Photo : La 5e édition du Gaza Red Carpet Film Festival s’est tenue au Amer Theaters dans la ville de Gaza, à Gaza, le 04 décembre 2019. Crédit : Anadolu Images.
Le cinéma palestinien a été l’un des premiers à émerger au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, avec les cinémas égyptien et syrien. Le cinéma égyptien a commencé à produire en 1923, suivi du cinéma syrien en 1928 et du cinéma palestinien en 1935. Toutefois, à l’époque, il était presque impossible de séparer les identités nationales palestinienne et syrienne, qui ne sont apparues qu’après la division de la région par les puissances impériales. Auparavant, la Palestine était connue sous le nom de "Syrie du Sud" et faisait partie de la Grande Syrie, qui comprenait la Syrie, le Liban et la Palestine d’aujourd’hui.
Cependant, avec le début du mandat britannique en Palestine en 1917 et du mandat français en Syrie en 1920, les identités nationales ont acquis une signification forte. Cela s’est traduit par des actions politiques, sociales, économiques et militaires contre les puissances impériales de l’époque qui agissaient comme si la région leur appartenait, la divisant de manière humiliante en morceaux de terre.
L’industrie cinématographique en Palestine, qui a connu en quelques années un déplacement massif de sa population, faisait partie des changements politiques, économiques et sociaux qui eurent lieu dans la région. Ce déplacement massif s’est traduit par une série de films traitant de l’injustice à l’égard du peuple palestinien et de sa vie avant la Nakba.
Le premier cinéma palestinien a été créé à Jérusalem en 1908. Connu sous le nom de " Oracle Cinématographe", il projetait des films le samedi et le dimanche soir. En 1912, un cinéma muet a été créé dans la ville, connu sous le nom de "Cinéma International", où les spectacles étaient organisés en fonction de la vente des billets. À l’époque, ces spectacles étaient surtout fréquentés par un public masculin issu de l’élite.
En 1927, une loi réglementant les cinémas a vu le jour en Palestine, qui établissait les conditions dans lesquelles les autorités du mandat britannique devaient contrôler le secteur. Le premier cinéaste palestinien a été Ibrahim Hassan Sarhan, qui a tourné un court métrage de 20 minutes sur la visite du roi saoudien Saud Bin Abdilaziz en Palestine en 1935. Parmi les autres Palestiniens éminents dans ce domaine, citons Ahmad Hilmi Alkilani, diplômé du Caire en 1945, et Muhammad Saleh Al-Kayali, qui, à son retour de ses études en Italie, a créé un studio de cinéma à Jaffa en 1940. Il a collaboré avec la Ligue des Nations arabes en 1945 pour produire un film sur la Palestine.
Bien que le nombre de films palestiniens produits avant 1948 soit limité, le contenu de ces films est varié et fournit une documentation importante sur la vie avant la Nakba. Parmi ces films, citons Realized Dreams, Studio Palestine, Ahmad Hilmi Pasha et The Eid’s Night. En 1946, le cinéaste palestino-égyptien Salaheddin Bardakhan a produit le film A Night’s Dream qui a été projeté à Jérusalem, Jaffa, Amman et au Caire à l’époque.
L’impact de la Nakba sur l’industrie cinématographique en Palestine
Après la Nakba et la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1965, davantage de films palestiniens ont vu le jour. Le premier film palestinien tourné sous la supervision de l’OLP est No to Peaceful Settlement en 1968. À l’époque, toutes les unités de production étaient liées aux factions, le mouvement Fatah, par exemple, ayant sa propre unité de production. L’unité Film Palestine, qui faisait partie du centre de recherche de l’OLP, a publié un court-métrage de 12 minutes sur l’occupation par Israël de la bande de Gaza en 1967 et son impact sur le peuple palestinien qui s’y trouvait. Les groupes palestiniens de gauche, tels que le FPLP et le FDLP, disposaient de leurs propres unités de production et produisaient à l’époque des films tels que The Path en 1973 par Rafiq Hajjar et Our Little Houses en 1974.
Une douzaine de films ont vu le jour, portant des titres tels que Pourquoi nous prenons les armes, Pourquoi nous plantons des fleurs et Palestine dans l’œil. Des producteurs arabes ont également contribué à l’industrie cinématographique palestinienne de l’époque ; par exemple, le producteur irakien Muhammed Tawfik qui a produit des dizaines de films tels que L’enfant et le jouet (1986), et le Syrien Muhammed Malas qui a produit Le rêve de la ville en 1983.
Avec la création de l’Autorité palestinienne (AP) en 1993, le département des médias et de la culture de l’OLP a été transformé en ministère palestinien de la culture. Compte tenu de ces contributions limitées, les "films de la révolution" palestinienne pourraient être considérés comme morts aujourd’hui, car les productions cinématographiques des factions palestiniennes extérieures à l’OLP sont différentes, dans leur approche et leur contenu, des productions du cinéma de la révolution palestinienne, y compris celles produites par les partis islamiques.
L’émergence du cinéma palestinien ?
La dernière décennie a vu une émergence du cinéma palestinien qui avait perdu son élan dans les années 1990 et 2010. Le cinéaste palestinien, Elia Suleiman, figure parmi les meilleurs contributeurs de l’industrie cinématographique palestinienne avec son chef-d’œuvre It Must Be Heaven (2019). En 2022, une tempête de pression sur la plateforme cinématographique Netflix a été lancée après qu’elle ait diffusé Farha, un film palestinien qui raconte l’histoire d’une enfant palestinienne de 12 ans pendant les événements de la Nakba, qui a vu le déplacement de 750 000 Palestiniens de leurs maisons avant la création d’Israël en 1948.
Dans le film, le père de Farha la cache dans une pièce pour la protéger, en promettant de revenir. Il ne peut revenir et, depuis sa chambre, Farha voit les horreurs de la Nakba se dérouler sous ses yeux : une famille palestinienne est exécutée dans l’arrière-cour de sa maison par un groupe de soldats juifs. Le film révèle une bribe de ce que les réfugiés palestiniens ont dû endurer, alors que les implications de la Nakba sont encore très présentes aujourd’hui. Aujourd’hui, alors que des politiciens israéliens qui menacent les Palestiniens d’une seconde Nakba deviennent ministres dans le nouveau gouvernement de Netanyahu, des films comme Farha semblent encore plus inquiétants.
Farha et d’autres films palestiniens envoient le message que l’industrie cinématographique palestinienne revient sur le devant de la scène après des décennies de quasi-stagnation. La deuxième génération de réfugiés palestiniens s’est éduquée et la troisième génération passe maintenant à l’action, soutenue par l’excellente éducation qu’elle a reçue, ce qui se traduira par davantage de films et de romans palestiniens dans les années à venir. La guerre culturelle entre les Palestiniens et Israël semble prendre un nouveau tournant, et elle ne fera que s’intensifier dans les années à venir.
Le fait que Farha figure parmi les dix premiers films sur Netflix montre que la contre-campagne israélienne visant à le diffamer a échoué. À mesure que l’impact de l’industrie du film et du cinéma palestiniens augmente, il est probable que davantage de films palestiniens seront réalisés, ce qui créera davantage de pression sur les plateformes par les groupes pro-israéliens. Pourtant, le message de Farha a résonné haut et fort : le récit palestinien ne peut être arrêté.
Traduction : C. L. pour AFPS