En 1993, l’échange de lettres entre le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, et le président de l’Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat, a officiellement marqué le début de l’ère Oslo, marquée par des négociations sans fin, l’expansion des colonies israéliennes et l’aggravation de l’occupation, qui allait finir par détruire toute possibilité de solution à deux États qu’envisageaient ceux qui soutenaient Rabin et Arafat.
Dans sa lettre à Rabin, Arafat renonce explicitement à la résistance violente à l’occupation israélienne. Il écrit : "En conséquence, l’OLP renonce à l’utilisation du terrorisme et d’autres actes de violence et assumera la responsabilité de tous les éléments et personnels de l’OLP afin d’assurer leur obéissance, de prévenir les violations et de discipliner les contrevenants."
Ces mots ont suscité l’attente que les Palestiniens n’emploient que des moyens non violents pour résister à l’occupation, à la dépossession et à l’apartheid d’Israël. Cette idée de restreindre la violence est dirigée uniquement contre les Palestiniens. Israël, étant un État et étant donc perçu comme ayant le monopole de la violence, est jugé selon une norme différente.
Bien qu’en Occident, la terminologie utilisée pour défendre la violence israélienne soit presque toujours formulée en termes d’autodéfense, l’idée que les Palestiniens puissent également se défendre est rarement considérée dans des termes similaires. Les Palestiniens sont condamnés chaque fois qu’ils utilisent des moyens violents, même lorsqu’ils jettent des pierres sur des soldats israéliens en armure. Israël, qui a recours à une violence bien plus grande et qui, en raison de ses capacités techniques bien supérieures, a beaucoup moins d’excuses pour le nombre bien plus élevé de victimes civiles et non combattantes qu’il cause, est, au mieux, critiqué pour son usage "excessif" de la force.
La prétention d’Israël à la légitime défense lorsqu’il recourt à une violence policière et militaire massive est efficacement démystifiée dans un article de 2012 du professeur Noura Erakat, actuellement à l’Université Rutgers. Erakat a argumenté de façon convaincante qu’"un État ne peut pas simultanément exercer un contrôle sur un territoire qu’il occupe et attaquer militairement ce territoire en prétendant qu’il est "étranger" et constitue une menace exogène pour la sécurité nationale. En faisant précisément cela, Israël revendique des droits qui peuvent être compatibles avec la domination coloniale mais qui n’existent tout simplement pas en droit international."
Dix ans après qu’Erakat ait écrit ces mots, Israël utilise régulièrement la force militaire lors de raids quotidiens sur les villes et villages palestiniens ; ses soldats travaillent en tandem avec les colons pour agresser les Palestiniens et dévaster leurs vies et leurs biens ; et il poursuit le verrouillage permanent de nombreuses zones de Cisjordanie ainsi que son siège de Gaza dans des actions qui menacent la vie et imposent une dévastation économique à un point tel qu’elles ne peuvent être considérées que comme une violence extrême.
Rien de tout cela n’est nouveau ; ce sont les caractéristiques de l’oppression israélienne des Palestiniens et de la résistance palestinienne à cette oppression qui est visible depuis des décennies. Mais la réponse palestinienne entre maintenant dans une nouvelle phase.
Un nouveau groupe armé palestinien, Areen al-Usud (la fosse aux lions), est apparu en Palestine. Non affilié à un parti politique, Areen al-Usud a attaqué les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie. D’autres nouveaux groupes armés, comme la Brigade de Jénine, ont également mené des attaques contre les forces israéliennes. Ces attaques ont suscité les applaudissements et le soutien de la population.
Si l’on ne sait pas encore exactement ce que cela signifie pour les semaines et les mois à venir, l’émergence de ces groupes et le soutien public manifeste dont ils bénéficient en Cisjordanie rendent plus probable que la question du recours à la violence par les Palestiniens occupera à nouveau une place plus importante dans le discours sur la Palestine aux États-Unis et en Europe.
Les termes de cette discussion sont empilés contre les Palestiniens avant même que les débats ne commencent. On en a vu un exemple clair la semaine dernière, lorsque le porte-parole du département d’État américain, Vedant Patel, a condamné la violence entre Israéliens et Palestiniens, déclarant que "la mort de soldats et d’enfants est inacceptable."
L’équivalence obscène entre le meurtre d’un soldat israélien et celui d’un enfant palestinien est un élément clé du cadre dans lequel la résistance palestinienne est perçue par les États-Unis. Un enfant palestinien est un civil et est protégé des conflits violents par la loi. Un soldat d’occupation est un combattant. Pourtant, comme nous l’avons vu récemment, Israël traite un soldat en service comme une victime innocente de ce qui est présenté comme une violence palestinienne insensée.
Le 8 octobre, le combattant palestinien Udai Tamimi a abattu Noa Lazar, un soldat israélien à un poste de contrôle près du camp de réfugiés de Shu’fat, à Jérusalem-Est. La mort de Lazar est, à mon sens, une tragédie. Sacrifiée sur l’autel de l’apartheid, Lazar a été envoyée en Cisjordanie au sein d’une armée d’occupation et, malheureusement, cela signifie qu’elle est sans ambiguïté une cible de la résistance palestinienne.
Il ne s’agit pas d’une classification politique, mais de l’essence même du droit humanitaire international : le principe de distinction, qui dicte que les cibles légitimes sont celles qui font partie des forces armées d’une partie au conflit. Qualifier Tamimi de terroriste pour cette attaque est tout simplement une fausse définition d’un acte de combat contre une cible militaire. De telles tragédies peuvent être facilement évitées en mettant fin au régime qui prive les Palestiniens de leurs droits fondamentaux, un régime qui nécessite l’emploi de forces armées pour faire respecter le déni de ces droits et qui transforme ces forces armées en cibles légitimes de la violence.
Lutter contre la non-violence
La nature de la résistance est telle que la violence reçoit beaucoup plus d’attention que la non-violence. En effet, la non-violence peut être très frustrante et limitative, précisément parce que c’est une forme de résistance qui exige souvent que le monde lui prête attention. Protester et résister avec une simple constance ou désobéissance civile laisse souvent ceux qui s’y engagent battus, meurtris, emprisonnés, hospitalisés ou même morts, et pourtant il n’y a souvent aucune réponse immédiate.
Les Palestiniens n’ont cessé de recourir à la non-violence depuis le tout début de leur conflit avec le sionisme. Comme le dit l’universitaire américano-palestinien Yousef Munayyer, "La vérité est qu’il existe une longue et riche histoire de résistance palestinienne non violente qui remonte bien avant 1948, lorsque l’État d’Israël a été établi sur une Palestine dépeuplée. Elle n’a simplement jamais capté l’attention du monde comme l’ont fait les actes violents."
Pourtant, il arrive que des actes de résistance non violents captent l’attention de beaucoup. Lorsque les Palestiniens ont fait pression pour la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État par les Nations Unies et ont demandé le statut de non-membre, Israël et les États-Unis l’ont remarqué et ont réagi de manière hystérique. Chaque fois que l’Autorité palestinienne s’est adressée à des institutions internationales telles que la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale, les États-Unis et Israël ont répondu de manière apoplectique.
Mais ces attitudes ne sont rien comparées à la campagne massive contre le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), initiée par la société civile palestinienne. L’énorme énergie déployée par Israël et ses partisans dans le monde entier pour bloquer les efforts du mouvement BDS n’a peut-être pas brisé l’élan du BDS, mais elle a envoyé un message très clair aux Palestiniens : que la résistance soit violente ou non ne fait aucune différence ; ce n’est pas la nature de la résistance qui provoque le retour de bâton violent ou politique contre les Palestiniens ; c’est la résistance elle-même qui le fait, quelle que soit sa forme.
Alors que les Américains et les Européens discutent et débattent entre eux des nuances de la politique israélienne et proposent toutes sortes de solutions fantaisistes au "conflit", le gouvernement israélien resserre son emprise sur les Palestiniens et ceux-ci deviennent de plus en plus frustrés, désireux d’agir et impatients vis-à-vis de leurs dirigeants et d’un monde qui ne cesse de leur répéter que le temps n’est pas encore "mûr" pour la réalisation de leurs droits.
C’est peut-être la raison pour laquelle nous constatons un soutien aussi large à la résistance armée. Peut-être s’agit-il simplement d’une réponse à l’escalade par Israël d’une politique d’apartheid déjà violente. Quoi qu’il en soit, l’action armée semble jouer un rôle plus important dans la résistance palestinienne et il sera important que les partisans des droits des Palestiniens soient prêts à défendre ces actions partout où ils le peuvent.
Il est utile de rappeler les mots de Ta-Nehisi Coates à cet égard. En 2013, Coatesa écrit : "... même notre rhétorique envers les mouvements de liberté qui emploient la violence est incohérente. Mandela et l’ANC étaient des ’terroristes’. Les révolutionnaires hongrois de 1956, l’Alliance du Nord qui s’oppose aux talibans, les Libyens qui s’opposent à Kadhafi étaient des ’combattants de la liberté’. Thomas Friedman espère un "Mandela arabe" à un moment donné, alors que l’instant d’après il dit à ces mêmes Arabes de "sucer ça". Le point ici n’est pas que la non-violence est une bêtise, mais qu’elle est une bêtise lorsqu’elle est invoquée par ceux qui gouvernent par les armes."
Nous devons rappeler aux gens à quel point ils sont passionnés par l’armement de l’Ukraine, ou, en fait, à quel point nous louons notre propre histoire de révolution violente. Parce que beaucoup de ces mêmes personnes sont susceptibles de condamner les Palestiniens pour avoir levé la main contre leurs oppresseurs, tout comme tant d’entre eux ont condamné Mandela il y a des décennies.
Ces personnes ont souvent demandé "où est le Mandela palestinien ?" Eh bien, lorsque le président sud-africain de l’apartheid, P.W. Botha, a offert à Mandela sa liberté s’il renonçait à la violence, il a répondu : "Qu’il renonce à la violence. Je ne peux pas vendre mon droit de naissance, et je ne suis pas prêt à vendre le droit de naissance du peuple à être libre."
Il en va de même pour les Palestiniens.
Le recours à la violence est une tragédie, dans tous les cas. Mais il est encore plus tragique de ne l’autoriser qu’à un oppresseur tout en l’interdisant aux opprimés.
Traduction : AFPS