Photo : Munther Amira lors d’une rencontre organisée par le groupe local de l’AFPS, du Pays de Morlaix, le 15 septembre 2022
Que pouvez-vous nous dire d’une manière générale sur le nettoyage ethnique ?
M. A. : La pratique par Israël du nettoyage ethnique n’est pas nouvelle.
Il le met en œuvre depuis 1948. Ce sont alors 536 villages et villes palestiniennes qui ont été détruits et plus de 750 000 Palestiniens qui ont été déplacés hors de leur terre natale. Cela continue depuis 74 ans de manière de plus en plus sophistiquée et depuis l’année dernière, la méthode est devenue beaucoup plus agressive.
L’appropriation de la terre est au cœur du nettoyage ethnique. Au début, il s’agissait de faire partir les Palestiniens de leur terre natale. Depuis, Israël a mis en place de nouveaux outils : le Mur, les routes réservées aux colons, les démolitions de maisons de plus en plus nombreuses, la multiplication des colons sur les terres palestiniennes… Sans compter les nombreux plans d’urbanisme qui laissent très peu de place pour les Palestiniens comme à Jérusalem.
Quelle a été l’incidence du Mur et des routes réservées aux colons en termes de nettoyage ethnique ?
M. A. : La construction du Mur a des effets multiples. D’une part, les personnes qui se sont trouvées de l’autre côté du Mur ont été contraintes de se déplacer pour rester en lien avec leur communauté, elles ont ainsi perdu l’accès à leur terre. D’autre part, ces secteurs où les populations palestiniennes auraient pu s’accroître se trouvent vidés de leurs populations autochtones. Pour les routes réservées aux colons, c’est le même processus : de nouvelles terres sont confisquées massivement, entraînant le transfert forcé des populations, mais aussi de celles qui se trouvent de facto isolées par la construction de ces infrastructures coloniales.
Le nettoyage ethnique est aussi un nettoyage historique.
M. A. : Israël accroît la pression autour des sites historiques.
L’enjeu est double : s’approprier ces terres et accroître la propagande laissant entendre que cette terre n’est pas, et n’a jamais été, palestinienne. On peut le voir à Jérusalem avec la construction d’un parc « historique » de la « Cité de David ». Le cas du tombeau de Rachel à Bethléem est particulièrement monstrueux : pour empêcher les Palestiniens d’accéder à ce site historico- religieux, Israël a construit des kilomètres de mur, expulsé des milliers de Palestiniens, saccagé l’environnement et mis en place une machine infernale de contrôle des déplacements des Palestiniens.
Il semble que les populations bédouines soient particulièrement ciblées par le nettoyage ethnique
M. A. : En effet. Le cas des communautés bédouines est emblématique, que ce soit à l’est de Jérusalem, à l’est de Ramallah ou de Bethléem, ou dans la vallée du Jourdain. Le nettoyage ethnique est très clair pour ce qui les concerne : Israël ne leur permet pas de vivre là. Des tentes destinées à l’habitat, ou au bétail, sont détruites chaque jour.
Si on prend le cas du village de Humsa dans la vallée du Jourdain, il n’existe plus, tous les villageois ont été expulsés pour être regroupés dans les environs de Tubas. La zone est devenue une zone militaire : c’est ainsi que procède Israël, la première étape est de créer une zone militaire ; ensuite, ils installent des colons, souvent dans des fermes.
À El-Qabun (est de Ramallah) les gens n’ont pas été forcés de partir par l’armée, ou suite à la destruction répétée de leurs habitations. Israël a utilisé les colons pour transformer la vie de Palestiniens en enfer. Jour après jour, la situation était devenue de plus en plus dangereuse, pour les troupeaux, pour les femmes, pour les enfants, pour les bergers. Vingt familles ont décidé de partir. Quelques-unes sont restées. Il y a 6 mois, 18 tentes ont été détruites qui ont été reconstruites. Avec les attaques des colons, les gens ne sont vraiment pas en sécurité.
Pour les Bédouins de la zone E1 entre Jérusalem et la colonie de Maale Adumin – Khan al Ahmar mais aussi Djabel el Baba etc. -, l’outil utilisé est le plan d’urbanisme. C’est en vertu de ce plan que les communautés bédouines sont menacées d’être chassées de leurs terres et regroupées de force dans la zone d’Al-Azzaria où des terrassements ont été construits. Les démolitions sont quasiment quotidiennes, mais les gens ne partent pas.
Autre stratégie employée, la création de réserves naturelles. On parle cette fois-ci de 154 000 dunums* à l’est de Bethléem, où vivent à peu près 600 personnes qui ne partent pas malgré démolitions et harcèlement.
L’asphyxie économique est une autre « technique » de l’occupation. Si on interdit au bétail de paître, les bergers sont obligés d’acheter de la nourriture très chère à Ramallah et à la fin de la saison, ils ont plus de dépenses que de recettes. Ce qui les contraint à vendre une partie de leurs troupeaux. Ils ne peuvent plus subvenir aux besoins de leurs familles.
On le voit bien, l’occupation emploie toutes les stratégies imaginables pour vider la terre de sa population palestinienne. Et ce n’est pas un hasard si elle cible particulièrement les populations bédouines : en déplaçant peu de personnes, ils mettent la main sur de très grandes superficies de terre.
On est dans une phase qui consiste à prendre la terre et donc à la vider de ses habitants palestiniens dans la partie est de la Cisjordanie : Est de Yatta, Est de Bethléem, Est de Jérusalem, Est de Ramallah, secteur d’Al-Auja dans la Vallée du Jourdain….
Voilà quelques exemples de la mise en oeuvre du nettoyage ethnique. Il est planifié, systémique et multiforme. Mais l’objectif est toujours le même : prendre la terre et pas la population.
Que pouvez-vous nous dire sur Masafer Yatta ?
M. A. : Masafer Yatta vit une des situations les plus violentes : Israël procède d’une manière très agressive.
Depuis 1980, Israël veut faire de ce secteur à l’Est de Yatta une zone militaire, une zone de tir. C’est un des outils de l’occupation : décréter le secteur en zone militaire et ensuite, y installer des colons. Depuis les années 1980, la population résiste et refuse de partir. Tous les recours « judiciaires » ayant été épuisés, au mois de mai 2022, l’ordre d’évacuer les populations est tombé. Ce sont 1 300 personnes de huit hameaux qui sont ciblées. Si Israël parvient à ses fins, ce sera le nettoyage ethnique le plus important depuis l’occupation de la Cisjordanie en 1967.
On parle d’un secteur grand comme la bande de Gaza, à proximité de la ligne verte, une zone désertique mais riche en ressources naturelles particulièrement de sources. Pendant la période ottomane, c’était une zone de production agricole très riche.
À Masafer Yatta, Israël utilise le « kit » complet : démolitions, harcèlement et violence extrême des colons, arrestations, instauration d’une zone militaire, colonies agricoles et de peuplement, interdiction pour les bergers d’accéder aux pâturages, isolement des populations, raids nocturnes, installation de checkpoints. Seules les personnes recensées à Masafer Yatta peuvent s’y rendre. C’est ainsi que les professeurs s’en sont vu interdire l’accès et que leurs voitures ont été confisquées. Ce sont 22 habitations qui ont déjà été détruites et 8 tentes pour le bétail. Deux écoles ont également reçu des ordres de démolition, et c’est sous ce prétexte qu’au moment de la rentrée des classes, Israël a empêché les enfants de se rendre à l’école les laissant des heures en plein soleil. Une fois par semaine, l’armée israélienne fait des manœuvres militaires et interdit aux gens de sortir de chez eux, qu’ils soient dans des tentes ou dans des grottes.
Israël procède par étapes : rendre la vie de plus en plus insupportable, de plus en plus dangereuse pour que les gens prennent eux-mêmes la décision de partir. Une sorte de nettoyage ethnique « en douceur » … Ils essaient également de faire miroiter aux Bédouins des conditions de vie « meilleures », plus modernes dans la ville de Yatta. Mais ce n’est pas ce que souhaitent ces communautés. Comme dans le Naqab, elles souhaitent vivre selon leur culture et leurs pratiques ancestrales.
Quel est le rôle de la résistance populaire face à toutes ces attaques ?
M. A. : Le rôle de la résistance populaire est de tout faire pour empêcher ces déplacements forcés de populations. En étant présent pour protéger les populations, en venant manifester sur les lieux ciblés, en apportant du soutien aux enfants de ces secteurs visés. La campagne Dafa (chaleur) que l’AFPS a soutenue, en est un exemple : en apportant des vêtements chauds à ces enfants pour l’hiver, nous entendons aussi les remercier de rester, et de protéger la terre. Nous aidons aussi les habitants à reconstruire leurs habitations.
Une des étapes dans l’évolution des actions de la résistance populaire a été la construction du village de tentes de Bab-Al-Chams, fin décembre 2013 : en 5 heures, au petit matin, nous avons monté une dizaine de tentes pour affirmer le droit des Palestiniens à vivre sur cette terre. Ce type d’opération a été renouvelé de nombreuses fois.
À Khan Al-Ahmar, pendant 6 mois, nous avons occupé la place avec des militants venus de toute la Palestine, jusqu’à ce qu’Israël renonce et gèle son projet. Des diplomates et des délégations du monde entier sont venus à sur place et ont pu constater qu’Israël commet des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité.