Projeté pour la première fois au Caire, Zindeeq est une introspection nuptiale, parfois narcissique. Après avoir soulevé des débats assez vifs lors de sa présentation dans plusieurs pays arabes, le dernier long métrage de Michel Khleifi s’inscrit dans le cadre d’un cinéma militant et philosophique, abordant les impacts psychologiques de la violence et de l’occupation israélienne.
De retour aux caméras après 14 ans d’absence, Michel Khleifi, célèbre réalisateur de Noces en Galilée, tourne son optique vers l’intérieur palestinien et jette un regard sur sa propre vie.
Pendant un jour et une nuit, le film suit le voyage d’un cinéaste palestinien — portant uniquement l’initial « M » comme signe de l’universalité de son cas — qui quitte la France pour rendre visite à Nazareth, sa ville natale.
C’était là où le protagoniste — le fameux comédien palestinien Mohamad Bakri — arrive pour tourner un film sur la Nakba de 1948. Il se retrouve bientôt impliqué dans une querelle familiale qui l’oblige à errer en ville à la recherche d’une chambre d’hôtel. Finalement, il sera obligé de dormir dans sa voiture. Zindeeq signifie littéralement différent et indocile, mais le sens s’est transformé dans la vie de tous les jours en « athée ». Car le protagoniste remet tout en question et rejette non seulement la religion mais aussi les coutumes « tribales » de ses ancêtres. Khleifi met en scène un personnage se dressant contre tous les concepts, faisant table rase des idées préétablies, pour partir en quête de sa nature humaine. Le seul espoir réside, pour lui, dans l’humanisation de l’ensemble de nos relations. Chaque homme est un être humain.
A travers les yeux du héros, le spectateur voyage en Palestine, et notamment à Nazareth — actuellement sous domination israélienne —. Une Nazareth en proie à une violence interpalestinienne, proche des clans mafieux, comme semble le percevoir le réalisateur. On est tout à fait loin du paradis perdu. Sur l’une des séquences, le cinéaste M parvient à rouler les gendarmes israéliens, leur faisant croire qu’il est un Français de souche, ne comprenant ni l’anglais ni l’hébreu. Seule scène comique, il semble renier ici son appartenance identitaire.
Pourtant, à travers le film, on se sent face à un cinéaste purement palestinien, qui se trouve dans l’obligation d’exprimer le désastre de son peuple, de s’attaquer aux failles sécuritaires, aux rivalités tribales et à la transformation d’un peuple souverain en un peuple de réfugiés. Le protagoniste, qui n’est autre que Michel Khleifi lui-même, est le prototype de l’intellectuel ou du penseur qui opère un retour aux sources. Comme d’habitude, les êtres humains, leurs rêves et leurs blessures l’emportent dans l’œuvre de Michel Khleifi, comme dans ses films précédents : Zakéra khasba (mémoire fertile) ou Ors Al-Jalil (noces en Galilée). Cette fois-ci, pourtant, c’est un peu différent.
En partant à la recherche d’une chambre d’hôtel, le personnage principal cherche à comprendre et à réinterpréter les actes de la génération de ses parents. A la manière d’un médecin qui interroge son patient, qui lui demande de décrire tous les symptômes pour arriver à un diagnostic, il effectue une interview avec un réfugié de Ramallah. Mais pour lui, la véritable question est de savoir pourquoi ses parents sont restés à Nazareth durant la Nakba de 1948. Quitter la patrie ou y rester, les deux options lui semblent logiques et justifiées.
Pendant 85 minutes, le film relate des situations tragiques. Dès les premières scènes, et notamment à travers les close-ups, on suit le cinéaste de près dans sa démarche. Une technique dramatique qui permet non seulement de rendre le spectateur conscient de la réalité palestinienne montrée sur écran, mais qui souligne aussi le caractère unilatéral de l’univers du cinéaste-protagoniste.
Une certaine lenteur caractérise le rythme. Une image sombre reflète le quotidien d’un peuple sous le joug de l’occupation. Le cadrage s’avère parfois peu recherché, suivant essentiellement le mood de la scène, se souciant peu des valeurs esthétiques. Zindeeq peut être considéré comme l’œuvre la moins esthétique du réalisateur. Le film est jugé par d’aucuns comme l’œuvre la plus profonde, la plus philosophique et la plus sombre de la filmographie de Khleifi. Car il y filme toute une nuit à Nazareth, la montrant comme une ville déserte, fantôme, au milieu d’un monde en guerre.
Bref, en se sentant étranger dans la terre où il est né, « M », comme son créateur Michel Khleifi, se sent déchiré. Il est doublement malheureux : d’avoir quitté la Palestine pour partir en Europe et d’être revenu sans recouvrer ses souvenirs d’antan. Il n’a même pas su sauvegarder sa mémoire palestinienne, d’où une amertume aussi réelle qu’imaginée.