D. Vidal : La thèse d’une complicité objective, voire subjective, entre les dirigeants israéliens et ceux du Hamas ne manque pas d’arguments :
– A l’origine, ce mouvement a été constitué par l’unification des Frères musulmans de Cisjordanie et de Gaza. Avec le recul, on a appris qu’Israël non seulement n’avait pas gêné ce processus, mais l’avait facilité et même appuyé - y compris financièrement ;
– Cette manipulation partait du constat d’un intérêt commun. Dans les années de la première Intifada, Israël avait intérêt à aider à la création du Hamas pour concurrencer son ennemi principal : l’Organisation de Libération de la Palestine, seul représentant reconnu des Palestiniens - par ceux-ci et, depuis 1974, par la Ligue arabe ;
– Cet intérêt commun persiste aujourd’hui. La droite israélienne et les dirigeants islamistes partagent une même volonté de détruire l’Autorité palestinienne. Pour Ariel Sharon, il s’agit de détruire la clef de voûte de la constitution d’un Etat palestinien, dans l’espoir d’imposer la multiplication de bantoustans non viables consacrant l’éclatement du peuple palestinien. Pour le Hamas, il s’agit de faire sauter le principal verrou empêchant l’islamisation de la société palestinienne - la priorité des dirigeants islamistes, ce n’est pas de libérer la Palestine, mais d’y imposer la charia à une majorité très réticente ;
– et, quand on analyse le « ping-pong » sanglant entre la droite israélienne et le Hamas, depuis 1996 et plus encore entre 2001 et 2003, il y a de quoi ébranler les observateurs les plus hostiles (dont je suis en général) à la théorie du complot. Chaque relance possible de la négociation suscite une initiative terroriste islamiste, provoquée si nécessaire par une attaque terroriste israélienne, pour justifier, au final, une nouvelle offensive de Tsahal. C’est ainsi qu’Ariel Sharon a pu casser systématiquement toutes les fondations du futur Etat palestinien. Il va de soi que ceux qui sont en cause ici, ce ne sont pas les jeunes désespérés au point d’aller commettre un attentat-suicide, mais ceux qui les manipulent sans scrupule.
Intervention de Ziad M de Gaza, professeur à l’université de Gaza
– 1 - Situation à Rafah
– 2 - Crise interne de la résistance palestinienne
– 3 - Espoirs
– 4 - plan de retrait d’Ariel Sharon de Gaza
– 5 - Projet de centre pour la paix à l’université de Gaza
1 - Situation à Rafah
Depuis 1967, Gaza est une prison à ciel ouvert. Rafah était le seul passage possible pour sortir librement de la bande de Gaza (vers l’Egypte). Ce passage est désormais fermé par l’armée israélienne qui a tout bloqué, rasé des dizaines d’immeubles et projette de faire un canal pour couper tout passage. Depuis une douzaine de jours, tout est absolument fermé. Plus de 2000 Palestiniens, dont de nombreuses personnes âgées, femmes et enfants, sont bloqués à la frontière égyptienne, côté égyptien et ne peuvent rentrer dans leurs foyers à Gaza, en dépit d’appels du Croissant rouge et des ONG humanitaires à la levée de ce blocus.
2 - Crise interne de la résistance palestinienne
Beaucoup de gens parlent de crise interne au mouvement national palestinien. Il y a effectivement une crise. L’OLP et l’autorité palestinienne ont commis au moins quatre erreurs stratégiques :
– avoir laissé se développer, dans l’entourage de Yasser Arafat, un clan de dirigeants plus ou moins corrompus, issus des exilés ayant vécu en Tunisie ou en Algérie, les résistants de l’extérieur, habitués au confort des palaces et coupés de la population palestinienne de l’intérieur. Or 60 % des Palestiniens vivent dans la plus grande pauvreté et précarité, quand ils ne sont pas réfugiés dans des camps. Et pourtant nous étions près de 400 000 à être descendus dans la rue pour acclamer Yasser Arafat en 1994.
– ne pas avoir cherché à s’adresser aux jeunes de la nouvelle génération, ceux de la première intifada pour les intégrer dans la stratégie et le mouvement de résistance, y compris à des postes de responsabilité. Or ce sont ces jeunes qui sont les promoteurs et les acteurs de la deuxième intifada (Brigades des martyrs d’El Aqsa) et qui participent aux attentats suicides, faute d’autre perspective.
– avoir sous-estimé les conséquences de l’occupation israélienne, des barrages, des check - points, des incursions des colons et de l’armée et du bouclage des territoires palestiniens sur la vie quotidienne et d’avoir figé le processus démocratique au sein de la société palestinienne.
– la quatrième erreur est d’avoir poursuivi des vagues successives de négociations avec les Israéliens sans que jamais un seul de ces accords (Oslo I, II,..., Genève) ait reçu un réel début d’application positive et palpable pour la société civile. La société civile en a assez des résolutions et des accords inappliqués. Ce qu’il faut, c’est seulement appliquer les résolutions 194, 242, 338 et suivantes prévoyant la création d’un Etat palestinien aux frontières de 1967 par une pression effective de la communauté internationale. Or la communauté internationale n’a pas cherché à faire appliquer le droit ni les résolutions. Et les Européens se sont contentés de devenir les bailleurs de fonds. Enfin, les réalisations permises par ces fonds comme les écoles, les hôpitaux, l’aéroport, ont été détruites par Israël.
3 - Espoirs nourris malgré la situation dramatique créée par l’occupant et par cette crise interne au mouvement national palestinien
Cette crise du mouvement national palestinien, accentuée par l’élimination des dirigeants politiques de l’OLP et du Hamas par l’armée israélienne, permet au moins de débloquer le processus démocratique interne à la société palestinienne avec le but de parvenir à la création d’un Etat palestinien souverain fondé sur l’état de droit. L’armée israélienne continue de détruire nos infrastructures, nos habitations, nos vies ; Mais deux fondements résistent : - La société civile palestinienne existe toujours, très vivante, organisée et animée par des ONG, des femmes, des coopératives, tout ceci en dépit de l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne. - L’éducation fonctionne. Elle revêt un caractère sacré, comme acte de résistance à l’occupant et comme investissement dans la jeunesse palestinienne pour le futur. Un million d’enfants sont actuellement scolarisés et 12 000 étudiants fréquentent les universités palestiniennes qui forment à toutes les disciplines, malgré tous les obstacles mis par l’occupant. En 2003, le taux de scolarisation atteint près de 97 % soit le taux le plus élevé parmi les pays arabes. Des ministères mis en place par l’Autorité palestinienne, il ne subsiste que ceux de la santé et de l’éducation qui fonctionnent réellement et ceci à la satisfaction de la population palestinienne.
4 - Le plan de retrait d’Ariel Sharon de Gaza
Le plan de retrait de Gaza conçu et en voie de réalisation par Ariel Sharon est un véritable piège tendu à la communauté internationale et à nous-mêmes. Car le plus important pour lui, c’est de poursuivre son oeuvre de conquête de la Cisjordanie. A Gaza, les 17 colonies sont à l’extérieur des villes palestiniennes. Elles ne gênent pas la vie quotidienne même si elles occupent 40 % du territoire de la bande de Gaza. Or à Hébron, la colonie est au coeur même, au centre de la ville palestinienne. 400 colons protégés par l’armée bloquent toute la vie sociale, par leur seule présence et les couvre-feux imposés en permanence pour soi-disant les protéger. C’est également un piège pour les Palestiniens qui pourraient se voir proposer par Israël l’instauration d’un Etat sur la seule bande de Gaza, ce qui permettrait également de diviser les Palestiniens entre eux. La stratégie choisie par l’Autorité palestinienne est d’implanter un pouvoir palestinien sur une portion de territoire libérée. Une grande majorité de la société civile y est opposée.
5 - Le projet de centre pour la paix à l’université de Gaza
L’opinion publique a une perception négative de Gaza assimilée à l’intégrisme et à la violence, telle que véhiculée par les médias. Or dans la bande de Gaza, il y a une société civile dynamique, pacifique, aspirant à la vie et à la paix. D’où le projet de centre pour la paix à Gaza pour promouvoir notre rêve, notre choix stratégique : Il ne peut y avoir de solution militaire au conflit. La seule solution est la création d’un Etat palestinien souverain vivant côte à côte en paix et en sécurité avec l’Etat d’Israël qui existe depuis 1948. Ce centre aura trois pôles : formation, information et recherche. Il vise à :
– donner un horizon et une activité aux jeunes palestiniens désoeuvrés et désespérés. Ils étaient 4000 en 1996, ils sont 10 000 en 2004.
– préparer le terrain à la création d’un Etat palestinien libre, souverain, démocratique et donc fondé sur l’état de droit, ce qui implique de développer la formation et l’éducation à cette nouvelle situation ;
– préparer la relance du processus de paix.
Tout éducateur ou professeur palestinien a le devoir moral de préparer la future génération à sa prise de responsabilité et de lui offrir une alternative au désespoir et à l’extrémisme. Déjà des coopérations sont amorcées avec des universités françaises (Dunkerque, Toulouse et Aix-en-Provence). L’enseignement du français, est développé depuis 1997, comme langue alternative à l’anglais du principal allié de l’Etat d’Israël. Il y a des échanges pédagogiques Il est prévu de développer la coopération avec les associations pour la non-violence. Le centre pour la paix sera hébergé dans l’université, mais il devra être animé par des intervenants extérieurs et s’adresser à d’autres publics de la société civile que les seuls étudiants. Il pourra s’appuyer sur des précédents comme celui du 30 mars 1976, les « arabes palestiniens » en Israël ont manifesté à l’occasion d’une journée de la terre pour protester contre l’expropriation de leurs terres.
En prolongement des propos de Dominique Vidal et en réponse, Ziad reconnaît qu’il y a effectivement une méconnaissance de la réalité de la société israélienne encore faut-il voir pourquoi.
Avant 1948, les habitants de la Palestine, qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens fêtaient ensemble les fêtes des trois religions, le tout en bonne entente et dans le respect de l’autre. A partir de 1948, l’Etat d’Israël s’est imposé comme une situation de fait et a imposé une ségrégation. Les Palestiniens ont continué d’aller chez les Israéliens, mais ces derniers, ceux de la société civile israélienne, ne sont plus venus chez les Palestiniens. Même aujourd’hui, les pacifistes israéliens ont le plus grand mal à venir chez nous, sauf les colons et les soldats. Le camp de la paix côté israélien est né en 1982 pour tenter d’arrêter les pertes humaines dans l’armée israélienne dans la guerre au sud Liban. Ce mouvement n’est donc pas né pour trouver une paix juste avec le peuple palestinien. Ainsi, la veille de l’attaque de Rafah, 150 000 Israéliens manifestaient contre la mort de 13 soldats israéliens. Au lendemain de l’intervention militaire israélienne qui a fait une cinquantaine de morts palestiniens, les pacifistes israéliens ne sont pas venus manifester leur solidarité. Depuis 1994, donc au cours de ces 11 dernières années, Israéliens et Palestiniens n’ont eu que deux terrains de rencontre : les négociations qui se sont succédées entre responsables politiques (Oslo, Taba) et l’occupation par l’armée et les colons. Les deux sociétés civiles israélienne et palestinienne n’ont pas eu l’occasion de rencontre et d’échange dans un autre cadre. Il y a une absence, qu’il faut combler, de culture de paix dans les deux sociétés civiles israélienne et palestinienne. La seule différence, c’est qu’il y a un peuple occupant et un peuple occupé. C’est plus facile de travailler pour faire la guerre que de travailler pour construire la paix. Après avoir dit des pacifistes israéliens qu’ils n’exprimaient pas souvent leur solidarité, je tiens à saluer leur courage, car il est plus difficile d’être un pacifiste israélien qu’un pacifiste palestinien.
Les Accords de Genève Sont respectables, mais ce qu’il faut aujourd’hui, c’est appliquer et non pas continuer à négocier. Ils ont intéressé beaucoup de monde, sauf les deux sociétés civiles israélienne et palestinienne. Dans les camps de réfugiés de Cisjordanie, de Gaza ou dans les pays arabes, les comités élus de manière démocratique n’ont pas été consultés sur le protocole d’accord de Genève. Si on veut promouvoir un accord de paix, il faut revenir à la base, tenir compte des gens concernés, puis le faire appliquer. En guise d’au revoir, Ziad a demandé aux participants de ne pas oublier le peuple palestinien et sa cause, car il en va de la paix comme l’espoir.
Bernard Ravenel prolonge la réflexion : Tout ce qui vient d’être dit amène à réfléchir au couple globalisation économique et logique de guerre dans les relations internationales. Quels liens ? Quelle dynamique ? Le 11 septembre 2001 a été le prétexte au lancement de la guerre préventive, perpétuelle. Quelle culture de paix opposer à cette logique de guerre ? Quels rapports développer entre les sociétés civiles ? Quel travail réaliser pour passer d’une logique, même d’une culture de guerre à une logique et une culture de paix ? Au sein de la société israélienne ? Au sein de la société palestinienne ? Dans le monde ? La question revêt une acuité particulière avec les tensions internes observées au sein de ces deux sociétés civiles : palestinienne et israélienne.
Réponse de Ziad : Depuis 2000 et encore plus depuis 2002, au sein de la population palestinienne, il y a une très forte aspiration et détermination à l’organisation de nouvelles élections des conseils municipaux et législatifs (équivalent de notre parlement). Les conseils municipaux ont été désignés par l’Autorité palestinienne. Le conseil législatif a été élu pour trois ans en 1996. L’occupation a empêché l’organisation d’élections libres. Ce besoin est encore plus vivement ressenti dans les principales villes (Jenine ; Naplouse, Ramallah, Rafah, Gaza,...). La population aspire à une réforme de l’Autorité palestinienne. Nous considérons que l’avenir de la Palestine est indissociable de l’instauration d’un Etat démocratique et laïc. Cette perspective effraie les Etats arabes. Elle est rendue pour le moment impossible par l’occupation qui alimente une radicalisation des groupes de résistance islamiques. Il y aura encore de très fortes tensions parfois violentes, mais pas de guerre civile palestinienne. Pour les raisons suivantes :
– l’énergie des Palestiniens est mobilisée par la lutte contre l’occupant (soldats et colons) ;
– la nouvelle génération est déterminée à résister sur place, au risque de souffrances et de mort, pour construire son avenir sur la terre de Palestine.
– le couple paix - démarche démocratique est indissociable.